Chaque année, l’abbaye du mont Sainte-Odile attire 750.000 fidèles et visiteurs. Avec le confinement, elle est fermée au public, ils ne sont plus que six à occuper les lieux. Les pélerins continuent à prier via les réseaux sociaux. Entretien avec le recteur du monastère.
« Vous verriez le parking, il est totalement désert : même au pire de l’hiver on n’a jamais vu ça ! » : le recteur de l’abbaye du Mont Sainte-Odile, nous raconte sa stupéfaction par téléphone. Alors que le printemps et les festivités de Pâques marquent chaque année le coup d’envoi de la saison de ce haut-lieu spirituel et touristique en Alsace, l’abbaye du Mont Sainte-Odile a elle aussi été contrainte de fermer ses portes en raison de la propagation rapide du coronavirus dans le Bas-Rhin.
Christophe Schwalbach a même dû se résoudre à prendre une décision inédite : suspendre l’aspect "perpétuel" de l’adoration. Car la confrérie de Sainte-Odile a été désignée en 1931 en charge de l'adoration perpétuelle en Alsace, un rite auquel sont attachés de nombreux chrétiens de la région. Pour assurer cette mission, des fidèles alsaciens se relaient en permanence jour comme nuit pour prier devant le devant le Saint Sacrement exposé au Mont Sainte Odile. Ainsi entre 20 et 50 adorateurs séjournent habituellement chaque semaine au Monastère. Avec le confinement, ils doivent désormais adorer à distance.
Comment vivez-vous ce confinement ?
C'est presque un peu gêné que le recteur répond à la question :" Je dois avouer que cela se passe bien car nous avons la chance d’être confinés dans un lieu remarquable avec une vue imprenable. Nous devons reconnaître que nous avons des conditions de confinement privilégiées".Seules six personnes occupent encore actuellement les lieux : deux prêtres (le recteur et le chapelain du monastère), ainsi que quatre religieuses au service de l'abbaye. Ils sont les seuls à habiter sur place toute l'année et sont restés là pour le confinement. "Pour l'instant nous allons tous les quatre bien, rassure le responsable de la communauté. Aucun de nous n'a de problèmes de santé et la plus âgée d'entre nous n’a que 69 ans donc nous ne sommes pas inquiets pour nous." Et d'ajouter avec un sourire : "et nous ne nous sommes pas encore entretués, alors tout va bien....[rires]."
Même s'ils se retrouvent donc en tout petit comité dans un bien vaste bâtiment, les religieux veillent malgré tout à prendre des précautions : "on ne se rassemble tous les six que lors des temps de messe à la chapelle et comme elle est très grande pour nous, on peut facilement prendre nos distances. Le reste du temps, les religieuses vivent de leur côté et nous [les deux prêtres] du nôtre, chacun chez soi. Nous ne accordons que deux repas ensemble par semaine."
- Christophe Schwalbach, recteur de l'abbaye du Mont Sainte-OdileLe confinement change énormément notre quotidien. Normalement il y a toujours des centaines de personnes autour de nous. Depuis le début du confinement, nous ne sommes plus que six.
Pendant le confinement, l'adoration continue.... via facebook
S'il se retrouve à arpenter une abbaye déserte, le prêtre ne se retrouve pas inoccupé pour autant. En plus des messes qu'il continue d'assurer dans la chapelle, il lui a fallu trouver des solutions pour pouvoir assurer la continuité de l'adoration perpétuelle. " Nos adorateurs se retrouvent très affectés par la fermeture du monastère. Je ne pouvais pas les laisser sans rien. Il fallait un moyen pour les aider à prier autrement. "Alors comme tout le monde, Christophe Schwalbach compose avec les nouvelles technologies et son téléphone portable. "Chaque jour, j'enregistre sur facebook un psaume, un texte, un chant pour les fidèles. Je poste aussi des photos de l'abbaye pour qu'ils gardent un lien avec le lieu. A partir de dimanche prochain, je mettrai des photos du chemin de croix", annonce-t-il au passage, à quelques jours du lancement des festivités de Pâques. Et de plaisanter au passage : « du haut de notre mont [niché à 753 mètres d'altitude], vous imaginez bien qu’on n’a pas un super réseau. Ca rame beaucoup pour envoyer par Internet. Et ça, ça occupe bien mes journées ! », sourit-il.
