Avant le début du déconfinement, ce lundi 11 mai, le week-end a donné lieu à des négociations marathon entre le Sénat et l'Assemblée Nationale. Résultat : un amendement compris dans la loi d'urgence sanitaire protège les maires en cas de plaintes déposées contre eux suite à des cas de contamination.

Il y a ceux qui décident et il y a ceux qui appliquent. Le sujet est d'actualité au moment où le déconfinement se met en place. Alors que les maires de Champagne Ardenne se préparaient à une réouverture, notamment des écoles, la question s'est posée des responsabilités en cas de contamination ou autre incident lié au covid-19. D'autant que tous les maires n'étaient pas, loin s'en faut, d'accord pour rouvrir leurs écoles le 11 mai. Les élus se demandaient si leur responsabilité serait engagée en cas de contamination.

Lors de sa conférence de presse hebdomadaire, le maire de Troyes et président de l'Association des maires s'interrogeait en ces termes: "Nous ne sommes pas des kamikazes sur le plan juridique. Il faut que les gens comprennent que ce débat sur la responsabilité pénale des maires est un débat sur un temps qui n'est pas le nôtre. Le maire n'est pas le directeur de l'école. Le maire n'est pas le gestionnaire de l'éducation. L'éducation est nationale, elle n'est pas municipale."

Les sénateurs LR veulent protéger les maires

C'est le Sénat, majoritairement à droite, qui a replacé la question de la responsabilité des maires au centre des débats. René-Paul Savary, sénateur (LR) de la Marne, explique pourquoi le Sénat a adopté cet amendement. "Nous voulions clarifier les responsabilités des maires, des chefs d'entreprises, des directeurs d'école et des présidents d'association. Nous savons qu'il y aura toujours des citoyens qui déposeront plainte en cas de problème. Il ne s'agissait pas d'exempter les maires de leurs responsabilités, mais de ne pas leur faire porter des responsabilités qui ne leur incombent pas."

Pour répondre aux inquiétudes des maires, les sénateurs limitent la responsabilité pénale des décideurs publics et privés pour leurs décisions prises pendant la période déconfinement. "Nul ne pourra voir sa responsabilité pénale engagée pour avoir exposé autrui à un risque de contamination, causé ou contribué à sa contamination, à moins qu'il n'ait violé délibérément une obligation particulière de prudence ou de sécurité", pose le texte.

 


Quelques heures plus tard, l'Assemblée Nationale rejète cet amendement, qui risquait d'exonérer les élus locaux de leurs responsabilités. Les députés demandent que la justice tienne compte, "en cas de catastrophe sanitaire, de l'état des connaissances scientifiques au moment des faits."
 

Le compromis

Après des discussions nourries, il a fallu la réunion d'une commission paritaire de sénateurs et de députés pour aboutir à un compromis et le texte a été voté dans la nuit de samedi à dimanche 10 mai par l'Assemblée Nationale. Sans modifier la loi, il précise la responsabilité de ceux qui obéissent à des décisions prises par d'autres.

Il sera tenu compte "des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifiée l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'autorité locale ou employeur", dixit le texte.

Beaucoup de maires avaient fait part de leur inquiétude, arguant qu'ils ne seraient pas prêts à réouvrir les écoles le 11 mai. Des inquiétudes qu'avait relayé le président de l'AMF, François Baroin. "Il nous faut un cadre juridiquement protecteur pour permettre la mise en oeuvre du protocole fixé par l'Education nationale. Soixante-trois pages de mesures, ce qui démontre une nouvelle fois que la bureaucratie ne connait pas la réalité du terrain. Dans les anciens établissements, c'est très difficile de modifier la circulation des élèves, d'interdire les croisements."


Les maires rassurés

"La loi ne nous protégeait pas suffisamment, renchérit Jean-Pierre Bouquet, maire (PS) de Vitry-le-François. Le covid-19 comme cas de force majeure n'exonérait pas les maires de toute responsabilité. Ce qui change avec ce texte, c'est que l'on intègre la notion de faute intentionnelle, par négligence ou par imprudence."
 


