Le syndrome d’Ehlers-Danlos est une maladie génétique rare, aux symptômes disparates et douloureux, affectant le tissu conjonctif. Méconnue des médecins, il faut 20 ans, en moyenne, pour la diagnostiquer. C'est le cas de Cindy qui a créé une antenne locale de l'association SED'in France à Colmar.
"J’ai toujours eu des problèmes de santé depuis mes 6 ans. Je souffrais de luxations, de troubles digestifs sans raisons apparentes. Les médecins ne comprenaient pas ce qui se passait", explique Cindy, une Colmarienne de 32 ans affectée par le syndrome d’Ehlers-Danlos, ou SED, une maladie génétique rare.
Cette maladie protéiforme passe facilement sous les radars des médecins tant les symptômes, pris isolément, peuvent paraître banals. "Quand ils sont associés, il faut se poser des questions. Voilà ce qui fait le malheur des patients", explique le médecin Daniel Grossin, président du GERSED (groupe d'étude et de recherche du syndrome d'Ehlers-Danlos), une association créée en 2015 regroupant des soignants.
Des manifestations cliniques disparates
Selon les personnes, et à des degrés divers, les signes cliniques sont extrêmement variés: fatigue, hypermobilité (souplesse extrême des articulations), luxations, peau fine et fragile, douleurs musculaires, articulaires et abdominales, migraines, troubles proprioceptifs, etc.
L’origine commune de tous ces dysfonctionnements vient d’une altération héréditaire du tissu conjonctif, tissu formant la charpente de tous les organes. L’ensemble du corps est touché. "C’est une maladie systémique", souligne le médecin.
"La plus fréquente des maladies rares"
Le nombre de personnes touchées par cette maladie est évalué, selon les données officielles, à environ 10.000. Un nombre largement sous-estimé, plus proche de 500.000 selon le médecin pour qui "cette maladie est la plus fréquente des maladies rares". En moyenne, un médecin formé détecte cinq patients dans sa patientèle. Chiffre auquel il faut ajouter les personnes d'une même famille puisque la maladie est transmissible.
Certains patients s’en accommodent plus ou moins, d’autres sont véritablement handicapés.
Une lubie, encore, pour certains spécialistes
Pour Cindy, le malheur est double: une maladie qui empire avec le temps, un corps médical qui ignore sa souffrance réelle. Faute d’être enseigné à l’université, le SED, pourtant identifié depuis plus d’un siècle, est largement méconnu par les médecins. Il faut en moyenne 20 ans pour le diagnostiquer. Quand il n'est pas ignoré, voire refusé, il est souvent confondu avec d’autres pathologies: la fibromyalgie, les polyarthrites, la maladie de Lyme, l’endométriose, etc. "Il existe même encore des spécialistes en France pour dire que ça n’existe pas, que c’est une lubie", s'emporte Daniel Grossin. Cindy aura, elle, attendu 22 ans le diagnostic, "22 années d’errance médicale", précise-t-elle.
Des patients bien souvent livrés à eux-mêmes
Avant de pouvoir poser un mot sur ce qu'elle ressent, Cindy a dû composer, "faire avec". Jusqu’au jour où son corps a fini par lâcher: "C’était en mars 2016, j’avais 27 ans, je ne pouvais plus marcher, je ne comprenais pas ce que j’avais. Je suis restée immobilisée sur mon lit pendant six mois, en attendant qu’on veuille bien me prescrire un fauteuil roulant. Mon mari m’aidait, il m’apportait de quoi faire ma toilette au lit, j’avais une chaise percée à proximité". Après ses études, quelques années plus tôt, c'est maintenant son travail qu'elle est obligée d'arrêter.
On s’acharne à me dire que c’est dans ma tête que ça se passe.
Le cas de Cindy laisse perplexes son médecin traitant et son kinésithérapeute: "Ils ne trouvaient pas normal que je ne puisse plus marcher. Les radios et autres imageries médicales ne montraient rien de visible". Aucune cause mécanique, ni physiologique, ne paraît expliquer son état. Malade imaginaire, Cindy ? Le verdict des soignants laisserait le supposer: pour eux les dysfonctionnements sont d'ordre psychologique. "On s’acharne à me dire que c’est dans ma tête que ça se passe. J’en étais arrivée au stade où je me disais, ‘si j’arrive à me provoquer des symptômes à ce point-là qu’est-ce que je vais encore provoquer d’autres’ ?".
Pourtant, s’il lui arrive de douter d’elle-même, Cindy a du mal à croire que c’est elle le problème. "J’avais d’importantes dystonies, des contractions douloureuses et des mouvements brusques involontaires". Avant son immobilisation, elle se souvient par exemple, de ce jour où son bras est "parti" tout seul: "J’étais au restaurant avec une amie, et sans le vouloir, j’ai lancé mon sandwich à travers la salle". Cindy souffre aussi de désordres proprioceptifs, avec troubles de l’équilibre, vertiges et des jambes qui lâchent sans raison. "Je me suis rendu compte que j’en avais toujours eu mais là ils se sont vraiment aggravés".
Des médecins mal à l’aise
Comme le rappelle le président du GERSED, ces patients souffrent d’une maladie systémique : "Ils vont avoir mal trois mois dans le genou droit, puis au coude gauche, puis des migraines, puis ensuite des palpitations ou encore des malaises. Ces personnes affectées par le SED font « c…. » les médecins qui leur donnent des traitements qui ne les soulagent pas. Ils souffrent toujours de quelque chose". Les patients mettent en difficulté les médecins qui finissent par les renvoyer vers un psychiatre.