Et les fidèles semblent s’être vite adaptés à ce nouveau mode de bénédiction virtuelle : « Nous avons eu énormément de retours, jusqu'à 80.000 intercations pour certains messages. Beaucoup de gens nous remercient d’assurer le suivi de l’adoration perpétuelle. Le relais est même assuré la nuit : certains nous disent qu’ils se réveillent exprès pour que la prière ne s’arrête pas. Je reçois même des messages d’Alsaciens installés en Pologne ou aux Etats-Unis.»
Les membres de la communauté ont ainsi pu assister - presque comme s'ils y étaient - à une bénédiction de la plaine d'Alsace en cette période de pandémie :
« Cet engouement spontané me permet de mesurer l’attachement des Alsaciens à Sainte-Odile » confesse le prêtre qui a pris il y a six mois seulement ses fonctions à la tête du monastère. Auparavant, il était le curé de la paroisse de Soultz-Haut-Rhin. « J’avoue que cela me mets un peu la pression pour la suite, reconnaît avec humour Christophe Schwalbach. Sainte-Odile a parfois la réputation d’être devenu un parc d'attractions pour touristes où il n’y a plus de pèlerins. J’ai la preuve aujourd’hui que ce n’est pas vrai. »
Que lisez-vous pendant le confinement ?
Nous avons demandé au recteur de l’abbaye de choisir le texte qui pourrait le mieux accompagner selon lui les fidèles en cette période inédite de pandémie et de confinement. Il recommande un passage du chapitre 2 de L'Ecclésiaste (versets 1-10), ce texte extrait de l’Ancien Testament qui amène à réfléchir sur la condition humaine et les futilités de la vie :- Je me suis dit : « Va, essaie la joie et goûte au bonheur. » Eh bien, cela aussi n’était que vanité :
- Au rire, j’ai dit : « Tu es sot ! » et à la joie : « À quoi sers-tu ? »
- Je résolus de m’adonner au vin, tout en poursuivant la sagesse, et je me livrai à la démesure, le temps de voir ce qu’il est bon, pour les fils d’Adam, de faire sous le ciel pendant le peu de jours qu’ils ont à vivre.
- J’ai entrepris de grands travaux : je me suis bâti des maisons et planté des vignes.
- Je me suis aménagé des jardins et des vergers ; j’y ai planté toutes sortes d’arbres fruitiers.
- J’ai creusé pour moi des bassins dont les eaux irriguent des pépinières.
- J’ai eu des serviteurs et des servantes, leurs enfants nés dans ma maison, ainsi qu’une abondance de gros et petit bétail, plus que tous mes prédécesseurs à Jérusalem.
- J’ai encore amassé de l’argent et de l’or, la fortune des rois et des États. J’ai eu des chanteurs et des chanteuses et ce plaisir des fils d’Adam : une compagne, des compagnes…
- Je me suis agrandi, j’ai surpassé tous mes prédécesseurs à Jérusalem, et ma sagesse me restait.
- Rien de ce que mes yeux convoitaient, je ne l’ai refusé. Je n’ai privé mon cœur d’aucune joie ; je me suis réjoui de tous mes travaux, et ce fut ma part pour tant de labeur.
Le jubilé de Sainte-Odile est-il compromis ?
2020 marque une année important pour la confrérie qui célèbrera le 13 décembre prochain les 1300 ans de la mort de Sainte-Odile. Avant l’apparition du coronavirus, il était prévu que les festivités du jubilé démarrent huit mois avant cette date, soit pour les fêtes de la Pentecôte. « Inconcevable par les temps qui courent, constate le religieux. Nous réfléchissons donc à inverser le jubilé, c’est-à-dire à le faire démarrer en décembre pour qu’il se termine lors des 90 ans de l’adoration perpétuelle en juillet 2021 ».Pour rappel, les abords de l'abbaye sont également interdits aux promeneurs le temps du confinement. Les gendarmes patrouillent régulièrement dans le secteur pour vérifier la bonne application de cette consigne