Alterhis est un Youtubeur qui parle d'histoire. Mais d'une manière peu traditionnelle, via l'uchronie : il change le déroulé de certains évènements, ou le destin d'une poignée de personnages historiques... et en imagine les conséquences. Certaines de ses vidéos ont dépassé le demi-million de vues.

Vous ne vous êtes jamais demandé quel aurait été le destin du monde si Hitler avait gagné la Seconde Guerre mondiale ? Il s'agit généralement de la première question qu'on se pose quand on parle d'uchronie; et du sujet du Maître du Haut Château, géniale oeuvre du grand écrivain américain Philip K. Dick depuis adaptée en série. Plus localement, le thème a été traité par Éric-Emmanuel Schmitt dans son livre La Part de l'autre , imaginant que le futur dictateur n'est pas recalé à son école d'art viennoise (une vidéo reprend l'oeuvre avec justesse).

L'uchronie, c'est un terme dérivé du grec chronos (le temps). Cela consiste à imaginer les conséquences à plus ou moins grande échelle d'un changement dans la trame de la grande histoire : tel personnage ne meurt pas prématurément, telle bataille perdue est en fait gagnée, etc. C'est ce qu'on appelle un point de divergence.

Alterhis est un vidéaste sur Youtube (un peu plus sérieux et académique que Mastu, par exemple). Son fonds de commerce, c'est justement l'uchronie. Et ce pari a pris : 312.000 personnes sont abonnées à sa chaîne, et il arrive que certaines de ses vidéos atteignent le demi-million de vues. Il y joue avec ses points de divergence en les narrant d'une voix tranquille et enthousiaste, avec des images en fond. Une sorte de Père Castor 2.0 en vidéo qui s'inspirerait des Mémoires de guerre de De Gaulle plutôt que des contes européens.


"Je pense que l'uchronie se répand de plus en plus en France.", confie-t-il (Alterhis, pas De Gaulle) à France 3 Champagne-Ardenne. "C'est déjà le cas dans le monde anglo-saxon, et ça arrive dix ans après chez nous. Elle gagne en popularité, on parle souvent des séries comme Le Maître du Haut Château ou For All Mankind, où ce sont les Soviétiques qui plantent en premier leur drapeau sur la Lune. Il y a aussi eu Points de repère sur Arte [disponible sur Salto; ndlr] qui a exploité le même concept. Il y a quelques années, les gens ne comprenaient pas quand j'expliquais mon concept. Maintenant, ils sont beaucoup plus réceptifs et comprennent mieux, car ils ont tous vu un exemple. Je passe moins pour un alien qu'avant."

Les prémices d'un succès

Le jeune homme a déjà eu les honneurs de la - sa - presse régionale, mention au Courrier Picard. Mais il a eu la bougeotte. "Je suis né à Paris [le 30 octobre 1995; ndlr], mais n'y ai vécu qu'un an. J'ai grandi en Picardie, où j'ai passé mon enfance et mon adolescence près de Chantilly et Senlis puis Creil jusqu'à mes 17 ans. Ensuite, je suis parti faire mes études de commerce à Angers. Et maintenant, j'habite à Paris depuis 2017." 

Rien à voir avec l'est de la France, donc. Sauf qu'on apprend en début d'une de ses plus récentes vidéos (à l'intitulé sympathique : la découverte des villes de l'histoire où il faisait le plus bon vivre) qu'il descend ("d'une manière très éloignée") du fondateur de la maison Ruinart. Rien de moins que la plus ancienne des maisons de champagne, un fait qu'il a découvert en faisant la promotion de MyHeritage, un logiciel de généalogie en début de vidéo : la sponsorisation des vidéos est l'un des moyens, avec la publicité, pour le vidéaste de vivre de son art. Il possède également un Tipeee (sorte de tirelire virtuelle que ses soutiens peuvent remplir dès un euro). 

