Guerre au Congo : une Alsacienne engagée auprès des victimes de viols et de mutilations

Artiste alsacienne engagée, Grâce Dakpogan soutient les survivantes de crimes de guerre en République démocratique du Congo par ses concerts. Elle a aussi commencé des études de droit pour les défendre un jour devant un tribunal international.

Tout commence en 2015 pour Grâce Dakpogan. A l'époque, la native d'Issenheim est éducatrice à l'ASE (Aide sociale à l'enfance). Elle chante aussi : "J'ai toujours chanté, puis j'ai commencé à faire des concerts humanitaires au bénéfice de l'Afrique. Et j'ai découvert par hasard ce qui se passait en RDC [République démocratique du Congo, ndlr]. J'ai été prise d'une grande tristesse de découvrir une guerre "par hasard", parce qu'on en parle si peu. Ça m'a déprimée et choquée."

S'ensuivent des mois et des mois de lectures, de recherches, pour comprendre ce conflit et ses origines. Plonger dans les horreurs d'une guerre, et notamment les crimes commis contre les civils, les femmes en première ligne.

Le premier choc a été de découvrir par un hasard ce conflit en RDC. Il y a la guerre et personne n'est au courant.

Grâce Dakpogan, éducatrice et chanteuse engagée

"Je ne parle plus de "viols", parce que c'est au-delà du viol. Quand les miliciens arrivent dans un village, ils rassemblent tout le monde. Ils violent les filles et les femmes, de tout âge, puis ils les mutilent, avec des couteaux ou des armes à feu. Ils essaient de détruire systématiquement les organes des femmes, c'est d'une cruauté sans nom". 

Destruction des organes des filles et des femmes 

Grâce fait une pause dans son récit. "Il s'agit de destructions systématiques et planifiées des organes des femmes et des filles, pas d'autre chose."

"Moralement ils détruisent la communauté, ils opèrent un contrôle total sur les villages par la terreur. On pourra ensuite piller leurs ressources sans qu’ils disent rien. Plus personne ne s'y oppose, c'est impossible de se battre contre ça."

Les ressources, ce sont les minerais (cobalt, coltan et or) convoités par les multinationales. Pour construire des ordinateurs, des téléphones et des voitures électriques entre autres. Le conflit dure depuis plus de 25 ans et "le viol est utilisé comme arme de guerre", selon le docteur Denis Mukwege.

Des concerts au profit de l'hôpital de Panzi

Après ce premier choc, elle se remet en question. "Ça ne suffit pas de ressentir quelque chose, d'être choquée. Ce qui compte c'est ce que l'on fait de ses émotions. Moi j'ai décidé de m'informer un maximum pour sensibiliser les autres. J'ai commencé à en parler autour de moi, j'ai beaucoup écrit sur les réseaux sociaux."

Avec les musiciens qui l'accompagnent, elle décide de lever des fonds pour l'hôpital Panzi du docteur Denis Mukwege, le gynécologue qui "répare les femmes" en RDC : "C'était le moyen concret d'aider financièrement l'hôpital et les médecins sur place. On faisait à l'époque 2 à 3 concerts humanitaires par an".

Le gynécologue congolais a reçu le prix Sakharov en 2014 puis le prix Nobel de la paix en 2018. Grâce à la médiatisation de son travail et de son combat pour les femmes congolaises, on a plus parlé de cette guerre et des crimes subis par les femmes congolaises

Des études de droit pour aider les victimes

Le 11 mai 2019, elle rencontre le docteur Mukwege à Paris, lors d'une de ses conférences. "Je m'en souviens encore, c'était un samedi, à l'université Panthéon Sorbonne. J'ai pu le rencontrer en privé après sa conférence. Ces quelques minutes ont changé ma vie". Grâce Dakpogan a un sourire dans la voix.

Je me suis demandé comment je pouvais aider plus. Il parlait de la nécessité de créer un tribunal international. J'ai décidé de tout arrêter pour commencer des études de droit.

Grâce Dakpogan, alsacienne engagée pour la RDC

En septembre 2022, l'ancienne éducatrice entame son master à l'université de Mulhouse, après avoir obtenu sa licence à la Sorbonne. "Pour moi, ça a du sens. D'avoir pu faire cette licence à l'endroit où j'avais prix ma décision, où j'avais rencontré le docteur Mukwege. J'aimerais beaucoup devenir avocate et participer un jour à ce tribunal international, pour aider."

Les femmes qui passent par l'hôpital Panzi s'appellent les survivantes. "Ce ne sont pas des victimes, c'est important : moi je veux maintenant leur rendre justice. Ce serait prétentieux de dire que je vais y arriver. C'est un rêve, j'espère y arriver."

Une visite à Bukavu

En avril 2022, elle se rend en RDC, et rencontre une seconde fois le docteur Mukwege. Elle visite l'hôpital et tous les organismes qui gravitent autour. "C'est un village ! Il y a l'hôpital général, et à côté il y a le service spécialisé des violences sexuelles : c’est là que sont les survivantes, avant ou après l’opération."

Et c'est un nouveau choc pour l'étudiante en droit. "J'avais beau m'être informée depuis 7 ou 8 ans, voir ces femmes de tous âges, c’est le plus éprouvant, ça m’a marqué. J'y pense tous les jours, matin et soir. Il y a là des petites filles, des femmes, et des personnes âgées. Ça va sur des générations entières ! Quand on est dans son confort, en France, on apprend ça mais on ne se rend pas compte. Ça m'a bouleversée, je me suis dit : "il n'y a plus de limite à la barbarie".

"Mais j'ai vu des femmes debout, elles ont une force de vie que je ne soupçonnais pas, et c'est ça qui est merveilleux. Il faut dire qu'elles sont aussi très entourées. Médicalement mais aussi socialement, psychologiquement. Il y a les "mamans chéries", des assistantes sociales qui sont toujours avec elles."

Voir ces femmes de tous âges, c’est le plus éprouvant, ça m’a marqué. J'y pense tous les jours, matin et soir.

Grâce Dakpogan, en visite à l'hôpital Panzi qui répare les femmes en RDC

Autour de l'hôpital, des ateliers ont vu le jour, elles fabriquent des bijoux et des sacs, pour assurer leur subsistance, puisqu'elles sont souvent rejetées par leurs familles. Entre 50.000 et 70.000 femmes sont passées par l'hôpital Panzi.

Depuis son retour, Grâce Dakpogan raconte ce qu'elle a vu et ses rencontres avec ces survivantes. "Ce voyage a eu des conséquences incroyables. Ici, certains pensent que c'est plus sérieux puisque j'y suis allée vraiment. Là-bas, après mon départ, des femmes ont recommencé à parler. C'est important de leur montrer qu'elles existent."

Le prochain concert de Grâce Dakpogan aura lieu vendredi 9 septembre 2022 à 20h à l'église Sainte Foy de Sélestat, tous les bénéfices de la soirée iront à la fondation Panzi du docteur Denis Mukwege.

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