Un arrêté, publié samedi 25 avril au soir, autorise les pharmacies à vendre des masques "grand public". Dès l'ouverture, lundi 27 avril, les patients se sont précipités dans les officines, sauf que les professionnels n'ont pas eu le temps de s'approvisionner. Ils dénoncent un cadeau empoisonné.
Les masques "grand public" en tissu, lavables et réutilisables, peuvent désormais être vendus en pharmacie. Un arrêté du ministère de la Santé a été publié dans le Journal Officiel, dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 avril, pour modifier le Code de la santé publique, qui fixe la liste des produits autorisés à la vente en officines. "Les masques non sanitaires fabriqués selon un processus industriel et répondant aux spécifications techniques applicables" peuvent être distribués, est-il précisé.
Un épisode de plus dans le rebondissant feuilleton des masques, qui fait polémique depuis deux mois. La décision a d'ailleurs fait l'effet d'une petite bombe dans les pharmacies. Toutes celles où nous nous sommes rendus ce matin, à Schiltigheim, croulaient littéralement sous les demandes. Encore faut-il pouvoir y répondre...
Les pharmaciens n'ont pas eu le temps de commander
- Denise Mutzig, cliente : "Il paraît qu'on doit chercher des masques chez vous."- Djamel Zerari, gérant de la pharmacie de l'hôtel de ville : "Oui, mais cela a été décidé samedi... on n'a pas eu le temps de faire le stock."
- Denise Mutzig, cliente : "Eh ben comment on fait alors ?"
Cette scène se répète depuis l'ouverture à la pharmacie de l'hôtel de ville. Le personnel prend la peine d'expliquer à chaque patient que les masques ne sont pas encore arrivés. Ce matin, les ordonnances et les médicaments sont presque anecdotiques. Les préoccupations sont ailleurs : "J'ai lu dans le journal qu'on pouvait acheter des masques dès aujourd'hui et finalement, ce n'est pas vrai. On n'y comprend plus rien. Depuis le début, on est complètement perdus. Il faut se battre pour tout", peste Denise Mutzig, une habitante décontenancée. Elle a fabriqué des masques pour ses enfants et petits-enfants, mais voudrait en acheter d'autres pour pouvoir se protéger correctement.
"Vous m'en mettrez de côté ?", demande-t-elle au gérant avant de s'en aller. Mais Djamel Zerari n'est pas en mesure de promettre quoi que ce soit. Il ne sait pas s'il sera livré, et de toute façon pas quand. "Avant d'annoncer qu'on peut vendre des masques, ils auraient dû préparer les voies de distribution. On a su hier qu'on pouvait en vendre aujourd'hui, c'est trop court", râle-t-il. Il a passé sa matinée à appeler des fabricants et à envoyer des mails : "J'ai finalement réussi à avoir 200 masques par mon grossiste, mais ils ne seront pas là avant le 18 mai. J'essaie de trouver mieux."
Le prix du masque pourrait être encadré
Claire Grosso, elle, espère recevoir dès mardi 28 avril une première fournée de 200 masques pour la pharmacie centrale, à Schiltigheim. Elle a dépensé 2,50 euros par pièce, et compte les facturer entre 4 et 4,50 euros. "S'il avait fallu payer 4 euros, on l'aurait fait, il y a une telle demande", confie-t-elle. Mais les prix pourraient bientôt être encadrés et certains risquent de vendre à perte, comme cela avait déjà été le cas pour le gel hydroalcoolique.La gérante de la pharmacie Pasteur, Sandrine Garcia, préfère donc se montrer prudente. Elle n'a pour l'heure commandé que 50 masques : "On est dans le flou artistique complet. Beaucoup de choses doivent encore se décider mardi à l'Assemblée nationale : le prix de vente, la prise en charge ou non par la sécurité sociale... Si le prix de vente est réglementé, le prix d'achat le sera aussi, donc on attend de savoir. On ne va pas sur-stocker, sans savoir si on va pouvoir rentrer dans nos frais."
Elle doit les réceptionner le 4 mai alors qu'elle pourrait en vendre beaucoup plus. Les patients s'impatientent, déjà. Le premier coup de fil à l'officine, ce lundi, est intervenu à 9h01, à peine le téléphone mis en service. Il n'a pas arrêté de sonner et re-sonner toute la matinée. "Ils veulent tous des masques." Et quand elles ne sont pas en ligne, la gérante et une préparatrice font directement face à des patients, dont beaucoup se sont spécialement déplacés pour chercher de quoi se protéger face au coronavirus.
Dominique Boussard-Mosser, conseillère municipale à Schiltigheim, est venue faire un achat groupé pour plusieurs personnes âgées de la ville : "Pas mal de papys-mamies de mon entourage utilisent des mouchoirs ou des gants de toilette, faute de masque. C'est terrifiant." Elle doit repartir bredouille.
Le 11 mai comme ligne de mire
"Il faut que les gens comprennent qu'ils doivent être patients, car nous sommes confrontés à des délais de production et de livraison. Le déconfinement est prévu pour le 11 mai, d'ici là, toutes les pharmacies de France et d'Alsace seront approvisionnées en masques, assure Christian Barth, le président de l'ordre des pharmaciens d'Alsace, qui malgré ces instants de "stress", se dit avant tout soulagé : "Cela fait deux, trois semaines qu'on réclame l'autorisation de vendre des masques alternatifs pour répondre à la demande des patients. Depuis qu'il se dit que chaque Français devra porter un masque, il y a une vraie attente."La preuve, près de 700 masques ont été réservés en trois heures à peine, ce lundi, à la pharmacie de la Gentiane, à Schitigheim. Le gérant, Gonzague Abscheidt, a fait le choix de noter les souhaits de ses patients et les rappellera les uns après les autres quand il sera en mesure de les honorer. "Un retour de confiance", estime-t-il. L'arrêté du ministère a validé une pré-commande faîte il y a trois semaines : entre 2.000 et 2.500 masques achetés chez ses fournisseurs de matériel médical habituel "pour être sûr de la qualité, sinon on se retrouve avec une serpillère et des élastiques".
Il a choisi d'anticiper, mais considère que le risque est mesuré, "les masques seront vendus sans problème". Toute la question est donc de savoir quand. "Si ça continue comme c'est parti, on aura le vaccin avant les masques", taquine Claude Schott, à la pharmacie centrale. Mieux vaut en rire.