Sauver les récoltes du pays, malgré le covid19 qui tétanise l’économie mondiale. Nos voisins allemands ne veulent pas se résoudre à perdre leurs cultures et les revenus qui s’y rattachent. Pendant le week-end pascal, 4.500 travailleurs saisonniers sont attendus dans le Bade-Wurtemberg.
La démarche semble incompréhensible au premier abord. Certains diront "hallucinante" ou "inconsciente". A l'ouest du Rhin, la France vit en mode confiné. En Alsace, plus encore qu’ailleurs, chacun est contraint à rester chez soi. Ici les agriculteurs, paysans, maraîchers désespèrent de voir leurs récoltes se perdre. Dans le même temps, de l'autre côté du Rhin, nos voisins allemands font atterrir des dizaines d’avions dont descendent des milliers de travailleurs saisonniers. Ainsi, ce jeudi 9 avril 2020, 1.300 saisonniers venus de Roumanie ont débarqué à l'aéroport de Karlsruhe Baden-Baden, dans le Land du Bade-Wurtemberg, à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Strasbourg.
Et ils seront au total 4.500 attendus tout au long du week-end pascal dans cette région frontalière. "Ils ont déjà rempli un questionnaire de santé, dans l'avion" explique le journaliste Günther Precechtel dans son reportage pour la SWR, "et chacun a reçu un coupon de sortie, sur lequel est indiqué l'emplacement exact où il était installé dans l'avion." Ensuite, ils passent un contrôle de police et un contrôle sanitaire assuré par du personnel de la Croix-Rouge.
Une décision ministérielle
Pourquoi cette décision de faire venir des travailleurs d'autres pays d'Europe, alors que le covid19 sévit partout? "Nous devons combiner la protection de la santé et la sécurité des cultures, et nous avons réussi à le faire aujourd'hui. Il existe des règles strictes pour la protection de la santé de la population et ces règles seront respectées", a déclaré Julia Kloeckner, ministre allemande de l'Agriculture. Donc pandémie ou pas, en Allemagne l'économie est-elle prioritaire ? Apparemment oui.Les producteurs allemands attendaient cet avion avec impatience. Ils sont allés chercher eux-mêmes, à l’aéroport de Karlsruhe Baden-Baden, les travailleurs saisonniers venus spécialement de Roumanie pour la cueillette des asperges. Ce sont eux aussi qui ont pris en charge les frais de vols. Après avoir rempli un formulaire de santé dans l'avion, les saisonniers sont passés par un contrôle de police, puis un contrôle sanitaire, assuré par du personnel médical de la Croix-Rouge. Tout signe de fièvre ou autre symptôme en rapport avec un éventuel cas de coronavirus devait interdire l'entrée du travailleur sur le territoire. Selon nos collègues de la SWR, l'aéroport de Karlsruhe, la police et la Croix-Rouge se disent prêts à gérer rapidement d'éventuelles suspicions de covid19.
L'asperge, légume culte en Allemagne
Asperges, champignons, fraises, carottes ou salades, le printemps sonne l’heure des premières récoltes et des espoirs économiques pour l’agriculture. D'autant plus lorsqu'il s'agit d'une production essentielle comme celle de l'asperge en Allemagne.
Car dans ce pays l'asperge est culte, comme la fraise en France. Outre-Rhin, qu'elle soit racine blanche ou tige verte ou encore mauve, l'asperge est de tous les repas familiaux et gastronomiques pendant trois mois environ. Avec sa production annuelle de plus de 130.000 tonnes, contre 20.000 tonnes en France, l'Allemagne est le premier producteur européen d'asperges, avoisinant les 50% de la production du vieux continent. Les Allemands cultivent 24.000 hectares d’asperges et n’exportent que 6% de leur production, c’est dire s’ils raffolent de ce légume.
Un manque de main-d'œuvre locale
"La main d’œuvre allemande n’est pas disponible", explique l'un des agriculteurs qui a fait venir des ouvriers agricoles roumains. La peur du virus, l'interdiction de sortir, le manque d'habitude de ce type de travail physique, des salaires trop bas… La liste est longue pour expliquer pourquoi les Allemands eux-mêmes manquent à l’appel. D'où cette décision du gouvernement de faire venir de la main d'œuvre étrangère dans des avions spécialement affrétés.Du côté des Alsaciens, même souci pour les producteurs d'asperges, entre-autres. La main d'œuvre locale n'est pas au rendez-vous non plus. Trop qualifiée pour ramasser des légumes chez les paysans? Trop orgueilleuse ou pas assez flexible par rapport à la charge et aux horaires de travail? Sans doute, mais en Alsace, pas d'avions à l'horizon. La question des différences de charges, de TVA et de frais pour les producteurs entre l'Allemagne et la France est un sujet douloureux depuis longtemps pour les paysans français et notamment alsaciens, frontaliers avec l'Allemagne. Ils ne sont pas logés à la même enseigne que leurs collègues, ou plutôt leurs concurrents d'outre-Rhin.
Car le salaire que versent les producteurs français à leurs saisonniers est supérieur à celui que touchent les travailleurs ponctuels en Allemagne. À titre de comparaison, depuis le 1er janvier 2020, le Smic (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) allemand est de 9,35 euros brut par heure. En France, en 2019, il était de 10,03 € brut par heure, soit 7,28 % plus élévé. Par ailleurs, les producteurs allemands bénéficient d'une fiscalité favorable avec leur TVA et les charges patronales sont plus faibles que pour les exploitants français.
40.000 saisonniers étrangers en Allemagne
Les saisonniers étrangers attendus pendant le week-end pascal chez nos voisins immédiats du Bade-Wurtemberg seraient 4.500. Mais pour toute l'Allemagne, ils devraient être 40.000 au total.Tous arrivés en Allemagne par avion depuis d'autres pays d'Europe, ils doivent se soumettre à un contrôle médical et s’ils sont en règle, ils peuvent travailler dans les champs allemands, en avril et en mai. Les travailleurs arrivés ce jeudi 9 avril viennent de Roumanie, un pays encore peu touché par le covid19. Selon les relevés de l'OMS, ce vendredi matin 10 avril, moins de 5.000 cas de covid19 sont confirmés sur près de 22 millions d'habitants et "seulement" 209 décès sont à déplorer.
En attendant, de notre côté du Rhin, les agriculteurs français se débrouillent comme ils peuvent. Inventent de nouvelles façons de récolter et de vendre, forment des néophytes bénévoles ou embauchés, instaurent des drives, et engrangent majoritairement de grosses pertes. Alors ils se posent des questions. Forcément. Beaucoup. L’Allemagne est souvent prise en exemple sur le plan économique. Quid cette fois-ci? La France va-t-elle s’inspirer de cette démarche, ou trouvera-t-elle des solutions dans ses propres ressources, sur son territoire? Sommes-nous au début d'une autre agriculture, plus respectueuse de l'environnement, plus proche des citoyens et plus appréciée, mieux reconnue par eux? L'aube peut-être d'une nouvelle agriculture...ou pas.