Malgré un droit d’alerte pour danger grave et imminent déposé par la CGT, la direction locale d’ArcelorMittal Florange entend redémarrer ses installations dès ce mercredi 25 mars. Les syndicats dénoncent des pressions sur les salariés pour reprendre leur poste coûte que coûte.
"Moi c’est simple, la boîte d’intérim m’a dit que si je ne reprenais pas mon poste samedi, mon contrat ne serait pas renouvelé".
Ce sidérurgiste qui travaille au packaging (la tôle pour emballage) a reçu plusieurs appels ces derniers jours de Proman son agence d'intérim, pour lui demander "s’il était volontaire pour reprendre le travail". Il fait partie des 250 salariés employés intérimaires dont le numéro 1 mondial de l’acier a besoin pour faire tourner ses lignes de production de la vallée de la Fensch. Dans certains secteurs, comme le packaging ou la logistique, la proportion d’intérimaires est proche de 50% dans les équipes. Sans eux, impossible de redémarrer les lignes, et ArcelorMittal le sait bien, d’où une pression pour constituer des équipes de "volontaires".
Mais pour ce salarié du packaging, hors de question de reprendre le travail: "je préfère le chômage ! Rien n’est fait pour nous protéger, à part du cellophane sur les claviers et de l’eau de Javel… c’est honteux ! Tout le monde sait très bien qu’on est en danger dans ces conditions, on se croise aux changements d’équipe dans les vestiaires, au réfectoire...".
Aux ordres
La consigne nationale du groupe est claire: reprendre la production. Après avoir annoncé l’arrêt des lignes de production mercredi 18 mars, le chef d’établissement avait fait volte-face le lendemain en annonçant un redémarrage pour le 23.D’après des documents que nous avons pu consulter, dès hier mardi 24 mars 2020, et avant même le Conseil Social et Economique, la direction avait établi un plan de redémarrage précis. Celui-ci prévoyait les effectifs minimums à atteindre pour assurer la production, ainsi qu’un calendrier, entité par entité. Consignes générales: "maintenir le cap pour redémarrer au plus tôt".
Mais d’après nos informations, beaucoup de chefs de poste et de d’opérateurs se sont mis en arrêt maladie, estimant que les mesures sanitaires prises par ArcelorMittal ne pouvaient pas les protéger du virus. "Les chefs de poste qui sont encore au travail ont reçu des consignes de leurs managers opérationnels depuis le début de la semaine pour appeler leurs gars et leur demander de venir travailler" témoigne ce salarié du service logistique. La plupart des pontiers (ceux qui conduisent les ponts roulants, notamment pour déplacer les bobines d’acier) sont en arrêt-maladie. Sans eux, impossible de redémarrer. "Les cabines des pontiers ont été vaguement nettoyées, mais aucune désinfection ! Il faudrait au minimum que tout soit désinfecté entre chaque poste pour qu’on puisse se sentir en sécurité, mais c’est pas le cas" précise ce salarié, "avant on avait peur, maintenant en plus on a la rage de voir qu’on est de la chair à canon pour notre direction".
Danger grave et imminent
Un droit d'alerte pour danger grave et imminent (DGI) a été déposé par la CGT vendredi 20 mars dernier auprès de l’inspection du travail, pour empêcher tout redémarrage à Florange. Mais tout semble indiquer que la direction du site a décidé de passer outre, et de ne pas attendre l’avis de l’inspecteur du travail, "ce qui constituerait une faute inexcusable présumée, et une mise en danger de la vie d’autrui" selon la CGT.Dans un courrier adressé ce jour aux organisations syndicales et à la direction, l'inspecteur du travail met en garde cette dernière: "je ne peux qu’inviter la Direction à la plus grande prudence quant à une reprise trop rapide de l’activité de production et avant notification de ma décision sur le DGI. Il me parait utile de rappeler que les tribunaux, le cas échéant, pourraient être amenés à rechercher d’éventuelles responsabilités en cas de contamination d’un ou plusieurs salariés sur les lieux de travail, y compris les juridictions pénales".
Pour la CGT, comme pour la CFDT (majoritaire), la consigne n'a pas changé: les salariés doivent rester à la maison. Selon nos informations, 11 cas de coronavirus ont été détectés chez les salariés de Florange, une soixantaine de sidérurgistes seraient en quatorzaine, sur un effectif total de 2.300 personnes.