Les radios libres fêtent leurs 40 ans : retour sur l’aventure de Lorraine Cœur d’acier

2021 est l’année d’un double anniversaire, celui de Radio Tour Eiffel créée en 1921 et celui de la libération des ondes en 1981. Installée en mars 1979 par la CGT pour défendre la sidérurgie, Lorraine Cœur d’acier défia pendant 17 mois le monopole d’Etat des ondes.

«Nous avons débarqué à Longwy avec trois chemises.»    

41 ans après sa disparition, "Lorraine Cœur d’acier" continue d’inspirer de nombreuses œuvres et travaux : thèses universitaires, documentaires, livres, pièce de théâtre et BD revisitent l’histoire de la radio de lutte emblématique des années 70. Marcel Trillat décédé en septembre 2020, c’est son complice et co-animateur le journaliste Jacques Dupont qui monte au créneau de la mémoire: « avec Marcel nous avons débarqué avec trois chemises. On pensait animer la radio quelques jours avant qu’elle ne soit interdite et rentrer à Paris. Nous sommes restés 17 mois ».

En mars 1979, les sidérurgistes préparent la grande manifestation parisienne du 23 mars. La radio doit mobiliser les troupes. Les deux journalistes posent une condition pour l’animer : "Lorraine Cœur d’acier" doit être ouverte à toute la population et toutes les sensibilités doivent pouvoir s’exprimer à l’exception du front national. Michel Olmi responsable de l’union locale se souvient : « nous n’étions pas des activistes. LCA a eu le mérite de rassembler des gens de sensibilités différentes, c’est ce qui a fait sa force ». Le bureau de l’union locale CGT après de houleux débats accepte le principe de l’ouverture des ondes à toute la population.         

« Une expérience extraordinaire de fraternité »

40 ans après, Jacques Dupont est encore sous le coup de l’émotion lorsqu’il évoque cette expérience hors du commun : « Cela a été une expérience démocratique incroyable et une expérience extraordinaire de fraternité. Toute une région mobilisée pour sauver ses usines s’est emparée de la parole » Car c’est bien d’émancipation dont il est question. Ouvriers, femmes, immigrés, enseignants, artisans, enfants, qui voulait la parole entrait dans le studio et la prenait. Vélia Di Sabattino, épouse de sidérurgiste témoigne : « nous les femmes nous n’osions pas prendre la parole. Les deux journalistes savaient s’y prendre avec beaucoup de tact, alors nous avons raconté au micro nos existences de femmes de sidérurgistes. C’était incroyable »

Les deux journalistes ont posé une deuxième condition pour l’animer : elle doit avoir pignon sur rue. Marcel Trillat pose la question aux militants CGT : « Saurez-vous protéger la radio de l’intervention des forces de l’ordre ? »  un Michel Olmi hilare répond: « ne vous inquiétez pas, vous ne verrez pas l’ombre d’un CRS à Longwy » Le studio installé dans le hall de l’hôtel de ville et l’émetteur sur le clocher de l’église, LCA émet pour la première fois le 17 mars 1979.

«On s’en fout, on verra»

Michel Olmi reconnait aujourd’hui que sa réponse tenait un peu de la fanfaronnade. La radio s'était montée dans l’improvisation, une plongée dans l'inconnu.  Allait-elle ne vivre que quelques heures ? ou quelques mois ? ce à quoi les membres du bureau de l’union locale CGT répondaient invariablement : « on s’en fout, on verra » et Michel Olmi renchérit : « président de LCA j’ai été convoqué au tribunal mais comme le rapport de force nous était favorable, j’ai été relaxé »

LCA a fonctionné 17 mois avant d’être sabordée par celle qui l’avait fait naitre : la confédération CGT. Une fin brutale voulue par Henri Krasucki et qui mit un terme à la politique d’ouverture prônée par Georges Séguy. Pour les acteurs de la radio cela a été vécu comme une tragédie. Jacques Dupont a mis 20 ans pour accepter de reparler de son expérience longovicienne,  Michel Olmi qui assuma les responsabilités de l’aventure comme responsable de l’union CGT et président de la radio fut renvoyé au bas de l’échelle ouvrière comme manœuvre. Marcel Trillat tout aussi amer réintégra la télévision publique tout en continuant son activité militante. Sans parler de tous les anonymes qui souffrirent en silence.

« J’ai appris à vivre.»

Ironie de l’histoire, LCA qui ne vécut que 17 mois est toujours bien vivante. La sortie chez Futuropolis en avril 2021 de la BD « Lorraine Cœur d’Acier » de Vincent Bailly et Tristan Thil  est un véritable succès. Nul doute que Marcel Trillat aurait apprécié de voir ces deux jeunes hommes s’emparer de ce grand moment de notre histoire sociale. Décédé en septembre 2020 c’est son complice le journaliste et oenologue Jacques Dupont qui monte au créneau : « j’ai l’impression d’être le dernier poilu que l’on fait témoigner sur son expérience des tranchées » et il rajoute : « quand je suis sorti de là, j’avais appris à vivre et en terme de démocratie directe, on n’a jamais fait mieux ».

Michel Olmi résume sa pensée: « quand on parvient à mobiliser les salariés et la population dans toutes ses sensibilités et ses différences, on peut arriver à changer les lois » Le neuf novembre 1981, la gauche arrivée au pouvoir permet enfin aux radios libres d'émettre en modulation de fréquence.

Les archives sonores de LCA disponibles en coffret

Les archives sonores de "Lorraine Coeur d'Acier"  ont été réunies dans un coffret de 5 CD accompagnés d'un DVD "une radio dans la ville" documentaire d'Alban Poirier et Jean Serres. Ce patient travail thématique a été mené à bien par Pierre Barron, Raphaël Mouterde et Frédéric Rouziès.

VO Editions, NSA la vie ouvrière

Case 600- 263 rue de Paris. 93516 Montreuil Cedex

 

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