Crise en Ukraine : les Russes de la Côte d'Azur dans l'attente face au risque de sanctions européennes contre leur pays

Le lundi 21 février 2022, la Russie a reconnu l'indépendance de provinces ukrainiennes pro-russes. L'Europe brandit la menace de sanctions. Gros plan sur la communauté russe, nombreuse et ancienne sur la Côte d'Azur. Elle attend de voir d'éventuelles conséquences, notamment économiques.

L'histoire commune des Russes et de la Côte d'Azur commence par un coup de coeur.

Dans les années 1850, la famille de Nicolas Ier, empereur de toutes les Russies, multiplie ses séjours sur cette terre de douceur et de lumière. Alexandra Féodorovna son épouse, Hélène Pavlovna, sa soeur, rendent ainsi les bords de la Méditerranée populaires auprès de l'aristocratie de leur pays. C'est le début d'une relation privilégiée qui ne se démentira pas.

Aujourd'hui encore l'un des quatre consulats de Russie en France se situe à Villefranche-sur-Mer, non loin de la rade dans laquelle la Grande-duchesse Hélène arriva, avec toute une flotte, en 1856.

En ce début d'année 2022, il est difficile pour le consul Sergey Galaktionov de donner un chiffre exact pour la population russe dans notre région.

Tous les ressortissants ne se signalent pas aux autorités consulaires.

Je pense que les personnes qui parlent russe sont près de 100 000 dans le Sud Est de la France. Russes, Ukrainiens, Biélorusses, des personnes originaires de l'ex-URSS.

Sergey Galaktionov, chef de l'agence consulaire de Russie à Villefranche-sur-Mer

Selon certaines estimations concernant la Côte d'Azur, la communauté russe y serait forte d'environ 15.000 personnes.

Avec une forte concentration à Nice, avec là encore une explication historique : dans les années 1920, une forte communauté de "Russes blancs" ayant fui la révolution bolchevique s'est installée autour de cathédrale orthodoxe Saint-Nicolas.

La Fédération de Russie a récupéré en 2012 la propriété de cet édifice exceptionnel au prix d'une âpre bataille juridique.

Plus récemment, Monaco, Antibes, Cannes ou encore Mougins ont vu leur communauté russe grandir.

Des familles, et peu de "business"

Quand on parle des Russes sur la Côte d'Azur, impossible de ne pas penser à ces riches hommes d'affaires qui, eux-aussi, ont eu le coup de coeur. 

Boris Berezovski s'est offert "Le Château de la Garoupe" en 1996 dans le Cap d'Antibes. Roman Abramovitch s'est installé au  "Château de la Croë".

Mais tous les Russes ne sont pas milliardaires.

Ce sont pour beaucoup des familles qui viennent habiter ici. Les affaires, elles, restent en Russie.

Tatiana Drozd, professeur d'art

Tatiana Drozd, elle-même russe, est artiste. Des familles russophones vivant à Monaco, elle en connait un certain nombre.

Elle donne des cours d'art aux enfants, sans jamais trop poser de questions sur un terrain plus politique.

La communauté est unie autour de la vie familiale, puisque les enfants vont dans les mêmes écoles. Russes, Ukrainiens, Biélorusses, nous parlons tous russe.

Tatiana Drozd, artiste à Monaco.

Laurent Merengone le confirme : beaucoup de Russes dont les familles vivent sur la Côte d'Azur ont gardé leur activité dans leur pays. Président du Business Club France Russia, dont le but est de favoriser les relations économiques entre la France et la Russie, il connait bien cette problématique :

C'est très compliqué pour un Russe de monter une entreprise sur la Côte d'Azur. Il y a chez les banques de la méfiance, du fantasme. On leur fait des misères pour monter un business.

Laurent Merengone, président du Business Club France Russia

Selon ses observations, ceux qui ont malgré tout franchi le pas ont choisi les métiers de services auprès de la communauté russophone : club de sport de luxe, institut de beauté, épicerie.

Ressent-il de l'inquiétude chez ces entrepreneurs ?

