Alors que les pays occidentaux multiplient les sanctions prises contre la Russie, les répercussions sur l'agriculture française pourraient être conséquentes. Entretien avec Hervé Lapie, président de la FDSEA 51, syndicat agricole de la Marne.
Alors que la "guerre" succède à la "crise" en Ukraine ce jeudi 24 février, des sanctions contre la Russie ont été annoncées le 23 février par l'Union européenne, après la décision de Vladimir Poutine de reconnaître des territoires séparatistes de l'Ukraine.
Si le premier "paquet de sanction" vise pour l'instant 351 députés russes de la Douma, qui ont voté la reconnaissance de l'indépendance des deux territoires, Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a aussi précisé que des entités comme des banques seraient visées. Il a averti sur Franceinfo que d'autres sanctions étaient à prévoir en cas d'"annexion" des territoires séparatistes.
Du côté des agriculteurs, l'interrogation et les craintes sont là. A la veille du salon de l'agriculture, le sujet sera sans doute évoqué à la Porte de Versailles. Nous avons sollicité Hervé Lapie, président de la FDSEA 51, syndicat agricole de la Marne.
Quelles sont vos craintes pour l'agriculture française ?
Hervé Lapie : "Ces sanctions de l'Union européenne vont forcément donner lieu à une riposte de la part de la Russie. Nous sommes inquiets parce que Vladimir Poutine pourrait mettre en place des mesures de rétorsions contre les produits européens. Ce qui mettrait en difficulté certains secteurs agricoles en France. La filière porcine par exemple souffre de la concurrence avec son homologue russe, et cette situation pourrait fragiliser les élevages de porcs français.
On sait aussi que l'Ukraine et la Russie représentent 20 à 25 % des exportations mondiales de blé. Si les Russes mettent la main sur la production ukrainienne, alors cela pourrait déséquilibrer les marchés, et faire exploser la tension autour des matières premières. Certains pays pourraient se retrouver au bord de la pénurie alimentaire, comme le Liban dont la consommation de blé dépend à 50 % de la production ukrainienne.
Autre problème : le gaz que nous utilisons vient en grande partie de la Russie. Si Poutine décide de jouer sur les prix ou de limiter son exportation, alors les coûts de production vont être plus lourds pour nos agriculteurs."
L'agriculture française a-t-elle déjà connue pareille situation ?
Hervé Lapie : "Oui, lors de l'embargo russe de 2014, lorsque la Russie a annexé la Crimée. Les sanctions européennes de l'époque ont eu des conséquences énormes : l'agriculture française a perdu près d'un milliard d'euros ! Sans importations agricoles, la Russie a donc dû développer une agriculture industrielle pour nourrir sa population.
J'ai été récemment sur place pour voir comment elle fonctionne. On ne fait clairement pas le poids en France. Les exploitations là-bas peuvent mesurer plus de 40 000 hectares. Entre 2001 et aujourd'hui, la Russie est passée de 36 à 80 millions de tonnes de blé produits chaque année !
Dans le même temps, la production française a baissé du fait des nombreuses normes environnementales. La Russie a récupéré bon nombre de nos marchés. Ce sont eux désormais qui fournissent en majorité des produits agricoles aux pays du Maghreb. Et on ne retrouvera jamais les volumes que nous avons perdu en 2014."
Comment peut-on se prémunir de telles conséquences ?
Hervé Lapie : "Il faut que l'Union européenne analyse la portée des sanctions qu'elle va infliger à la Russie. Elles vont forcément avoir des conséquences sur plusieurs secteurs stratégiques européens, il va donc falloir mettre en place des compensations financières. Ce n'est pas le tout de faire un beau discours, de dire "on va fermer le robinet" aux Russes. Il faut aussi prévoir les conséquences que cela peut avoir sur notre économie.
En tout cas, nous serons vigilants à ce qu'une vraie réponse soit apportée pour l'agriculture française. On interpellera les candidats à l'élection présidentielle à l'occasion du salon international de l'agriculture (26 février-6 mars). Il ne faut pas que l'on nous oublie comme en 2014."