La piste psychiatrique, vers laquelle Cindy a été dirigée par son médecin, est réglée, elle, en trois séances. Le psychiatre ne voit rien qui justifie de poursuivre dans cette voie. Il est par contre le premier à lui conseiller d’aller voir un médecin rééducateur. "On ne m’en avait jamais proposé jusqu’à présent", s'étonne encore Cindy.
Un déclic salvateur
Sa vie s’éclaire alors d’un jour nouveau. "Dès qu’elle m’a vue, la médecin rééducateur a commencé par prendre mes doigts et à les bouger. Puis elle a testé ma laxité sur l’ensemble de mon corps. Après un questionnaire, elle a conclu que je souffrais d’un syndrome d’Ehlers-Danlos. C’était la première fois que j’entendais parler de cette maladie". Cindy comprend, avec quelques explications de la part de la médecin rééducateur, que tout ce qui ne va pas chez elle est dû à cette maladie. Sa tête va bien.
Si j'avais été diagnostiquée plus tôt, je n'en serais pas là.
Il lui aura donc fallu attendre 22 années avant de tomber sur le bon médecin. Le temps moyen pour obtenir un diagnostic du SED en France. Cindy a alors 28 ans et mesure le temps perdu. "Si j'avais été diagnostiquée plus tôt, je n'en serais pas là".
Car si la maladie est incurable, il existe en revanche des traitements et des prises en charge qui soulagent les patients. Les vêtements compressifs, les ceintures lombaires, permettent de recouvrir des sensations corporelles et une meilleure motricité. L’oxygénothérapie agit sur la fatigue, les migraines et les douleurs, la kinésithérapie sur la proprioception.
Après la double peine, la triple injustice
Mais avant de pouvoir bénéficier de tous ces soins, les patients doivent encore subir ce qu'appelle, et dénonce, le médecin Daniel Grossin, une triple injustice. Après l’errance médicale s'ouvre pour les diagnostiqués SED le parcours kafkaïen du dédale administratif français.
Première injustice: les caisses d’assurance maladie exigent des patients un diagnostic délivré par le centre de référence parisien ou par l'un des douze centres de compétence disséminés en région. Une condition sine qua non pour obtenir une prise en charge. "Moi, médecin du GERSED, ou un médecin traitant s’il remplit parfaitement la grille du PNDS (protocoles nationaux de diagnostic et de soins), ne pouvons valider le diagnostic auprès des caisses alors que je connais le SED depuis 9 ans et que je pratique tous les jours", s'indigne Daniel Grossin.
Deuxième injustice: le délai d’attente va de dix mois à deux ans, voire trois. Les centres de référence sont en effet engorgés par l'afflux des demandes de rendez-vous. Garches, le centre parisien pour adultes, a un délai d’attente de deux ans. "Ils sont obligés de filtrer les rendez-vous pour qu’il n’y en ait pas trop", explique le médecin.
Troisième injustice: des traitements ont été interdits parce qu’ils n’ont pas fait l’objet d’étude en double aveugle alors que cela n’est pas nécessaire pour les maladies rares. "Ces médicaments sont connus et suivis par les médecins du GERSED. On en a une expérience sur des milliers et même des dizaines de milliers de patients. Les centres de référence ne s’appuient, eux, que sur des textes", pointe le président du GERSED.
Un système absurde
Pour lui, le constat est clair : le système est absurde, il faut revoir l’organisation de fond en comble. "C’est pour cela qu’on existe: pour faire évoluer la filière OSCAR (os-cartilage) qui régit ces maladies rares, le SED appartenant à cette filière".
Cindy obtient son diagnostic certifié au centre de référence parisien en 2018, après dix mois d’attente. Dans la foulée, elle change totalement d’équipe médicale. Son nouveau médecin traitant , formé au SED, la prend au sérieux. Il l’oriente vers des traitements adéquats. Des spécialistes la conseillent et lui prescrivent des vêtements compressifs, une ceinture lombaire, de l’oxygène. "Avec mon kiné, deux fois par semaine, je fais en sorte de ne pas perdre plus de muscles. Je n’en ai jamais eu beaucoup mais après des mois passés au lit et dans un fauteuil roulant, j'en ai beaucoup perdu et je ne pourrai pas les récupérer". Cindy ne retrouvera probablement pas la faculté de se tenir debout ni de marcher, alors l’étape administrative suivante sera de constituer un dossier d’invalidité.
Son mari l’aide dans les tâches du quotidien. Ils ont décidé d’un commun accord de ne pas avoir d’enfants. "Techniquement, je pourrais, il n’y a aucun problème, c’est juste que le SED est transmissible. L’enfant ne le développe pas forcément mais il est forcément porteur du gêne".
Informer, sensibiliser
Pour sortir de l’isolement et approfondir ses connaissances sur la pathologie, Cindy rejoint l’association SED’in France. Là, elle dit y avoir trouvé la documentation nécessaire pour l'aider à comprendre sa maladie. "Tout le corps est touché, sauf le cerveau", se plaît-elle à dire, comme un pied de nez aux médecins qui renvoient leurs patients vers les psychiatres. En juin dernier, pour créer plus de proximité avec les adhérents alsaciens, elle lance une antenne locale à Colmar. "On organise quelques sorties ludiques entre adhérents, un groupe de parole sur Facebook permet aux patients et aux conjoints de patients de communiquer entre eux". L'antenne locale peut aussi être contactée par mail à l'adresse suivante: sedinfrance.centrealsace@gmail.com
Pour l'instant cela représente une quinzaine de foyers au niveau de l’Alsace, moins de dix au niveau de l’antenne locale. Ce n'est qu'un début mais Cindy a bon espoir que le message de sensibilisation passe de mieux en mieux, tant au niveau du corps médical que chez les patients souvent sous-informés.