Voilà qui lui fait un point commun avec Corentin, descendant de la maison de champagne Faniel... et rédacteur en chef de la prestigieuse Gazette du sorcier dont nous avions parlé. Les vidéos d'Alterhis s'égarent d'ailleurs parfois dans la fiction, et il s'est justement demandé ce qu'aurait donné une guerre dans Harry Potter entre le monde magique et celui moldu (il s'intéresse aussi à l'uchronie dans des univers de fiction, d'Astérix au Seigneur des Anneaux).

C'est ce qui m'a permis de sortir de mes études avec un projet qui marchait déjà.

Alterhis, conteur d'histoire alternative

On pourra relever qu'il n'y a pas grand-chose à voir entre les cinq années d'études du jeune homme et ce qu'il fait aujourd'hui, donc. "Je ne savais pas trop quoi faire à l'époque, alors je suis me suis orienté dans la voie la plus généraliste que je pouvais trouver." C'est justement durant cette période que sa chaîne Youtube est née (c'était le 15 décembre 2014). "C'est ce qui m'a permis de sortir de mes études avec un projet qui marchait déjà : j'y avais passé mes week-ends, mes vacances."

"Et à la fin de mon stage de fin d'études, j'ai décidé de me lancer là-dedans de manière sérieuse. C'était un risque mesuré : à l'époque, j'atteignais déjà 120.000 abonnés, et j'avais mis de l'argent de côté. Je m'étais donc donné un an pour arriver à faire quelque chose en me payant un salaire. J'y ai toujours un peu songé." Et au final, il a eu raison. 

Changer l'histoire, changer le monde (sans bouquet de roses)

La genèse de cette chaine de vidéos alternatives historiques (d'où le pseudonyme Alterhis, vous l'avez ?) remonte aux vacances de Noël 2014. "Je m'ennuyais beaucoup. J'étais chez mes parents. Je n'avais pas de projet à moi et je passais mon temps devant le PC à regarder des forums anglophones de What if, avec beaucoup de textes et d'images." À traduire par "Et si", la base de l'uchronie. Par exemple : et si Napoléon n'était pas devenu empereur ?

Ce dernier est un abonné non pas d'Alterhis (ils ne vivaient pas durant le même siècle, si vous avez suivi), mais du domaine de l'uchronie. Le vidéaste s'est d'ailleurs souvent interrogé au sujet du monarque, imaginant sa victoire à Waterloo, ou à Trafalgar, ou encore durant la campagne de Russie. Non sans soupeser le fait que la France aurait pu garder la Louisiane (vendue par ce dernier pour financer ses guerres, voir vidéo ci-dessous), ou présenter les femmes qui composaient sa Grande armée, fait méconnu présenté dans un livre de Georges Blond. Pour l'anecdote, Napoléon serait d'ailleurs l'objet de la première uchronie littéraire, écrite dès 1836. 

"Au bout d'un moment, j'ai regardé un peu ce qui se faisait sur Youtube. Et je me suis dit : personne ne fait d'uchronie. Le Youtube de l'époque était très différent. Aujourd'hui, il y a peut-être une centaine de chaînes qui font de l'histoire : et encore, j'en découvre tous les jours. À l'époque, c'était une dizaine à tout casser, par exemple Nota Bene qui marchait déjà bien, d'autres plus gros d'aujourd'hui n'existaient pas encore. Je me suis dit : si personne n'en fait, pourquoi pas moi ? J'ai donc fait ma première vidéo avec le micro dégueulasse de mon ordi portable et des compétences inexistantes en montage. Il y a eu de premiers bons retours... et voilà."

Alterhis peut utiliser comme point de divergence un évènement précis : la victoire des Gaulois à Alésia contre César, la Bretagne qui reste indépendante en remportant la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, le Titanic qui ne coule pas. Mention aussi à la France qui gagne la guerre de Sept ans en 1763, la faisant accéder au titre d'hyperpuissance mondiale. Il reprend aussi des concepts bien plus larges, sources d'immenses bouleversement comme la survie des dinosaures, un Empire romain industrialisé (oui ça aurait pu arriver), l'esclavage qui ne voit jamais le jour, ou l'Amérique qui n'existe carrément pas (l'Humanité ne serait pas allée bien loin). 

