Coronavirus et pénurie de farine : pourtant, les moulins tournent à plein régime

En cette quatrième semaine de confinement, les paquets de farine, pris d'assaut par les consommateurs, se font rares dans les supermarchés. Pourtant, les moulins de Champagne-Ardenne fonctionnent. Grands, moyens ou petits indépendants, tous s'organisent pour honorer les commandes de leurs clients.

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"Cela fait 7 ans que je suis dans cette meunerie, je n'ai jamais vu ça : on se croirait en période de guerre", confie Thibaut Doillon, meunier du moulin des Etangs à Hannogne-Saint-Martin dans les Ardennes. Une petite entreprise familiale qui fournit les boulangeries artisanales ainsi que quelques particuliers. "En ce moment, nos commandes de particuliers en volume ont été multipliées par 4 ou 5!", poursuit Thibaut. Difficile à suivre.
 


Mais le jeune meunier ne ménage pas ses effort. Pour assurer ses commandes, il a entièrement réorganisé le travail de ses 11 salariés. "Nous travaillons en deux équipes à mi-temps. Au cas où l'une serait contaminée ou obligée d'être confinée, cela nous permettrait de continuer une partie du travail", explique-t-il. Pour son père et lui, les journées sont bien remplies : de 5 heures à 17 heures, voire plus. Les deux meuniers préparent à la main des sachets de 1kg,  de 5 kg et de 25 kg de farine, ces derniers étant plutôt réservés aux professionnels. Et pourtant.
 

Les particuliers recherchent énormément de sachets de farine de 1kg ou 5 kg. Certains nous commandent jusqu' à 3 paquets de 25 kg en une seule fois. 
-Thibaut Doillon, meunier


Pour servir leurs clients et écouler leurs commandes en toute sécurité, les Doillon ont aussi pensé à organiser un dépôt dans la boulangerie la plus proche de chez eux. Les commandes sont préparées à l'avance et livrées une fois par semaine. Une solution locavore et une manière sûre de se ravitailler en farine pour les Ardennais des environs.
 

Retour à l'essentiel 

Car en pleine pandémie de Covid-19, les paquets de farine s'arrachent comme des petits pains. Et pour cause. Confinement oblige, les consommateurs cuisinent plus. Faire des gâteaux, des crêpes, des pâtisseries ou même faire son pain sont (re)devenus des activités qui occupent le quotidien. Les rayons des supermarchés sont vides depuis plusieurs jours. Une pénurie à laquelle les minoteries-ou meuneries champardennaises font face de leur mieux.

Le moulin Lorin, à Auberive dans la Marne, tourne lui aussi à plein régime. Comme son confrère des Ardennes, il fournit les artisans boulangers de la région, soit près de 150 boulangeries un peu partout en France, et surtout en Lorraine et Champagne-Ardenne pour le Grand Est. Cette petite structure de 14 salariés a encore tout son personnel opérationnel et ses transporteurs actifs. Une chance pour continuer d'assurer ses commandes, l'unique objectif des meuniers en cette période étant de servir la clientèle habituelle. "On a même dû redémarrer une vieille machine en panne pour assurer notre production".
 


La minoterie Lorin ne fournit des sacs de farine qu'à partir de 5 kg. "Je ne suis pas équipé pour faire de l'ensachage de 1 kg. Cela me prendrait trop de temps. Notre métier est très manuel, nous cousons encore nos sacs à la main!", précise Brice Lorin, sixième génération de meuniers. Avant d'ajouter : "Nous sommes des petits indépendants face aux grandes meuneries et grands groupes qui fournissent les grandes et moyennes surfaces. Nous n'avons pas de lignes à forte cadence qui nous permettent de compenser ou d'aider les gros marchés en faisant des sachets de 1 kg à un rythme effréné." 


Manque à gagner

Ce dernier, passionné par son métier, prend déjà aussi un peu de recul face à cet assaut sur les paquets de farine. Car si cela a un impact sur sa production, cela a aussi une conséquence peu réjouissante à long terme sur son marché principal, à savoir les boulangeries à qui il fournit des paquets de 25 kg. "Globalement, cette semaine on passe 85 tonnes de blé : c'est presque 100 tonnes de blé en moins qu'avant la crise."
 

