800 commerçants de Colmar (Haut-Rhin) ont reçu un courrier de la part de l'office de tourisme, leur demandant de participer aux frais de sécurité engendrés par la tenue du marché de Noël. Si certains comprennent la démarche, d'autres estiment ne pas bénéficier des retombées économiques du marché.
"Comme tous les ans, je reçois le courrier, je l'ouvre, et je le déchire." Marie*, commerçante du centre-ville de Colmar (Haut-Rhin), est plutôt agacée quand on évoque avec elle la facture qu'elle reçoit chaque année en janvier.
Le courrier provient de l'office de tourisme de Colmar et sa région, et demande à l'ensemble des commerçants colmariens de participer aux frais de sécurité du marché de Noël, qui se tient de la fin novembre à la fin décembre. Il s'agit d'un "appel à contribution", qui n'est donc pas obligatoire, mais les commerçants sont très encouragés à payer leur part, car ils bénéficient "directement ou indirectement des retombées économiques des marchés de Noël", précise le courrier.
Cette réalité n'est pas ressentie de la même manière par tous les commerçants. "Le marché de Noël fait fuir ma clientèle, assure Marie. Fin novembre, nos clientes nous souhaitent de bonnes fêtes et nous donnent rendez-vous en janvier, pour les soldes, car elles ne viennent pas à Colmar pendant le marché de Noël." Alors, 125€, aussi dérisoire soit la somme, "c'est non, par principe !"
"Personne dans les boutiques"
Un constat partagé par Gisèle*. Sa fille gère une boutique, et remarque que les locaux désertent Colmar pendant le marché de Noël. "Les quelques personnes âgées qui arrivent jusqu'à nous sont contentes, car il n'y a pas d'attente dans les boutiques ; il n'y a personne." Pour autant, sa fille participera à l'effort de guerre. Une cinquantaine d'euros lui est demandée.
Plusieurs responsables d'échoppes nous confient que leur chiffre d'affaires est stable, voire baisse, en décembre. Des boutiques qui ne sont pas la cible principale des touristes qui visitent le marché de Noël : habillement, bijoux, lunettiers, beauté...
C'est le cas de Martine* qui tient sa boutique à quelques encablures de l'office de tourisme. Son chiffre d'affaires en décembre est toujours plus faible qu'en novembre. Alors, elle ne contribue pas. "Lors du marché de Noël, les touristes n'entrent pas dans ma boutique, et les Colmariens non plus", résume-t-elle. On sent également chez Martine une crainte révérencielle. "Peut-être que si je ne paie pas, je suis moins écoutée si j'ai une requête en mairie. Lors du précédent mandat (de Gilbert Meyer), la liste des commerçants qui n'avaient pas contribué avait été affichée publiquement."
106 millions d'euros de retombées
Depuis les attentats de Paris en 2015, le plan Vigipirate, par le biais des préfectures, contraint les villes à renforcer drastiquement la sécurité de leur marché de Noël. À Colmar, la somme s'élève à 280.000€ en 2022. Cela comprend principalement les frais des 30 agents privés de sécurité présents aux heures d'ouverture du marché. La somme est payée pour un tiers par les exposants du marché de Noël. Les deux tiers restants sont demandés aux commerçants.
800 boutiques, gîtes, restaurants et hôtels ont été sollicités pour l'édition 2022. Le montant demandé varie de 50 € à 800 € environ, selon la situation géographique (le commerce situé au centre-ville paie davantage) et le type de commerce (le restaurateur contribue plus que la boutique de vêtements). En moyenne, la contribution s'élève à 200€.
"Ce sont quand même 106 millions d'euros de retombées économiques pour la ville ? Je pense qu'il y a une prise de conscience de ce qu'apporte économiquement le marché de Noël au tissu économique et commercial", précise la directrice de l'office de tourisme, Claire Weiss.
Taxer les touristes ?
Pourtant, seul un commerçant sur deux s'acquitte de cette contribution. Soit un reste à payer de 90.000 euros pour l'office de tourisme. Preuve que le sujet est sensible et que les efforts de pédagogie de l'office de tourisme ne sont pas suffisants. La grogne de certains professionnels a été relayée par le conseiller municipal Benoit Nicolas sur les réseaux sociaux.
"Cette taxe sécurité est inacceptable et inéquitable. La sécurité relève du régalien et c'est l'affaire de tous. Ce n'est, au plan du principe, pas aux commerçants d'assurer la sécurité de tous, écrit l'élu sur Facebook, le 11 janvier 2023. Benoit Nicolas, pourtant élu sur la liste du maire (LR) actuel Eric Straumann, dénonce une pratique héritée de l'ancien maire Gilbert Meyer.
Alors qui doit payer ? Pour la Ville et l'office de tourisme, les choses sont claires : le système actuel est le bon. Il ne serait pas "acceptable" que l'ensemble des commerçants sollicités ne contribue pas, précise le fameux courrier. "Il est hors de question de subventionner la sécurité des marchés de Noël avec l’argent du contribuable", affirmait Eric Straumann dans les colonnes de L'Alsace le 14 janvier 2023.
Du côté des Vitrines de Colmar, on est plus tempéré. "On pourrait envisager de partager le montant entre les commerçants et les Colmariens", imagine Céline Kern-Borni, la présidente des Vitrines, qui est également administratrice de l'office de tourisme.
Pour les commerçants frondeurs, la solution est toute trouvée. Il faut faire peser cette dépense sur le portefeuille des touristes. "Ils sont les seuls à devoir être mis à contribution", ose même Benoit Nicolas. Même si la taxe de séjour a déjà été augmentée.
* : les prénoms ont été modifiés