Étoile montante

Le thème de la grande première, publiée le jour du solstice d'hiver 2014 : et si la France avait continué le combat et refusé l'armistice en 1940 ? "Si seulement tous les cours d'histoire étaient comme ça", pointe l'un des commentaires, qui reviendra souvent au fil des ans. Justement, "c'est un moyen d'intéresser à l'histoire : une manière détournée, un bon point d'entrée. Pour faire une bonne uchronie, il faut être bien au courant du contexte."  Lequel est systématiquement vulgarisé en début de vidéo. Avec cette manière originale d'enseigner l'histoire, le succès va venir petit à petit (comme pour les bande-dessinées Jour J, que le vidéaste a toutes lues). C'est le début d'une véritable carrière, car "ça vient en pratiquant", et près de 160 autres vidéos vont suivre. 
 
"Le point de bascule, ça a peut-être été les 100.000 abonnés. Là, je me suis dit : c'est gros quand même, ça fait pas mal de gens." Youtube lui décerne même un trophée argenté pour cette performance : c'était à la mi-2017, alors qu'il sortait de son fameux stage de fin d'études. "Qui s'est très mal passé, d'ailleurs. C'était dans une start-up. C'est le côté sombre de la start-up nation, celui qu'on ne voit pas à la télé. Il y a quand même 90% d'entre elles qui [se ramassent] les premières années... Mais je digresse : j'étais alors confronté au choix de continuer ce boulot qui, honnêtement, [m'embêtait] un peu beaucoup; ou alors de me consacrer à fond à ma chaîne. Le choix a été très très vite fait." 

Une vidéo publiée sur ladite chaîne prend un peu de temps. "Avoir l'idée ne prend pas le plus de temps. Je ne me suis jamais vraiment creusé la tête, sauf quand j'ai voulu changer un peu  de format récemment. Ça me vient par ci par là, parfois sous la douche... Ce qui va prendre le plus de temps, c'est la phase d'écriture. Pour 20 minutes de vidéo, ça et le tournage, le montage vidéo et de la voix, la mise en ligne avec le lancement... Ça prend deux semaines. Dix jours pour une vidéo de 15 minutes. En ce moment, j'ai un rythme d'à peu près trois vidéos par mois, mais c'est parce que je bosse pas mal."

Traiter des sujets parfois difficiles

Parmi les difficultés, il peut y avoir l'algorithme de Youtube. "Même si je suis plutôt épargné comparé à d'autres." On peut citer par exemple Joueur du Grenier ou Antoine Daniel (et même le camarade Nota Bene). "J'ai longtemps eu des problèmes avec des démonétisations sauvages de Youtube." La monétisation, c'est le principal moyen pour les vidéastes d'engranger des revenus, via la publicité. Tant de personnes voient la vidéo et donc la publicité, et tant d'argent atterrit dans la poche d'Alterhis. Mais ça ne marche que pour les vidéos consensuelles, pas violentes ou liées à des joyeusetés comme la drogue, les sévices sexuels, ou la guerre et ses exactions (en gros si on parle d'Hitler - qui réunit quasiment tous ces critères - ça ne va pas).

Et justement, vu l'importance du dictateur dans le déroulé du XXe siècle (comme Napoléon pour le XIXe), Alterhis l'a fort logiquement évoqué plusieurs fois, outre sa vidéo sur La Part de l'autre : s'il avait remporté la Seconde Guerre mondiale, ou jamais accédé au pouvoir, ou encore renoncé à envahir l'URSS, sans oublier de le doter de la bombe atomique ou d'"armes merveilleuses". Alterhis l'a même dressé contre Gengis Khan, tyran sanguinaire à la tête du plus grand empire continu de l'histoire, dans une configuration improbable et aussi originale qu'intéressante (il l'a aussi fait entre une division de l'Armée américaine et l'Empire romain). 

