Arrivé en France il y a six ans pour fuir son pays, la République centrafricaine, Ahmed Salem est une nouvelle fois menacé d’expulsion. Installé à Langres (Haute-Marne) depuis 2020, celui qui s’est fait une place dans la vie associative de la commune peut compter sur ses nombreux soutiens.
30 jours. C’est le temps donné à Ahmed Salem pour quitter le territoire français. Le 13 décembre 2024, la préfecture de la Haute-Marne a donné un mois à Ahmed Salem pour retourner dans son pays d’origine, la République centrafricaine. Un arrêté qui fait suite à sa demande de titre de séjour, d’abord restée sans réponse, puis refusée. Il est aussi interdit de retour en France pendant 18 mois.
Et c’est une situation qu’il ne connaît que trop bien. En mai 2023, il avait été placé en rétention administrative à Metz, avant d’être emmené à l’aéroport de Roissy. Mais son expulsion avait été stoppée après son refus de monter à bord de l’avion. À l’époque, à son retour à Langres, il avait été acclamé et applaudi par son entourage, soulagé et ému.
Ahmed Salem, le « grand frère de tous les gamins »
Depuis son arrivée à Langres en mai 2020, Ahmed Salem donne tout son temps pour les autres. Bénévole pour des associations caritatives et humanitaires, comme la Croix-Rouge Française, le Secours Populaire ou les Restos du Cœur, il est aussi un sportif passionné. Footballeur pour être exact. Joueur et entraîneur dans son pays d’origine, il a naturellement trouvé sa place au sein du CO Langres (club omnisports) comme coach auprès des jeunes, et capitaine de l’équipe première du club.
Un encadrant très apprécié des enfants. "Il donne de la joie aux autres, de l’importance au club et il est très attentionné", s’exclame Hafsa, 8 ans. "Il rigole beaucoup avec nous. Si on perd, il nous dit que ce n’est pas grave", ajoutent Yanis et Oussine, 10 ans. Bienveillant et rassurant, Ahmed Salem est un moteur pour le club. "Il est tous les jours au stade avec les gamins. Pour le quartier c’est phénoménal, c’est le grand frère de tous les gamins. Il est admiré de tous, et est toujours de bonne humeur", sourit Rémi Stramare, membre du conseil d’administration du CO Langres. À bientôt 30 ans, Ahmed Salem mesure la chance qu’il a : "Tout le monde me tend la main, les enfants ont le cœur grand ouvert, les parents aussi, mes coéquipiers. Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont soutenu."
En janvier, Ahmed Salem doit commencer une nouvelle formation d’entraîneur U14 et U19 à Chaumont. Dans le même temps, il compte suivre une autre formation pour devenir arbitre. Mais l’OQTF (obligation de quitter le territoire français) pourrait bien changer tous les plans. Depuis la publication de l'arrêté préfectoral, c’est l’incompréhension et la colère pour ses proches.
Une OQTF incompréhensible pour ses proches
"On vit très mal la situation. On ne comprend pas cet acharnement. Il n’a rien fait, il a juste demandé à être accueilli", s’exaspère Marouane Jehimi, salarié du club. "On va tout faire pour qu’il obtienne ses papiers bientôt. On ne le laissera pas tomber, bien sûr."
Ahmed Salem lui aussi trouve cette décision administrative illogique. Alors il s’est tourné vers son avocate, Me Dominique Clemang, pour déposer un recours auprès du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (Marne). Afin de lui donner un peu plus de temps et un nouvel espoir de rester en France. Aujourd’hui, l’entraîneur de football oscille entre résilience et résignation : "Dans la vie, il y a des hauts et des bas. Ce n’est pas la fin du monde, je suis toujours en vie. Mais je ne peux pas rentrer dans mon pays. Peut-être que je peux tenter ma chance en Espagne, en Belgique, en Italie ou en Allemagne. Peut-être que ces pays me protégeront si la France ne veut pas me protéger". Avant d’en arriver là, il peut compter sur le soutien de son entourage : "Je pense qu’on généralise trop, qu’il n’est juste qu’un numéro. Mais il faut l’analyser par rapport à l’homme qu’il est. Un homme dévoué et serviable, qui donne tout son temps pour tout le monde. Le renvoyer chez lui, c’est l’envoyer à l’abattoir. C’est très grave", s’indigne Rémi Stramare. Si la situation n’évolue pas, les membres du club n’excluent pas de se mobiliser à nouveau pour se faire entendre.
Le renvoyer c’est lui, c’est l’envoyer à l’abattoir
Rémi Stramare, proche d'Ahmed Salem
La République centrafricaine en guerre civile depuis 2004
Ahmed Salem a quitté son pays en 2019, soit six ans après la bataille de Bangui en pleine troisième guerre civile. Le jeune réfugié n’a pas été épargné par les violents affrontements qui ont éclaté le 5 décembre 2013 : "On a vu des choses, des enfants tués, des jeunes, des amis, des parents". Malgré plusieurs cessez-le-feu, la guerre civile se poursuit en Centrafrique depuis 2004. "Je ne peux pas retourner là-bas, je ne peux pas ressasser le passé. Peut-être que ma vie est en danger, je ne sais pas…"
Son histoire a ému les Langrois. "Quand vous savez comment il s’est sauvé de là-bas, comment sa famille a été tuée… Il est arrivé en France après un parcours très long. Il s’installe, il dit ‘je veux vivre ici à Langres’ où il fait froid, il trouve des gens qui l’accueillent, il s’inscrit dans le tissu social, et on lui dit ‘non tu ne peux pas rester, tu dois partir’. On connaît la situation dans son pays, la guerre est en place, il risque de mourir", s’émeut André Desmarecaux, ancien membre du club de football.
Sa vie en République centrafricaine, Ahmed Salem veut la mettre derrière lui, et aller de l’avant en France. Son plus grand souhait ? Obtenir enfin un titre de séjour pour signer un contrat de travail à Langres. Le jeune homme, mécanicien d’origine, est déterminé à trouver un emploi dès que possible. "Ici j’ai appris beaucoup de métiers : peinture, déménagement… Je sais aussi conduire. Là, j’ai même des promesses d’embauche", annonce-t-il fièrement. "Dernièrement, on lui proposait une formation pour apprendre le métier de menuisier en lien avec Entr’in 52", enchaîne Rémi Stramare, membre du conseil de direction de l’entreprise d’insertion basée à Langres. Ce dernier ajoute : "Aujourd’hui on a besoin de main-d’œuvre. Il faut du personnel, même non qualifié, mais qu’on va former. Et Ahmed, c’est quelqu’un qui veut travailler et qui est plein de bonne volonté".
Le recours auprès du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne sera déposé au plus tard le 13 janvier, date butoir. La décision pourrait tomber dans les prochains mois. Tous les soutiens d’Ahmed Salem espèrent une issue heureuse pour qu’il puisse enfin poursuivre sereinement son chemin dans sa ville d’adoption et de cœur, Langres.