Voyager c'est faire la rencontre de peuples bien différents de ce que l'on connaît. Différents par leur histoire et leurs mœurs. L'Irlande est un pays riche culturellement. John Reichenbach est l'auteur du livre "Comprendre les Irlandais, le guide du voyage interculturel". Loin du guide touristique, cet ouvrage s'adresse "aux voyageurs qui ne veulent pas à tout prix éviter les habitants du pays qu'ils visitent".
John Reichenbach est journaliste. Sa mère était irlandaise, son père allemand. Il est né à Brunswick, en Allemagne, en 1960. John a vécu 40 ans en Alsace. Il a écrit un guide de voyage interculturel : Comprendre les Irlandais (Riveneuve Editions). Dans ce livre, aucune adresse d'hôtel ou de monument à visiter. On part à la découverte de la population. L'auteur est allé à la rencontre de dizaines d'Irlandais, des musiciens, des danseurs, des conteurs, des écrivains, des paysans, des gens qui coupent la tourbe (une sorte terre qui a longtemps servi à chauffer les habitations en Irlande)... L'Irlande d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier. Le pays était le plus pauvre d'Europe dans les années 70 et s'est considérablement enrichi. Il est aujourd'hui devenu l'un des plus riches. Nous lui avons posé des questions pour en savoir plus sur l'Irlande et ses autochtones.
Est-ce qu'on peut dire que vous êtes le plus alsacien des Irlandais ?
Je suis irlandais par ma mère. J’ai un passeport irlandais et c'est vrai que je défends l'Alsace auprès des Irlandais. Il y a beaucoup d’Irlandais de ma famille qui viennent en Alsace et qui adorent le coin. Personnellement, je ne raisonne pas tellement en termes d'Alsacien, de Français ou d'Irlandais parce que moi, je suis très européen. Je n’ai pas vraiment la culture du drapeau, ce côté franchouillard. J’adore l’Alsace. J'adore l'Irlande. C’est une région et un pays très différents, j'aime la différence.
L’Alsace et l’Irlande sont deux territoires "en périphérie". Vous qui connaissez bien les deux, y a-t-il des points communs ?
Oui, sauf que l'Alsace, c'est en périphérie de la France. Mais en même temps, elle est au centre de l'Europe. L’Irlande était quand même complètement excentrée, c'était vraiment à l'autre bout de l'Europe. L’Irlande était isolée pendant des siècles. La cathédrale de Strasbourg est au centre de l'Europe. C’est quand même très différent. Les Irlandais ont une diaspora qui fait leur force aujourd'hui. Les Alsaciens aussi ont une diaspora, comme tous les peuples. Mais, les Irlandais un peu plus. Peut-être parce qu’ils ont été chassés par millions par la colonisation et par la famine et la misère économique. Aujourd'hui, dans le monde, on compte entre 80 et 100 millions de personnes qui se réclament d'une origine irlandaise...pour un petit peuple qui fait cinq millions d'habitants. Autre point commun : c'est la petitesse de l'Irlande. C’est un petit espace par rapport à sa grande réputation dans le domaine musical par exemple. L'Alsace aussi est une petite région. Mais, elle est également très riche culturellement.
Les Irlandais ont bien rattrapé leur retard.
John Reichenbach
Vous insistez beaucoup, dans le livre, sur l’incroyable évolution de ce pays, passé d’un monde totalement arriéré au 19e siècle à un très grand modernisme.
L'émigration irlandaise au 19è siècle a été massive, notamment vers les Etats-Unis ou l'Australie. Puis au 20è siècle vers le Royaume-Uni. En 1973, L’Irlande a adhéré à la CEE (Communauté économique européenne), l’ancêtre de l’Union européenne. C’était encore un pays très rural, agricole, avec, peu d'industrie à tel point que les Irlandais ont dû pour survivre émigrer encore vers l'Angleterre dans ces années-là. À partir de 1996, presque 20 ans après l'entrée dans l'Union européenne, le PIB par habitant des Irlandais était égal à celui des Anglais. Les Irlandais ont bien rattrapé leur retard. Aujourd’hui, le PIB par habitant est au moins 50 % plus élevé que celui des Anglais. Ils ont réussi à développer leur économie grâce à l'Europe qui a injecté beaucoup d'argent dans le pays. Après, est venu le développement économique. C'est venu en parallèle des entreprises européennes qui se sont évidemment installées en Irlande. Il y a aujourd'hui beaucoup de multinationales américaines qui siègent à Dublin, Apple, Meta ou Google par exemple, et énormément d'industries pharmaceutiques. C’est ce qui crée cette connexion économique et culturelle entre l'Irlande et les États-Unis notamment. Les Irlandais sont capables de travailler pour des grandes entreprises parce qu’ils sont extrêmement bien formés...et qu'ils parlent anglais.. En Irlande, dans les années 70-80, l'éducation était une vraie priorité. Le pays a réussi à former des centaines de milliers de jeunes dans les universités. On y est actuellement quasiment au plein-emploi.