"Aujourd'hui, j'ai beaucoup moins de problèmes", assure-t-il. "J'ai l'impression de passer un peu sous les radars. Ça m'arrive très peu." Son principal écueil est plutôt la neutralité. "Il y a pas mal de sujets qui vont être un peu tendus à traiter. Par exemple mon sujet sur l'indépendance de l'Algérie, mais mes abonnés sont bienveillants, Français comme Algériens." Il y étudiait les différents scénarios qui auraient pu permettre à la France de conserver son ancienne colonie sous une forme ou une autre (par exemple, l'Espagne possédait le nord du Maroc et en conserve encore aujourd'hui les villes de Ceuta et Mellila).

Le plus dur est vraiment de maintenir une neutralité - même s'il est impossible d'être neutre - et d'essayer de maintenir un équilibre.

Alterhis, conteur d'histoire alternative

Inversement, traiter un 11 septembre qui n'est jamais arrivé, même si c'est un sujet difficile, était moins compliqué car Alterhis n'est pas américain et que ses vidéos ne sont pas destinées aux États-Unis. Il y a cependant eu un écueil américain imprévu : " le sujet sur la guerre civile américaine [une anticipation cette fois-ci car il y parle de 2024 et pas de 1861; ndlr] aussi : je ne savais pas qu'autant de Français prenaient à coeur la politique américaine à ce point. J'ai eu des commentaires m'insultant de tous les noms, même si leur immense majorité est positive. J'encaisse : c'est le sujet. Le plus dur est vraiment de maintenir une neutralité - même s'il est impossible d'être neutre - et d'essayer de maintenir un équilibre."

Conteur d'histoire passée... et pas que

Le vidéaste s'est beaucoup intéressé à l'anticipation : mélange d'histoire-géographie mêlée de géopolitique où l'on imagine un évènement futur et ses conséquences. Ironiquement, la vidéo la plus vue de sa chaîne (1.3 million de personnes) n'est pas une uchronie, mais une anticipation. En 2018, il imaginait l'émergence d'une pandémie qui bouleverserait nos sociétés. 2020 : bienvenue au covid (c'est d'ailleurs à ce moment-là que l'audience  a bondi). Des fans lui ont alors demandé d'arrêter de prédire le futur (surtout s'il y a des zombies après)... On peut les comprendre : outre la néo-guerre civile américaine (on ne peut pas dire que tout va bien actuellement aux États-Unis), il s'est intéressé à une éventuelle future guerre Chine-Taïwan, une autre guerre sur les ressources (métaux rares, eau, etc.) et bien sûr de potentiels conflits nucléaires, sinon ce n'est pas drôle.

Une source non-négligeable d'idées provient de la lecture de livres, articles scientifiques, extraits des encyclopédies Wikipédia ou Britannica, ou encore du Larousse; sans oublier des visites sur place (qui ont conduit par exemple à une vidéo hors-série sur les Catacombes de Paris). Ces sources sont toujours listées en marge des vidéos afin d'en apprendre un peu plus sur le sujet. C'est l'occasion pour Alterhis d'enseigner parfois l'histoire (non-uchronique) à visage découvert, par exemple sur la Cour des miracles, ou les Apaches terrorisant la capitale à la Belle époque (qui n'était d'ailleurs "pas belle pour tout le monde, loin de là"). 


