La fermeture annoncée de la boulangerie de Langres à cause d'un conflit de voisinage a suscité l'émoi dans la commune haut-marnaise, mais aussi dans toute la France. L'avocat des voisins regrette l'ampleur médiatique qu'a pris cette affaire.
RTL, TF1, BFM, Le Parisien, Le Figaro et maintenant Libération, les médias nationaux se sont emparés depuis fin décembre du conflit qui oppose une boulangerie de Langres, en Haute-Marne, à un couple de voisins. "C'est une affaire qui prend des proportions qui n'ont absolument pas lieu d'être alors qu'on parle juste de travaux pour faire cesser des nuisances sonores, estime Maître Florent Soulard, l'avocat des voisins. Que la presse régionale en parle, d'accord, mais là c'est un emballement médiatique que je ne comprends pas. Mes clients sont traînés dans la boue par la presse et les réseaux sociaux."
Arrivés en 2009, les voisins se plaignent depuis août 2011 de nuisances sonores à la suite d'un changement de matériel dans l'atelier de la boulangerie Gallien. Après plusieurs années de négociations infructueuses entre les deux parties, ils saisissent le tribunal de grande instance de Chaumont qui leur donne raison en juin 2019.
S'appuyant sur une expertise judiciaire qui reconnaît le "trouble anormal du voisinage", la justice ordonne à la société Gallien de "procéder aux travaux de réparation nécessaires pour la réduction des niveaux sonores". S'il ne réalise pas ces travaux, l'artisan Eric Gallien devra payer une indemnité journalière de 100 euros à la partie adverse à compter du 28 janvier 2020.
Je suis complètement dégoûté, j'ai une affaire familiale qui a 56 années d'existence. Depuis une dizaine d'années, on a déjà beaucoup de difficultés.
- Eric Gallien, boulanger à Langres
Des travaux qui coûtent chers
Seulement, cette mise en conformité coûte cher. Eric Gallien l'estime environ à 120.000 euros entre les travaux, le manque à gagner et les dommages et intérêts à verser aux voisins. Les époux Gallien ont bien tenté de contester le jugement, mais la cour d'appel de Dijon a débouté en décembre leur demande "d'arrêt de l'exécution provisoire", estimant que "l'exécution des travaux préconisés n'apparaît pas (...) de nature à mettre en cause la pérennité de l'entreprise". "Dégoûté" par toute cette bataille judiciaire, le boulanger de 58 ans envisage de fermer boutique, à seulement quatre ans de la retraite. Plusieurs employés se retrouveraient au chômage.La boulangerie, située en plein centre de Langres, a reçu le soutien de la population locale, mais aussi de nombreux internautes à travers toute la France. Un groupe Facebook a également été créé. En début de semaine, la municipalité a organisé une réunion de la dernière chance avec les collectivités locales.
L'histoire de ce boulanger a suscité l'émoi dans la presse et sur les réseaux sociaux, au grand dam de l'avocat des voisins : "Il y a une très grande malhonnêteté dans la présentation des faits, d'un côté le gentil boulanger, de l'autre les méchants voisins. Ils sont transformés en bourreaux alors qu'ils sont victimes".
Pour Me Soulard, la justice a tranché : "M. Gallien viole la loi, le code de la santé publique, depuis plus de huit ans, il aurait dû prévoir une provision pour faire des travaux. Pour un simple problème de bruit qui aurait pu être résolu il y a huit ans, il raconte qu'à cause de ses voisins, il est obligé de fermer et de licencier ses employés".
Il perd devant les tribunaux et refait le procès dans la rue, c'est un procédé antidémocratique.
- Me Florent Soulard, avocat des voisins de la boulangerie
Les voisins montrés du doigt
Depuis la médiatisation de cette querelle de voisinage, le couple de plaignants est soumis à la vindicte populaire des réseaux sociaux et subit aussi, d'après leur avocat, menaces et insultes. "Ils ont vécu une fin d'année terrible, épouvantable, déplore Me Soulard, dont les clients ne souhaitent pas s'exprimer. Ils ont le sentiment que toute une population est contre eux et le vivent très mal. Ils ont peur et craignent aussi pour leur propre commerce."Plusieurs internautes appellent ainsi au boycott de la boutique que la voisine possède dans une commune proche de Langres. Pour l'avocat, cette histoire cause aussi un préjudice à ses clients qui veulent vendre leur maison.
Sur la page Facebook de soutien à leur boulangerie, Carole Gallien a essayé la semaine dernière de modérer les propos des plus virulents. "Même s'il fait chaud au cœur, votre soutien prend des proportions qui nous dépassent totalement, concède la boulangère (...). Notre but n’était pas d’inciter à la haine, à la délation ou à la diffamation, ni de refaire le procès. Nous avons été condamnés par la justice. Juste ou injuste chacun est libre d’en juger, en son âme et conscience... Mais faites attention à ce que vous écrivez et qui pourra être retenu contre vous." Ses nombreux soutiens sont prévenus.