Pourquoi avoir écrit ce qui s’appelle "guide de voyage interculturel" mais qui n’est pas un véritable guide touristique ?
Mon livre, c'est un guide assez spécial, à l'intention des voyageurs qui ne veulent pas éviter les habitants des pays qu’ils visitent. C’est une rencontre avec toutes les particularités du peuple irlandais, sans vouloir généraliser. C’est un guide dans lequel on retrouve des portraits, des récits. Pour faire émerger un peu les caractéristiques de ce peuple. La musique, les sports, la langue, la littérature, la religion aussi. L’évolution des mœurs en fait. C’était quand même un pays très arriéré à ce niveau là. Le divorce n'a été autorisé qu'en 1995. La contraception était interdite jusqu'à la fin des années 90, l’achat de préservatifs était compliqué. Le droit à l’avortement n'a été légalisé qu’en 2018, c’est très tard. Paradoxalement, les Irlandais sont le premier peuple au monde à avoir voté pour le mariage homosexuel. Et ils ont élu deux présidentes, Mary Robinson (1990-1997) puis Mary Mc Aleese (1997-2011) deux femmes remarquables qui ont impulsé beaucoup de modernité dans le pays. Puis, les Irlandais ont commencé à voyager. Ils ont découvert le monde et ont ramené tout ce qui était bon pour eux au pays. Avant, ils ne buvaient ni vin ni café, que du thé. Aujourd'hui, la cuisine irlandaise est de grande qualité. Ce qui est intéressant culturellement, c'est que l'Irlande était un pays d'émigration. Les gens quittaient le pays massivement vers les États-Unis, puis à partir des années 30 vers l'Angleterre. Et c'est devenu un pays d'immigration. C'est un pays jeune. Dublin et les grandes villes irlandaises accueillent aujourd'hui des jeunes du monde entier qui travaillent dans la tech. Il y a énormément de gens qui sont partis s’installer à Dublin dans les années 90. Aujourd’hui, c'est un véritable melting-pot.100.000 Ukrainiens ont également trouvé refuge en Irlande.
Une semaine en Irlande : que faut-il emmener dans sa valise ? Quand partir ?
Il faut partir avec un bon imperméable et des bonnes chaussures de marche pour faire de la randonnée. Sur place, je conseille d’acheter un pull d'Aran. C’est un pull traditionnel irlandais qui tient bien chaud. La bonne période pour partir c’est mai, juin et septembre. Il fait meilleur ces mois-là et il y a moins de monde.
Qu'est-ce qui fâche les Irlandais et qu'il faut vraiment éviter de faire quand on part en Irlande ?
Le chapitre 16 de mon livre est consacré aux comportements et à la différence irlandaise. Les Irlandais ne comprennent pas du tout les blagues ou comportements sexistes. Ils sont beaucoup, me semble-t-il, plus intolérants par rapport à ce type de remarque. En Irlande, une fille se fera moins importuner qu'en France par des mecs qui draguent lourdement. Quand on va au pub avec un Irlandais, il offre la première tournée de Guinness. Après, il ne faudrait pas oublier de lui en offrir une en retour. Les Irlandais sont assez cool quand même. Par exemple, en voiture, ils klaxonnent rarement. Si des gens klaxonnent de manière impatiente, ce sont souvent des touristes. Les Irlandais laissent passer volontiers les autres automobilistes. On peut rouler lentement sans qu’on nous le fasse remarquer. En revanche, on peut être amené à attendre longtemps à un passage piéton. Il y a une sorte de priorité tacite aux voitures en Irlande. Les Irlandais ne sont pas très tactiles. Ils ne font pas la bise, mais préfèrent faire un "hug" à leurs proches. Sur l’Île, la parole est sacrée. C’est vrai que les Irlandais parlent beaucoup. Même aux inconnus, dans le bus par exemple. Ils sont aussi maîtres dans l’art de jurer. Des jurons sont souvent balancés à toutes les sauces pendant les conversations. Ça peut paraître un petit peu vulgaire, mais ce n’est pas méchant. Ils sont un peu latins dans l'âme aussi. Les Irlandais peuvent arriver sans problème un quart d’heure en retard à un rendez-vous.