À noter que la large communauté d'Alterhis l'ensevelit sous les suggestions. "Ça devient assez dur de lire tous les commentaires... Mais je fais de mon mieux pour tout lire, j'y arrive encore à peu près. Le problème, c'est que les gens sont de très bonne volonté, ils veulent apporter leur pierre à l'édifice, mais la moitié des suggestions sont des trucs beaucoup trop pointus pour intéresser une audience large. J'écarte donc généralement ces sujets. Il y a aussi beaucoup de répétitions dans les sujets qu'on me demande de faire. Mais c'est quand même bien : après tout, c'est moi qui le demande, ça peut parfois me donner des idées." 

Il faut dire que le vidéaste est bien entouré : 312.000 personnes abonnées, ce n'est pas la gnognotte. Et bienveillantes, répète-t-il. "C'est un enfer de tous les instants", plaisante-t-il avant d'ajouter plus sérieusement que "c'est très très agréable. Je suis très très content de voir que ma communauté ne soit pas du tout toxique, ces gens sont très très bienveillants et je n'ai jamais de problème, même sur mes lives Twich [qui peuvent vite susciter des tombereaux d'insulte car il n'y a pas de modération officielle; ndlr]. Je n'ai que des commentaires gentils et bienveillants sur Discord [sorte de salon de discussion orale ou écrite en ligne; ndlr] ou sur Youtube."


Avec le succès, Alterhis a aussi gagné en professionnalisme. "J'ai maintenant un micro, un ordinateur, une chaise de gaming car je passe beaucoup de temps devant mon bureau... J'y fais même des lives Twich, maintenant : c'est un petit exercice auquel j'ai bien accroché et qui me permet de voir des gens." L'occasion de voir un peu plus sa tête, découverte pour la première fois lorsqu'il a franchi les 100.000 abonnements, présenté son trophée, et répondu aux questions de ses fans (une activité qu'il apprécie).

Ces investissements lui permettent de travailler de manière confortable, depuis chez lui. Car il fait - pour ainsi dire - tout tout seul. Cela a ses avantages, même si la solitude peut parfois guetter un peu, "comme pour tous les gens qui travaillent en freelance. Pour l'instant, je fais tout de A à Z, j'arrive à tout gérer tout seul. Je réfléchis parfois à prendre un monteur, mais ça coûte cher, et je n'ai pas non plus les audiences de Poisson Fécond [vidéaste prolifique touche-à-tout très suivi; ndlr]... J'ai seulement délégué la création des miniatures [images d'accroche; ndlr] des vidéos à un graphiste talentueux, ça me fait économiser [plusieurs] heures." L'artiste se nomme Hirish (voir la publication Instagram ci-dessous). 

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Dans sa bibliothèque, Alterhis a "plein de livres d'histoire, mais il y a aussi un peu de tout : beaucoup de fantasy, de science-fiction, d'anticipation. Même des livres de potes Youtubeurs, ou des vieux livres de ma grand-mère aussi. Je peux même donner des conseils littéraires si vous voulez." Ce qu'il a d'ailleurs fait dans plusieurs vidéos, par exemple La Part de l'ombre cité plus haut.

Mais aussi le passionnant manga Zipang. Ce dernier imagine la téléportation d'un navire de guerre japonais du XXIe siècle en pleine bataille de Midway (1942). Très compliqué pour l'équipage car le Japon impérialiste et belliciste du XXe siècle le presse de changer le cours de la guerre, alors que ce pays est devenu pacifiste et s'est tourné vers l'excellence économique plutôt que la conquête. Notons qu'on ne verra pas cette bibliothèque en détail, car le vidéaste n'aime pas trop exposer sa vie privée.

N'est pas historien qui veut

Il demeure également modeste : il parle d'histoire, certes, mais n'est pas historien pour autant (pour l'histoire pure et l'historiographie sans fioriture, on pourrait plutôt citer le très docte Histony). "Jamais je ne pourrais dire que je suis historien. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que ma chaîne Youtube est dans la catégorie Divertissements, et pas Éducation. Ce que je fais avant tout, c'est de l'imaginaire avec un fond de réalité. En plus, pour être historien, outre les études, il faut une méthode. Une méthode que je n'ai pas. Même si je pense avoir acquis pas mal de culture générale en faisant mes vidéos, ça ne fait pas de moi un historien."