Le coronavirus a une conséquence désastreuse sur les boulangeries artisanales. Certains perdent 50% de leur chiffre d'affaire. Sur le long terme, cela peut aussi signifier pour nous la perte de certains clients, voire une perte probable de 50% de notre chiffre d'affaire.
-Brice Lorin, meunier



Brice Lorin analyse et constate, impuissant : "Au début du confinement, les gens se sont rués sur les boulangeries, qui, voyant l'afflux de clients ont stocké de la farine. Nous avons donc été en suractivité durant une semaine pour fournir tout le monde. Puis la courbe s'est inversée. Les gens ont eu peur d'aller à la boulangerie et d'attraper le virus. Ils sont revenus à l'essentiel : fabriquer son pain soi-même. Désormais, certains de mes clients attaquent le chômage partiel, c'est triste", constate, impuissant, Brice Lorin.

Ce meunier marnais envisage aussi déjà l'après. Et pourquoi pas investir dans du nouveau matériel. "Là, les gens ont du temps pour cuisiner et faire des pâtisseries mais après ? Si vraiment c'est un goût ou un amour retrouvé et que cela perdure, je serai peut être obligé d'acheter une machine pour faire de l'ensachage d'1kg de farine. Je regarderai l'évolution du marché avant de me décider", poursuit ce dernier.

En attendant, son moulin reste ouvert aussi aux particuliers qui peuvent commander et venir chercher chacun leurs sacs de 5 kg. Et quelles que soient les suites liées à la pandémie de coronavirus, Brice Lorin reste positif : "Au moulin, tout le monde est prêt à reprendre le travail et à assurer une production "plus plus" pour compenser les manques à gagner".
 

Mobilisation maximale

Le sort des rayons vides des supermarchés dépend en réalité de la production des grands groupes de farine français que sont les Grands Moulins de Paris, les Grands Moulins de Strasbourg, Axiane Meunerie et Soufflet Meunerie implanté dans l'Aube à Dienville et près de Notent-Sur-Seine. Des groupes qui produisent surtout pour les grandes surfaces et les grossistes.

Le directeur général de Moulins Soufflet, Erick Roos l'affirme : "Nos 7 moulins en France fonctionnent au maximum de ce qu'ils peuvent en respectant toutes les précautions nécessaires exigées et liées au coronavirus". 
Dans l'Aube, le moulin de Dienville ne produit que des sachets de 25 kg pour les professionnels grossistes, artisans boulangers entre autres. Mais le groupe a ouvert une unité près de Notent-Sur-Seine, "une ligne d'ensachage d'1 kg exclusivement qui tourne 7 jours sur 7 avec 5 ou 6 salariés pour assurer les commandes des clients habituels", précise le directeur, tout en ajoutant : 

On ne va pas travailler 8 jours sur 7. Nous avons déjà renforcé nos équipes dans l'Aube et partout. Nos équipes sont fatiguées, certains salariés ne prennent pas leurs congés.
-Erick Roos, directeur général de Moulins Soufflet



Les moulins Soufflet turbinent. Et assurent en priorité les commandes de clients réguliers comme les moyennes et grandes surfaces notamment. "Ceux qui demandent plus, on leur fournit plus. Après, si leur stock commandé et livré part en 2 heures, là on ne peut rien faire pour eux avant la prochaine commande", précise Erick Roos, soit dans les 3-4 semaines qui suivent, comme le prévoit le planning de livraison habituel. Et d'ajouter :"nos carnets de commandes de farine sur les 4 prochaines semaines sont pleins".

Mais quid de l'impact économique? "Il est encore trop tôt pour en mesurer les conséquences financières. Un seul constat s'impose : il y a une baisse de la consommation de farine dans la filière de la boulangerie artisanale et de la restauration collective, contrairement à celle des supermarchés. Certaines filières et certaines activités s'en sortiront mieux que d'autres", achève Erick Roos.

Certaines grandes surfaces ont tout de même réussi à s'organiser avec les moulins des alentours. Le cas du moulin ardennais de Signy et du moulin de Courtin dans la Marne qui déposent des grandes quantités de farine dans un hypermarché rémois répartis en sachets sur place ou emportables dans un contenant apporté par le client lui même.

Face à la surconsommation de farine -parfois irrationnelle- des Français, les moulins doivent s'adapter. Durant cette crise, et malgré les inconnues, les meuniers champardennais espèrent manger leur pain noir...




 
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