A Vitry-Le François, les maternelles moyennes et grandes sections ont ouvert. En cas de contamination et de plainte d'un parent, Jean-Pierre Bouquet se sent mieux protégé avec ce texte. "On ne peut pas empêcher des gens d'engager un procès. En tant que maire, je ne suis pas exonéré de mes responsabilités, et c'est normal. Mais il va falloir démontrer la faute intentionnelle, et cela est très difficile à démontrer."
 

Un effet plus psychologique que juridique

"Pour moi, cette précision de la loi, c'est un gadget, commente le politologue Olivier Dupéron. "C'est plus psychologique que juridique. L'idée est bien de rassurer les maires, mais cela ne change rien à l'état de droit. La seule notion nouvelle, c'est celle d'urgence sanitaire que le juge devra prendre en compte."
 


Pour Olivier Dupéron, cette inquiétude des élus locaux, si elle parait légitime, semble pourtant exagérée. "Il existe déjà une loi, dite loi Fauchon. Elle prévoit, pour qu'un maire soit condamné, qu'il y est une mise en danger délibérée de la personne. Il faut qu'il n'ait pas accompli les actes normaux en fonction de ses compétences et de ses moyens. Ce qui est très difficile à établir. La responsabilité est d'abord celle de l'Etat. Les maires interviennent au niveau de la mise en oeuvre. S'ils ne sont pas en mesure de se préparer correctement, les juges tiennent compte des circonstances, en l'occurence des circonstances exceptionnelles." 
 

En cas de contamination, qui est responsable ?

Sur le plan pénal, les plaintes déposées auront très peu de chances d'aboutir dès lors que l'on se trouve dans le champ de circonstances exceptionnelles, en l'occurence la loi d'urgence sanitaire.

Reste toutefois le recours devant le tribunal administratif, pratiqué le plus souvent pour obtenir des dommages et intérêts. C'est la "responsabilité sans faute", comme l'explique Olivier Dupéron. "Imaginons que quelqu'un soit contaminé en ayant été exposé au virus dans une école. Le risque se réalise, c'est un préjudice anormal et spécial. Nous ne sommes pas sur le plan pénal, il n'y a pas de prison, pas d'amende mais nous sommes sur le plan administratif. On peut, dans ce cas, évoquer la "responsabilité même sans faute de la commune."" Cette responsabilité sans faute peut être utilisée dans le public et le domaine privé.
 


Les ministres sont-ils eux aussi exonérés de responsabilité ?

Cette loi va-t-elle permettre d'exonérer les ministres de toute responsabilité, alors qu'une dizaine de plaintes ont déjà été déposées ? Pour Charles De Courson, député de la Marne (Union des démocrates, radicaux et libéraux) et juge titulaire à la Cour de Justice de la République, "il n'y a pas d'ambiguités", les ministres ne sont pas concernés. "Les ministres et le Premier ministre sont gérés par une Cour spéciale, paritaire, composée de six députés, six sénateurs, et trois magistrats de la Cour de cassation. Elle applique le code pénal. Plusieurs recours ont déjà été déposés." Quand au Président de la République, il ne peut être jugé qu'en cas de haute trahison.

L'amendement et l'ensemble de la loin d'urgence sanitaire a été adopté à l'Assemblée Nationale et validé, pour ce qui concerne les maires, par le Conseil Constitutionnel. Les élus locaux, les chefs d'entreprises, les directeurs d'écoles, les présidents d'associations les hauts fonctionnaires ont été pris en compte dans cette loi mais le nouveau cadre juridique les protège-t-il vraiment davantage ? Sont-ils désormais à l'abri de toute poursuite au pénal ?

En cas de contamination, certains voudront identitfier des responsables. Déjà, des plaintes et des recours ont été déposés. L'heure des comptes est à venir.
 
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