Pas la peine de lui demander sa période historique de prédilection : il n'en a pas. "C'est marrant, on me pose souvent la question. Je n'en ai pas en particulier. Celle que je connais le plus, donc celle où je suis le plus à l'aise, c'est le XXe siècle. Mais ça n'en fait pas ma favorite." Et il n'est fermé à aucune, bien qu'il dispose d'une "liste noire de sujets à ne pas traiter. Où l'Algérie française [citée plus haut; ndlr] figurait jusque récemment car je me suis senti en bonne capacité de le traiter."

"Il y a notamment un conflit très intéressant en plein milieu de la Guerre froide, à savoir la Guerre des six jours, qui a opposé Israël aux pays des Arabes. Imaginer une victoire des pays arabes dans ce conflit, je m'interdis un peu de le faire, surtout dans le contexte actuel [conflit israélo-palestinien; ndlr]. Pareil avec les religions : dès que ça touche à des sujets sensibles auprès des individus, j'essaye d'y réfléchir à deux fois. Au final, il faut toujours faire attention, et être au courant que même si on traite le sujet de manière qu'on pense la plus neutre et objective possible, il y aura toujours des gens qui ne seront pas contents. Et que sur Internet, si les gens vous prennent en grippe, ça peut aller très loin. Donc il faut toujours garder une certaine distance."

De vidéaste à auteur

De la distance, il n'y en a en revanche pas avec sa communauté qui l'a soutenu massivement. Elle l'a aidé, via un financement participatif de près de 100.000 euros, à sortir ses premiers livres en 2020 (avec quelques produits dérivés). "C'était fantastique de passer des vidéos Youtube à une dimension littéraire vue comme plus sérieuse. Maintenant que je l'ai fait, j'aimerais bien continuer et voir si ça peut fonctionner. Cette fois-ci en librairie, pas via le financement participatif. Et continuer, si ça marche. À voir comment sera reçu par le grand public..."

Lesdits livres nous présentent des scénarios passant pour inédits (pas sur Youtube, du moins pour l'instant), comme par exemple la naissance d'une inédite Union franco-britannique (un seul pays pour deux peuples) qui a réellement failli exister, à quelques jours près, au début de la Seconde Guerre mondiale (livre Les autres Mondes). Ou d'un Jacques Chirac qui serait devenu anthropologue plutôt que politicien (ouvrage Et s'ils avaient fait d'autres choix ?) : oui, ça aurait vraiment pu arriver, et c'est l'un des 1.001 faits avérés qu'on peut apprendre via l'uchronie telle que présentée par Alterhis. 

Et s'il n'y avait pas eu le covid, il aurait pu organiser sa Nuit de l'uchronie dans un cinéma parisien "pour regarder des films uchroniques et en discuter." Rien d'ailleurs ne l'empêche de retenter l'aventure une autre fois, "mais ce n'est pas ma top priorité. Je suis assez satisfait de comment les choses fonctionnent actuellement. Si je fais un truc en vrai, ce serait à l'occasion de mon bouquin." Car un nouvel ouvrage est prévu : "l'adaptation en livre de Paris 1328, qui serait l'occasion de faire des dédicaces, ce genre de choses".

Paris 1328, "mieux que Game of Thrones"

Paris 1328, kézako ? Probablement le magnum opus (oeuvre majeure, en latin) d'Alterhis. Une série de huit vidéos (2h17 au total) moins "réalistes" que le travail habituel du vidéaste. Elle narre la téléportation du Paris moderne à l'aube de la Guerre de cent ans (cinq ans avant, donc 1328). Tout commence dans une réalité parallèle, lors d'une manifestation de gilets verts (des agriculteurs) contre un président impopulaire : tout Paris intra-muros subit alors une intense vibration inexpliquée.