Est-ce que ce n’est pas difficile de tomber dans les clichés quand on écrit un livre sur un pays et ses habitants ?
Si bien sûr. On a tendance un peu à généraliser. Il y a des gens et des profils tellement différents. Entre les gens qui arrivent, les nouveaux arrivés, les gens qui ont une connexion avec les États-Unis ou l'Angleterre… Mais il y a quand même des marqueurs. J’ai pas voulu généraliser. Sur les relations homme-femme, je ne suis pas allé trop loin. Les choses changent dans une société. Ce qui est vrai aujourd’hui ne l’est plus forcément dans 20 ans. Surtout dans une société comme celle de l'Irlande, qui évolue à une vitesse grand V. Mon livre n’est vraiment pas une brochure touristique. Il y a l'image mythique de l'Irlande qu’on croise dans les campagnes marketing et les guides touristiques et il y a l’Irlande plus proche de la réalité. Les bons côtés et les mauvais. Globalement, c'est quand même positif parce que c'est un petit peuple mine de rien. C’est cinq millions d'habitants quoi.
Il y a beaucoup de personnalités dans le monde qui ont des origines irlandaises insoupçonnées ?
Il y a beaucoup d'Irlandais qui ont émigré aux États-Unis, du coup il y avait énormément d'Américains d'origine irlandaise. Il y a par exemple, Barak Obama, et ça, c'est quand même incroyable. Une lointaine origine irlandaise de par sa mère. Il est venu, il y a une quinzaine d’année, faire un discours sur une place de Dublin. Il y avait au moins 200.000 personnes dans la rue. Le grand-père maternel de Mohammed Ali était aussi irlandais. Mais il y a également John Travolta, irlandais par sa mère, Robert de Niro dont l’arrière-grand-père paternel s’appelait Edward O’Reilly. Ernesto "Che" Guevara était aussi d’origine irlandaise. Son père Ernesto Guevara-Lynch a même dit "Dans les veines de mon fils coule le sang des rebelles irlandais." Après la grande famine, un million d'Irlandais sont partis aux États-Unis. A New York, dans les années 1850, un tiers de la population venait d’Irlande.
Qu'écoute-t-on ou lit-on en Irlande ?
C'est assez étonnant parce que, dans sa culture, notamment musicale et littéraire, l’Irlande foisonne. Aujourd'hui, beaucoup de jeunes femmes irlandaises excellent dans l'écriture. Nuala O’Faolain était une figure emblématique du féminisme des années 70. Elle a évoqué dans une demi-douzaine d’œuvres le sort des femmes irlandaises qui, en quête de liberté, ont été contraintes à l’exil au Royaume-Uni. C’est l’autrice du best-seller On s’est déjà vu quelque part ? paru en 1996. Il y a aussi la célèbre Sally Rooney qui a bouleversé le monde avec une histoire complexe entre deux adolescents : Normal People. Ce best-seller planétaire a même été adapté en série télévisée à succès. Les voix des Irlandaises sont également sublimes. Lisa Hannigan est vraiment exceptionnelle. Elle a composé une chanson à partir d'un poème de Seamus Heaney (Anahorish), un prix Nobel de littérature irlandais 1995. Un très grand poète, très connu dans le monde anglo-saxon, américain. Elle a mis en musique l'un de ses poèmes et c'est une magnifique chanson. Mes 100 mélodies irlandaises préférées sont sur ma playlist Spotify : Comprendre les Irlandais.
John Reichenbach a été invité sur le plateau de Stamm&Co pour parler de son guide interculturel. Retrouvez son passage ci-dessous.
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