L'entreprise mulhousienne, Arketex, vient de lancer un revêtement textile à base de lin pour remplacer les plaques de plâtre utilisées dans la construction. Léger, facilement recyclable, ce nouveau matériau se veut écologique et 100% local.
De la suite dans les idées, Hervé Munck, patron quinquagénaire d'une entreprise basée à Mulhouse, n'en manque pas. Depuis 24 ans, l'entrepreneur mulhousien propose de la toile tendue pour remplacer le plâtre utilisé en plaques sur les murs et les plafonds dans le secteur du bâtiment. Cette technique a le mérite d'être beaucoup moins énergivore que la fabrication du plâtre et de réduire considérablement les déchets et gravats générés par la construction.
Pour bien planter le décor, Hervé Munck explique : "Pour un logement de 100 m² de plafond, on va fabriquer selon la méthode classique de la plaque de plâtre, 1,2 tonnes de matériel. Matériel qu'il faut transporter, mettre en œuvre et un jour recycler. Les alternatives en textile, pour la même surface, vont utiliser 42 kg de matériau". Soit un rapport de un à trente si on compare leur poids au mètre carré : 420 g pour le revêtement textile, 12 kg pour pour une plaque de plâtre. Les trois quarts des déchets d'une grande ville comme Paris proviendraient de la construction, déplore Hervé Munck.
Le procédé de la toile tendue a une incidence énorme sur la réduction de la pollution, veut convaincre Hervé Munck. Mais celui-ci ne se satisfait pas de ce constat et veut aller encore plus loin. En 2019 il crée Arketex, une société orientée sur le développement d'un nouveau matériau technique à base de lin, destiné à habiller les plafonds et les murs.
Basée au sein de la cité du numérique KM0, à Mulhouse, la jeune pousse, qui emploie six salariés, parvient à mettre au point une toile tendue, baptisée Arkelin, après trois ans de recherche et de développement et environ 100.000 euros d'investissement.
Produire local
"L'idée qui m'a motivé dans la création d'Arketex, explique Hervé Munck, c'est de concevoir et de développer un revêtement textile naturel que des partenaires, dans un circuit très court, se chargent d'industrialiser". Le lin provient de Normandie, région de France où pousse 80% du lin mondial, le fil est fabriqué à Hirsingue où le groupe Pierre Schmitt a installé une filature au sein de l'entreprise Emanuel Lang, le fil est tissé dans les Vosges et le tissu obtenu imprimé à Colmar.
Le circuit de la filière lin se déploie ainsi sur une distance d'à peine 1.000 kilomètres, de la semence à l'impression du textile. Du 100% made in France se réjouit Hervé Munck. Le lin, plante aux multiples qualités sur laquelle il ne tarit pas d'éloges, méritait bien ça : "c'est sans doute la fibre textile la plus vertueuse qui existe aujourd'hui au monde".
Produire écologique
Ce qui est sûr, c'est que la fibre de lin incarne, à ce jour, le produit au plus faible bilan carbone parmi les matériaux utilisés dans la construction : "Quand vous produisez du lin, vous n'utilisez pas d'autre eau que celle qui tombe du ciel, sa culture ne nécessite aucune irrigation, et vous n'avez recours à pratiquement aucun intrant", souligne le patron d'Arketex. Un bilan carbone exceptionnellement bas à comparer avec celui du secteur du bâtiment responsable de quasiment un quart des émissions de gaz à effet de serre en France.
Pour parachever le tableau, en plus d'être écologique et renouvelable, la fibre de lin aurait des qualités intrinsèques fort utiles pour les constructeurs. "La qualité première du lin est d'absorber les variations de température et d'humidité, elle s'adapte aux conditions de la pièce. C'est une matière vivante thermorégulatrice et hygroscopique". La deuxième qualité, et non des moindres, réside dans l'acoustique et le rendu lumineux des pièces. "Une toile peut absorber la moitié, voire la totalité, de la résonnance selon son épaisseur, contre 2 à 3% pour une plaque de plâtre". Un matériau idéal pour des salles de concert, souligne Hervé Munck.
La tradition du textile imprimé
De formation artistique, ancien élève des Beaux-Arts de Mulhouse, Hervé Munck dit avoir passé des journées entières au musée des impressions sur étoffes (MISE) ainsi qu'au musée du papier peint (MPP) de Rixheim tout proche. Deux musées qui conservent un riche patrimoine textile datant du passé industriel de Mulhouse. Une tradition qu'il tient à faire renaitre dans ses impressions sur toile tendue en lin. Le patron d'Arketex a noué ainsi des partenariats avec la Réunion des musées nationaux et le musée des Arts décoratifs de Paris qui lui permettent de rééditer des œuvres anciennes.
Grâce à la technologie d'impression en haute définition UV LED, des tableaux du Louvre ou du musée d'Orsay notamment, peuvent reproduites avec fidélité sur la toile tendue. "Cette technologie innovée dans les années 2000 permet un rendu exceptionnel des couleurs".
Ces décors, anciens ou modernes selon la demande du client, sont conçus de façon numérique. "C'est pour cette raison que nous sommes basés au KM0, la cité du numérique et de l'industrie", fait justement remarquer le fondateur d'Arketex.
A la conquête du marché
Pionniers sur ce secteur de la toile tendue en lin, Hervé Munck et son équipe n'ont qu'un souhait :"on a lancé le produit et pour l'instant nous sommes les seuls mais un bon produit doit être copié, c'est ce qu'on espère. Il faut d'autres acteurs sur le marché pour aller de l'avant". En attendant sur le marché du plafond, cela reste un produit de niche. "Sur les 100 millions de mètres carrés posés chaque année en France, la moitié l'est en plaques de plâtre, 30% en plafonds modulaires et seulement à 1 à 2% en plafonds tendus", rappelle t-il.
Pas facile de s'imposer dans ces conditions mais Hervé Munck y croit. Le prix d'un plafond tendu blanc n'est pas plus cher que celui en plaque de plâtre, c'est-à-dire entre 50 et 75 euros du mètre carré. Pour une toile imprimée, le prix se situe aux alentours d'une centaine d'euros, "le prix d'un beau papier peint". A cela s'ajoutent des perspectives plus que prometteuses pour l'avenir de la société : la signature d'un contrat de distribution exclusif vers les Etats-Unis et l'ouverture prochaine d'un show-room à Paris. De quelque 860.000 euros en 2021, le chiffre d'affaires devrait passer le cap du million d'ici la fin de l'année.