La banlieue disparaît (en fait, le monde entier), le courant se coupe et la Seine déborde, la vibration tue une bonne partie de la population et transforme les rues en charniers. Pas si loin de là, le roi Philippe VI de Valois voit une énorme cité dominée par une étrange tour métallique et ceinturée d'une muraille massive (le boulevard périphérique) s'élever là où se trouvait sa capitale un instant auparavant.


Survie de la population moderne dans un monde médiéval hostile, négociations cruciales quand toute l'agriculture et l'industrie sans parler de l'armée ne sont plus disponibles pour la capitale, administration en déliquescence, enjeux politiques, science et diplomatie, relations troubles avec la Papauté et les factions étrangères, complots et machinations... Oubliez Trafalgar, Verdun ou Stalingrad que vous connaissez et plongez dans la stupéfiante "bataille de la porte de Clignancourt". On y voit même (alerte spoiler) l'illustre monarque français éhontément éjecté de son cheval royal par un canon à eau des CRS : excusez du peu.

Tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette Web-série (initialement un projet d'un unique épisode) une oeuvre au long cours qui, pour beaucoup, est encore meilleure que Game of Thrones. On espère toutefois que la fin de Paris 1328 sera moins pourrie que celle de la série d'HBO, et qu'il y aura d'ailleurs bien une fin avant la mort du créateur (si l'on fait le parallèle qui semble devenir probable pour les livres de G.R.R. Martin). Le succès a été conséquent malgré un budget négligeable (on voit toujours des images pour illustrer pendant qu'Alterhis raconte les évènements, illustration avec le premier épisode ci-dessous).

 
La première saison a été diffusée pendant le premier confinement de 2020. Et a aidé des centaines de milliers de personnes à se divertir et rêver quand elles ne pouvaient plus sortir de chez elles. Les fans les plus enthousiastes ont même réclamé une adaptation sur Netflix (qui serait sans doute épique, quoi qu'improbable). "Je ne m'attendais clairement pas à une telle réaction. C'est d'ailleurs ce qui me motive à écrire le bouquin."

Quant à la deuxième saison (en cinq épisodes), elle a été diffusée au printemps 2021. Et s'est conclue (alerte spoiler) par la fuite des planisphères, globes terrestres, et cartes présentes dans les livres pour enfants (provenant des pillages à Paris) vers les puissances étrangères : tiens, mais qu'est-ce donc que cet immense continent inconnu nommé Amérique ? Depuis, la suite se fait désespérément attendre... 

Un nouveau livre pas avant 2023 (au moins)

Et voilà qu'Alterhis fait cette annonce littéraire qui en ravira plus d'un. "Le but du livre sera de couvrir une partie de la saison 1 de Paris 1328, qui est diffusée sur Youtube. Et de développer cet univers, donner des détails, étayer. Car la série audio reste très générale; cinq secondes dans la série peuvent donner dix pages." Sinon, elle ferait 20 heures au lieu de deux, mais pas sûr que ça découragerait vraiment les afficionados d'Alterhis. "J'en ai profité pour retravailler les quelques incohérences et rajouter des nouveaux arcs narratifs et personnages, de manière plus structurée et cohérente."

Début juin (date de cette interview), il en était à 225 pages écrites (au stade du prélude de la fameuse bataille de la porte de Clignancourt) et ne "savait pas encore quand s'arrêter : moitié de saison 1 ou alors je fais tout ?" Il y travaille avec un auteur professionnel "qui fait de l'histoire". Date de sortie inconnue pour le moment : il faudrait encore corriger, faire de la bêta-lecture, puis réécrire, trouver une maison d'édition... "On verra quand il sera prêt. Au bas mot, pas avant l'année prochaine."

