Dans les années 1990, Jean-Luc Daub devient enquêteur en abattoir pour une association de protection animale. Il passe 15 ans à relever les infractions de ce milieu dont les violences sont encore peu connues. Avant tout quitter pour se consacrer à l'ouverture d'un refuge pour animaux d'élevage à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin). Rencontre.
Il était un temps (plutôt récent) où le bien-être animal n'était pas un sujet de société. Jean-Luc Daub, ancien enquêteur dans les abattoirs pour le compte de l'OABA (Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs), en sait quelque chose. De 1993 à 2008, cet Alsacien a découvert des violences inouïes dont le grand public n'avait pas encore conscience. Jusqu'à y laisser sa santé mentale.
Après avoir quitté son travail, Jean-Luc Daub s'est mis à accueillir des animaux d'élevage à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin), à 40 km de Colmar. Son refuge était né, un peu par accident. La dénommée Ferme d'Henni le cochon, du nom de son premier animal sauvé, cumule près de 10 000 abonnés sur Facebook et Instagram.
Vous avez commencé en vous engageant dans une association de protection animale. Pourquoi ?
Quand j'étais ado, mes parents avaient une ferme et c'est moi qui m'en occupais. J’étais plus souvent fourré avec les animaux qu’avec ma propre famille. Un boucher a débarqué un bon matin et a abattu mes deux cochons devant moi. Ça a été marquant. Inconsciemment, je me suis engagé en tant que bénévole à la SPA à cause de ce traumatisme.
Comment êtes-vous devenu enquêteur en abattoirs ?
En 1993, j’ai commencé à m’intéresser à l’abattoir de Strasbourg. J’y allais jour et nuit, prendre des photos des camions de transport d'animaux. J’ai présenté mon enquête à Paris à l’OABA (Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs) et ils m’ont débauché de la SPA en voyant mon travail. C’est comme ça que j’ai fini enquêteur en abattoirs.
En quoi consistait votre métier ?
Je me rendais dans les abattoirs et je constatais les infractions par rapport aux textes législatifs. Puis j'en faisais un compte rendu à l'OABA qui le remontait aux autorités compétentes, en fonction de la gravité des infractions relevées. Grâce à ça, [l'OABA] a réussi à faire mettre en place pas mal de lois.
À l’époque, dans les abattoirs, il n'y avait personne pour se soucier du bien-être des animaux.
Jean-Luc Daub
À l’époque, dans les abattoirs, il n'y avait personne pour se soucier du bien-être des animaux. Les services vétérinaires se penchaient surtout sur le sanitaire et l'hygiène. Parfois, j’étais mal vu, car pour eux, vous êtes en train de contrôler leur travail. J’ai été frappé, menacé. Mais il ne faut pas se laisser intimider.
Est-ce que vous saviez à quoi vous attendre dans les abattoirs ?
Non, ce n’est pas du tout le même contexte qu’aujourd'hui. Il n'y avait pas de réseau de militants quand j’ai commencé, pas d’action dans les rues, pas de débat dans la société, pas de vidéos qui montraient ce qu'il se passait…
À l’intérieur, c'est à 360°. Devant vous, il y a l'abattage des veaux et derrière, vous entendez hurler les cochons sur leur chaîne d'abattage.
Jean-Luc Daub
Je me souviens, c’était très violent la première fois. À l’intérieur, c'est à 360°. Devant vous, il y a l'abattage des veaux et derrière, vous entendez hurler les cochons sur leur chaîne d'abattage.
J'ai vu des choses écœurantes, révoltantes. Les animaux qui hurlent parce que l'abattage est raté ou que l'étourdissement a mal été fait. J'ai vu des situations où on coupait les pattes des vaches alors qu'elles étaient toujours conscientes, alors que dans la réglementation, il faut attendre la fin de la saignée complète. Ou alors, ils leur ouvraient le ventre, et il y avait un veau dedans...
Pourquoi avoir arrêté ?
Toutes les infractions se répétaient comme si c'était banal. Je commençais à faire des cauchemars de cochons se débattant dans des grands bains d'eau chaude [utilisés pour faciliter l'enlèvement des poils, ndlr]. Et je ne pouvais pas en parler. On n'avait pas le droit de parler de ce qu'on voyait en détail, de divulguer des photos...
Les psychiatres ont pensé que je faisais une décompensation. Personne n'avait été en abattoir, donc pour eux, ce que je racontais, ça ne pouvait pas exister.
Jean-Luc Daub
Je ne voulais pas arrêter, pour ne pas abandonner les animaux, mais je n'ai pas eu le choix. J'ai dû être hospitalisé en psychiatrie. Mais là-bas, les psychiatres ont pensé que je faisais une décompensation. Personne n'avait été en abattoir, donc pour eux, ce que je racontais, ça ne pouvait pas exister.
Quel a été le déclic pour ouvrir ce refuge ?
Je ne me suis pas dit : "je vais ouvrir un refuge". En 2016, j'étais en burn-out et je me suis remis à aller voir des animaux dans des prés. Un jour, j'ai découvert un cochon dans un élevage qui était plus avenant que les autres. Il avait le même regard que ceux en abattoirs. Avec des amis, on l'a acheté et on l'a sorti de là.
À l'abattoir, on n'avait pas vocation à sortir les animaux, mais là, je me suis dit que je devais faire quelque chose. À la base, je voulais juste le sauver lui. Pas ouvrir un refuge.
Le refuge a pourtant bien grandi ?
Oui, ça s'est fait petit à petit. Je partageais l'arrivée d'Henni sur Facebook, ses repas, etc. Et il y a des gens qui ont voulu venir faire du bénévolat, ou des mamans qui voulaient venir avec leurs enfants.
Ça a pris tellement d'importance qu'on a créé l'association La ferme d'Henni le cochon en 2021. On a accueilli des lapins, des poules sauvées de batterie, des boucs, une truie...
Vous avez aussi sauvé une truie. Racontez-nous.
Je suis allé à cette fête de village. C'était festif, très sympa. Mais au centre du village, il y avait cette jeune truie exposée comme une attraction. Et elle venait d'un élevage intensif, où elle n'avait jamais vu d'humains, jamais entendu de musique, jamais été sous le soleil.
Si c'était pour faire de la pédagogie auprès des enfants, il y avait mieux que la mettre en face du stand de saucisson.
Jean-Luc Daub
Les gens essayaient de la caresser mais c'était effrayant pour elle. Si c'était pour faire de la pédagogie auprès des enfants, il y avait mieux que la mettre en face du stand de saucisson.
À la fin de la journée, j'ai fait pression sur l'éleveur pour qu'il nous la cède et il a accepté : il n’était pas en règle du début à la fin. Un vétérinaire a constaté les nombreuses blessures sur Douzig, dont les coups de soleil. La fondation Bardot a porté plainte et cette fois-ci, le procureur a suivi. Ce n'est pas une victoire contre les organisateurs ou les éleveurs, mais c'est une victoire pour la prise en compte du bien-être animal.
Quelle suite pour le refuge ? Et pour vous ?
Là, on est dans une situation difficile. Je cherchais un associé parce que c'est difficile de gérer un refuge. Tout seul, je ne suis pas sûr de pouvoir continuer. Mais même si mon refuge disparaît, je compte aider à en développer d'autres, y donner un coup de main.
J'ai aussi des projets d'écriture. Il y aura des livres par rapport à La ferme d'Henni le cochon, c'est sûr. Je vais aussi continuer à sensibiliser à la condition animale à travers des conférences.