Thibaut Poirot enseigne au lycée Stéphane Hessel, à Epernay (Marne). Il est membre de l'association des professeurs d'histoire et de géographie. Face à la multiplication de demandes de jeunes collègues, il a rédigé un texte proposant des pistes d'interventions auprès des élèves. Objectif : faire comprendre cet évènement.
Cela fait dix ans que Thibaut Poirot enseigne l'Histoire. Il a d'abord dispensé ses cours à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, avant de rejoindre le lycée Stéphane Hessel d'Epernay, dans la Marne. Cet historien est membre de l'association des professeurs d'Histoire et de géographie, l'APHG, qui compte quelque 3.000 adhérents. C'est la première association de France pour les professeurs d'Histoire et de géographie.
Il a toujours porté beaucoup d'intérêt à la question de la guerre, mais en tant qu'enseignant, il n'avait jamais été confronté à une telle situation comme la guerre en Ukraine, intervenir sur un conflit qui vient d'être déclenché. Il enseigne à des élèves de première, la classe "Défense" du lycée, qui a un partenariat avec le CAPCIA-51è Régiment d'Infanterie de Mourmelon-le-Grand. Ces élèves suivent des heures supplémentaires de cours "spécialité géopolitique", dans le cadre de la préparation au baccalauréat.
Si les élèves multiplient les questions, les jeunes collègues, notamment, de Thibaut Poirot s'en posent également. Connu pour son expertise dans ces questions, Joëlle Alazard, la vice-présidente de l'APHG, qui enseigne en classe préparatoire au lycée Louis-Le-Grand, à Paris, s'est tournée vers lui pour qu'il propose des pistes. Un texte écrit dans l'urgence.
Faire comprendre
"Les collègues trouvent difficile d'expliquer un évènement ressenti durement. Il y a un effet de sidération extrêmement fort", explique Thibaut Poirot. "Il ne faut pas croire qu'on va débrouiller une affaire complexe dans la tête des élèves qui sont des adolescents. L'objectif est de faire comprendre quelque chose de vertigineux, l'apprivoiser, le remettre à notre échelle".
Dans la classe "Défense" de l'enseignant d'Epernay, le partenariat avec le 51è Régiment d'Infanterie, qui gère le plus grand parc de matériel de Champagne, permet aux élèves d'avoir régulièrement des échanges avec des militaires à l'occasion de conférences. C'est une manière d'aborder la question de l'industrie de l'armement. "Il y a un travail de grande confiance entre des militaires prêts à parler et des adolescents prêts à écouter".
Ces élèves sensibilisés aux questions de géopolitique, posent donc de nombreuses questions depuis le déclenchement de l'offensive en Ukraine. "Est-ce-que c'est grave ? Est-ce-que nous allons entrer en guerre ? Est-ce-qu'une guerre nucléaire est possible ? Cette dernière question est la plus marquante à leurs yeux. Il faut pouvoir répondre à ces jeunes qui n'ont pas connu la guerre froide", explique Thibaut Poirot.
Changement de dimension
"En terme de déploiement de matériels, on a changé de dimension. C'est la première fois qu'on viole les frontières d'un état souverain. Nous sommes confrontés à une dimension d'intensité. Le sujet, c'est que ces élèves peuvent être victimes de manipulations de l'information. Il y a des vecteurs de propagande à éviter" indique le professeur. La question des réseaux sociaux est bien évidemment posée. Pour Thibaut Poirot, être formé à utiliser un bon outil est un enjeu.
Dans le document élaboré, il précise : "Leur enseigner quelles armes médiatiques en France sont à la disposition de la Russie est essentiel. L’effet de sidération d’une "guerre des réseaux", y compris dans les réseaux les plus ludiques pour les adolescents, ne doit pas être négligé. Remettre l’information au milieu du village n’est pas seulement une simple démarche d’éducation aux médias, c’est un devoir démocratique tant l’effet moral de l’effroi est recherché dans l’opération russe".
"Haute intensité"
L'article que signe Thibaut Poirot s'articule autour de trois points. Le premier est la remise en place d'une perspective historique, c’est-à-dire l'Histoire de l'indépendance de l'Ukraine, suite à a dislocation du bloc soviétique, sans omettre le renoncement à l'héritage nucléaire de l'URSS, puis ce que l'on a baptisé la "révolution orange", mais aussi les affrontements à partir de 2014, dans le Donbass notamment.
Une deuxième partie s'intéresse à la "haute intensité" de l'agression. Les moyens engagés dans le conflit permettent également d'approcher la réalité de cette guerre à travers l'armement utilisé. Enfin, l'engagement de la France, notamment dans l'OTAN doit être évoqué.
Autant de points pour lesquels il est difficile d'apporter des réponses exhaustives alors que les combats se poursuivent, que des réunions s'enchaînent entre gouvernements. L'Histoire qui se déroule sous nos yeux nécessite des mises en perspective, des explications. Les élèves ne sont pas les seuls à s'interroger.