Et la suite, alors ? "Je me suis toujours dit que ce serait plus utile de faire la suite quand je sortirais le livre. Histoire d'en faire la promo' un peu plus facilement. Mais maintenant, je me dis que peut-être pas. Donc je suis en train de réfléchir. Les premiers épisodes de la saison 3 pourraient peut-être être mis en ligne, je dis bien peut-être, en fin d'année prochaine. Mais encore une fois, tout dépendra de l'avancée et de la sortie du livre. D'autant que la saison 3 n'est pas prête. Je ne l'ai quasiment pas écrite, même si j'ai déjà la trame et toutes les idées générales. Donc dès que je me décide, en deux semaines, je peux sortir le premier épisode." 

La saison 3 n'est quasiment pas écrite, même si j'ai déjà la trame et toutes les idées générales.

Alterhis, conteur d'histoire alternative

S'il n'est pas trop malaisé de modifier un évènement dans l'histoire et d'imaginer dans les grandes largeurs ce qui va suivre, jusqu'à un certain point du moins, l'exercice est beaucoup plus compliqué dans Paris 1328 et son niveau très élevé de détails. L'évènement entraîne un nombre incalculable de divergences, de morts, de changements de trajectoires : jamais l'Époque contemporaine (ni même la Renaissance, à vrai dire) que nous connaissons ne pourrait avoir lieu après tout ça.

"C'est totalement un casse-tête. Ce qui va se passer, c'est que les repères temporels ne seront plus des évènements qui se sont passés dans notre réalité. Ce seront ceux en lien avec Paris. Le personnage du médecin David, qui part à Orléans [et y ouvre une université; ndlr], va ouvrir une nouvelle ère de la médecine, par exemple." Surtout à la veille de la Peste noire, imminente, censément exterminer jusqu'à la moitié de la population européenne, engendrer d'immenses changements socio-économiques, et contribuer à la chute de l'Empire byzantin. 

L'après Paris 1328

Une partie des fans demande aussi à Alterhis d'imaginer ce que donnerait le remplacement du Paris moderne, à notre époque, par celle du Moyen Âge. Il est vrai qu'on peut trembler en imaginant les conséquences que ça aurait. La disparition de l'élite de la nation et des stocks d'or détenus dans les sous-sols blindés de la Banque de France déclencherait à coup sûr une crise politico-économique d'envergure, surtout dans un pays aussi centralisé que la France.

Mais la suggestion ne risque pas d'aboutir de sitôt. "Non, je trouve ça beaucoup moins intéressant. Je me dis qu'avant de commencer un nouvel arc narratif de Paris 1328, il faut inventer les personnages, les évènements... Et je n'ai pas envie de devoir tout recommencer avec la situation inverse. Pour moi, il faut d'abord conclure ce que j'ai commencé. C'est ça, la priorité pour l'instant." Ce vendredi 22 juillet, les gens abonnés ont toutefois pu découvrir la dernière vidéo en date : un spin-off sur le retour d'un consul algérien qui a fui Paris pour retourner dans son pays natal... qui n'existe évidemment plus : nouveau choc en perspective.

Après la fin hypothétique de Paris 1328, le concept - au potentiel infini - pourrait-il être élargi à de nouvelles fictions ? "Ça fera peut-être partie des surprises qui seront dans la saison 3... je n'en dis pas plus." Avec tant de mystère, les fans vont exploser. Il leur précise toutefois, en guise de consolation, qu'à la fin de la saison 3, la mascotte de la chaîne, Pierrick, "va répandre des idées modernes dans la France du Moyen Âge. Il risque d'abandonner la culture de la betterave pour se transformer en Pierrickovsky le révolutionnaire..."

160 vidéos, et c'est pas fini

Les 160 et quelques vidéos d'Alterhis sont à retrouver sur sa chaîne Youtube. Si vous avez peur de vous y égarer ou que vous vous demandez si une période historique ou un territoire que vous affectionnez ont été traités, vous pouvez vous aider de la carte ci-dessous. 

Vous n'aurez plus d'excuse pour ne pas aimer l'histoire...

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