L'aquaponie, ce n'est pas un sport qui se pratique dans l'eau sur un poney. C'est une technique agricole basée sur l'élevage de poissons et de culture hors-sol, qui se veut durable et rentable. Rencontre avec Pierre Harlaut, originaire de Romain dans la Marne, qui importe le concept en France.
"Il y a huit ans, je n'avais encore jamais planté un radis." Pierre Harlaut est du genre à ne pas s'arrêter. S'il n'avait jamais rien cultivé avant 2013, le Marnais forme désormais des centaines d'agriculteurs en devenir à l'aquaponie, une technique agricole mêlant pisciculture et culture hors-sol. D'un côté, les poissons sont élevés dans des bacs et leurs excréments servent d'engrais pour les plantes. "Je ne suis toujours pas agriculteur aux yeux de l'Etat français", regrette-t-il. Une lacune que Pierre Harlaut aimerait combler au plus vite.
Du marketing à l'aquaponie
Originaire de Romain (Marne), un village situé entre Fismes et Jonchery, le trentenaire fait partie de ceux qui "ont changé de vie". Diplômé de l'école de commerce Néoma à Reims et en marketing numérique à l'école Léonard de Vinci à Paris, le Marnais menait la grande vie. Une belle situation à Paris, un carnet d'adresse bien rempli. Mais sa santé l'a rattrapé. "Je me sentais mourir sur un lit d'hôpital, lance-t-il. J'ai fait le bilan et je me suis dit que je n'avais rien accompli."Ni une, ni deux, Pierre Harlaut revient dans son village natal et opère un virage à 180 degrés. "Dans le fond, je suis un peu autiste donc je suis bien dans la nature", sourit-il en roulant sa cigarette. Fini les costumes et la surconsommation, Pierre n'en veut plus. Il découvre l'aquaponie et s'y plonge la tête la première. "Il y a six ans, il n'y avait même pas une définition sur Wikipédia." Depuis, le Marnais y a consacré un livre, qui a été téléchargé plus de 25.000 fois.
La ville de Paris s'est d'ailleurs montrée très intéressée par la méthode, très propice au milieu urbain. "On peut cultiver dans de petits espaces et à hauteur d'homme", argue le fondateur d'aquaponie France. A tel point que l'aquarium de Paris s'y est mis, et qu'une ferme de 1.000m2 a ouvert ses portes à Aubervilliers.Depuis deux ans, les agriculteurs nous regardent d'un oeil différent. Quand je suis arrivé il y a quatre ans sur la Foire de Châlons, ils me prenaient pour un hippie, un utopiste. Maintenant qu'on a montré que le système pouvait être rentable, on intéresse plus de monde.
- Pierre Harlaut, fondateur de la Fédération aquaponie France.
Cultiver sans pesticide pour préserver les poissons
En parallèle, il se met également à la permaculture, une autre technique agricole qui consiste à créer des écosystèmes de manière durable et économe en énergie. Que ce soit la permaculture ou l'aquaponie, le jeune homme n'utilise aucun pesticide. Par "cohérence" d'abord, et par nécessité. "On pourrait être tenté de dire qu’on va traiter, mais les poissons sont très sensibles et mourraient. Celui où celle qui voudrait traiter ne pourrait pas." Pendant longtemps, Pierre Harlaut a voulu s’installer en Corse ou en Bretagne. Mais c'était sans compter les personnes âgées avec qui il travaillait. Ces dernières l'ont convaincu de revenir dans la Marne, où l'agriculture intensive est majoritaire. "Ils m'ont dit : 'Ton combat est ici, dans la zone des pesticides.'"
Et le bien-être animal dans tout ça ? A l'encontre des idées reçues, des études scientifiques prouvent que les poissons peuvent être victimes de dépression et ressentent la douleur. "On travaille sur le standard bio, justifie Pierre Harlaut. On ne met pas plus de 25 poissons au mètre cube." Et d'insister : "On est sur une mouvance éthique."
Développer l'aquaponie dans les écoles
A 33 ans, le Marnais a encore des projets plein la tête. Il aimerait avoir plus de temps pour développer l'aquaponie dans les écoles. "Les enfants sont très sensibles aux poissons. Ils sont très affectés quand l'un d'eux meurt", explique le passionné, très courtisé par des écoles suisses. Et d'ajouter : "L'aquaponie leur permet de comprendre le cycle de la nature. Le poisson nourrit la plante, qui nourrit le poisson, qui nourrit la plante."Mais d'abord, Pierre Harlaut doit se rapprocher de la chambre d'agriculture et obtenir son diplôme d'agriculteur. Le Graâl lui permettrait de vendre sa production et gagner correctement sa vie, car pour l'heure, il ne se paye qu'un mois sur deux. Mais il l'assure, désormais, il est heureux.