PORTRAIT. Malvoyante, son opération tourne mal, "je devais récupérer une vie normale, elle s'est changée en quasi nuit"

Françoise-Amélie Brun est née sans iris. Malvoyante, elle a frôlé la cécité suite à une opération il y a trois ans. Une histoire qu'elle me raconte sans aucune sensiblerie, une histoire dont la Colmarienne a fait une force en allant dans les écoles primaires, rendant visible et palpable le handicap. Fafa ou la vie retrouvée.

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Parfois, il n'est pas nécessaire de se creuser le ciboulot pour trouver de belles histoires à raconter. Parfois une phrase, laissée comme une bouteille à la mer dans la boîte mails, suffit. Même lapidaire. "Je suis malvoyante, je suis une jeune femme de 25 ans. Je fais des interventions dans les écoles pour sensibiliser sur le handicap visuel, mais je suis aussi invisible."  "Fafa" donne ses coordonnées. Voilà pour l'incipit.

Aniridie congénitale

Derrière cette Fafa, pudique dans ses mots comme elle le sera dans ses paroles, se cache Françoise-Amélie Brun "oui, c'est trop long" me dit-elle. Fafa n'aime pas s'étendre.

Fafa est née avec une pathologie congénitale. Sans iris. Ses yeux sont deux perles noires irrégulières, cabossées. Ils sont moins de mille en France à être atteint d'aniridie, son nom savant. Les symptômes les plus courants sont la basse vision, l'éblouissement et la photophobie (hypersensibilité à la lumière). "C'était certes handicapant mais avec 3/10ᵉ à chaque œil, je ne me suis jamais considérée alors comme malvoyante. J'avais une vie quasi normale, avec de bonnes lunettes, je pouvais lire, écrire, me promener."

Il y a trois ans, Fafa décide de se faire opérer. "Je n'en pouvais plus de cette photophobie, cette douleur." Direction Bordeaux où on lui greffe deux iris artificiels, en silicone, soutenue par ses proches et toute la Bretagne, suite à un portrait d'elle diffusé dans Ouest-France. "C'est une opération qui n'est pas remboursée par la sécurité sociale, grâce à une cagnotte en ligne, j'ai pu rassembler les 9 000 euros nécessaires, c'était un formidable élan de solidarité."

Brume

Quelques mois plus tard, alors que sa vue s'améliore, Fafa a mal aux yeux, voit trouble. L'élan précède souvent la chute. En pleine période Covid, elle attend pour ne pas engorger des urgences déjà saturées. "Je me souviens exactement de la date : le 27 décembre 2020. J'arrive à l'hôpital, j'avais 50 de pression oculaire, à 60 les yeux explosent." Fafa a les yeux bien ouverts, pourtant "c'est le cauchemar qui commence."

Alors que je devais récupérer une vie tout à fait normale, elle s'est changée en quasi nuit

Françoise-Amélie Brun

Le diagnostic tombe : un glaucome. "L'iris artificiel est venu frotter contre la cornée qui a blanchi. Le nerf optique était atteint". La vue de Fafa est passée de 3/10ᵉ à 1/50ᵉ.  À la limite de la cécité. "Alors que je devais récupérer une vie tout à fait normale, elle s'est changée en quasi nuit."

Fafa subit une douzaine d'opérations en trois ans pour faire baisser la pression, dont une greffe de la cornée en septembre dernier. "C'était soit ça, soit perdre la vue et vivre dans le noir. Je vois un peu mieux et ça peut encore augmenter. Je préfère rester optimiste et forte."

Fafa me décrit le monde qu'elle perçoit aujourd'hui, ses ombres. "Je vis dans un hammam. Tout est flou. Je distingue les silhouettes, les contours des personnes, la couleur des cheveux, mais pas les vêtements, pas les détails, pas les réactions des visages. Je ne peux plus lire ni écrire." Fafa ne nourrit aucune rancœur, aucune colère, elle est clairvoyante. "Je savais que c'était risqué, le médecin qui m'a opérée s'en veut déjà beaucoup, à quoi bon ?"

Fafa préfère se tourner vers les lueurs, d'espoir, pour avancer d'un pas sûr dans sa brume.

Ouvrir les yeux sur le handicap

Fafa a dû renoncer à sa vie "d'avant" pour en construire une autre, plus adaptée, sans en être pour autant moins belle.  "J'ai perdu mon emploi, incapable que je suis désormais de lire les documents ou déchiffrer la monnaie, les billets. Quand on est dans la vente, c'est un problème." La jeune femme s'est résolue à s'équiper d'une canne. "Là, ça a été un choc. C'est tout un symbole : celui de la perte d'autonomie, de liberté. Je suis dépendante d'un objet. Je sens les regards des autres et ça ne m'affecte pas directement parce que, finalement, je ne les vois pas, mais je les sens sur mes proches ..."

J'apprends à rester positive, à garder la tête haute

Françoise-Amélie Brun

Un long chemin, brumeux, comme pour tout un chacun, vers la connaissance de soi. "J'apprends oui à rester positive, à garder la tête haute", à voir plus loin. Fafa a repris des études : un bachelor (bac+3) en ressources humaines, spécialité qualité de vie au travail. Des études à distance avec synthèse vocale et textes révisés à la loupe de l'ordinateur. "J'adore ce que je fais, je veux être utile, faire du bien". Fafa aimerait travailler en milieu hospitalier pour "rendre tout ce qu'on m'a donné".  Et puis, c'est un monde qu'elle connaît.

En parallèle, Fafa retourne sur les bancs de l'école. Au sens propre. Elle intervient dans deux écoles élémentaires de Colmar sur le handicap et le harcèlement. Les deux étant hélas trop étroitement liés. "J'en ai beaucoup souffert au collège où dans les vestiaires du gymnase, les filles me photographiaient quand je me déshabillais. Je ne les voyais pas, je les devinais, je me sentais si vulnérable". Un traumatisme qu'elle exorcise aujourd'hui avec humour. 

"Je leur fais créer des cannes blanches malvoyantes ou non-voyantes, faire des parcours les yeux bandés, un jeu de pendu en braille, des chorégraphies. Les enfants sont plus réceptifs que les adultes, c'est beaucoup plus naturel." Les enseignants aussi ont droit à leur atelier pratique : "des séances de cécifoot, l'alphabet en braille. Ça me fait un bien fou, ça, de me rendre utile." 

2024 s'annonce toute aussi palpitante. Un diplôme, une association "j'aimerais bien aussi", un livre et peut-être un bébé avec Romain, son amour de collégienne qui l'a, lui, depuis toujours soutenue. "Il est jeune, il aurait pu en trouver une autre, ça doit être ça l'amour hein ?" Fafa aimerait faire une PMA avec diagnostic préimplantatoire afin d'éviter à son enfant de naître comme elle. Romain, lui, s'en moque. "Il dit que je suis débrouillarde, que notre enfant le sera aussi." Cette phrase sera la dernière, elle ressemble à Fafa. Lumineuse, dans ses ombres.

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