Ils ont toujours un peu le syndrome de l'Union soviétique. Ils ont le sentiment qu'avec Poutine, tout est possible, et ils ont peur que le pays puisse se refermer.

Laurent Merengone

Mikhail Suchkov, lui, a lancé à Nice en 2018 sa start-up, hébergée et aidée par le CEEI, pépinière de la Métropole Nice Côte d'Azur. "Sweet Home" est une application pour la gestion à distance des résidences secondaires. Sa clientèle vit en Russie, au Kazakhstan, en Europe de l'Est.

Au fil des années il a déjà vu le flux de clients russes achetant des résidences sur la Côte d'Azur diminuer. Sa principale inquiétude, le taux de change : en 2013, un euro valait 40 roubles, contre 100 roubles aujourd'hui. "Quand le rouble diminue par rapport à l'Euro, les Russes ont moins d'avantages à acheter sur la Côte d'Azur".

Le risque de sanctions économiques l'inquiète-t-il ? Oui et non.

Je vois que les sanctions peuvent être sévères. Mais je vois aussi que l'Union européenne, quand elle applique des sanctions, essaie de prendre des mesures ciblées contre les organisations qui soutiennent les conflits, sans toucher le business "normal". J'espère que les relations économiques vont se maintenir comme aujourd'hui.

Mikhail Suchkov, entrepreneur

Le souvenir des sanctions de 2014

Car les Russes ont une expérience, récente, des sanctions économiques de l'Europe. Elles remontent à 2014, après l'invasion de la Crimée par la Russie.

En 2014, ce fut la fin de certaines exportations vers la Russie, comme les fromages. Les Russes ont donc développé leur propre production, et 10 ans après, ils sont autonomes en fromage !

Laurent Merengone, président du Business Club France Russia

"On risque surtout de perdre des parts de marché : l'Europe a tout à perdre"

C'est aussi la position officielle du consul de Russie à Villefranche-sur-Mer : "Nous vivons déjà depuis 8 ans avec des sanctions... Nous, nous sommes prêts à coopérer avec les compagnies françaises qui sont prêtes à travailler avec nous", affirme Sergey Galaktionov.

Ce n'est pas dans l'intérêt de la France d'arrêter les relations avec la Russie. Nous sommes voisins, très proches historiquement, économiquement.

Sergey Galaktionov, consul de Russie

Le tourisme et la culture pour maintenir le lien

Marché historique pour la Côte d'Azur, le tourisme en provenance de Russie peut-il souffrir de la situation internationale  ?

Selon les derniers chiffres de l'Observatoire du tourisme de la Côte d'Azur, le marché russe se place au 9e rang des étrangers sur la Côte d'Azur. 

Il représente plus de 300.000 séjours par an. Et si plus de 1.000 résidences secondaires ont été recensées, près de la moitié des séjours se déroulent dans les hôtels, surtout 4 et 5 étoiles, et les résidences.

Le tourisme russe a déjà souffert de la crise sanitaire. Les Russes se sont vaccinés avec leur propre vaccin Spoutnik qui n'est pas reconnu par l'Union Européenne, et ont besoin d'un visa pour venir en France. Contrairement aux Ukrainiens, vaccinés au Pfizer, et qui n'ont pas besoin de visa.

Michel Tschann, président honoraire de la fédération hôtelière de Nice

Pour autant, selon l'hôtelier niçois, la clientèle russe n'a pas l'air perturbée par le contexte politique international. En témoigne selon lui la présence, il y a quelques jours à peine dans son établissement, de trois agents de voyage russes en prospection dans la région, et en Italie.

Ils n'ont pas l'air de penser que la situation est grave. C'est assez curieux, ils paraissent habitués aux convulsions politiques, et semblent penser que la vie continue.

Michel Tschann

A contrario, l'hôtelier se souvient d'autres populations plus réactives, comme les Américains. "Après le refus de la France de participer à la guerre en Irak, le boycott avait été sensible".

Reste à espérer que les sanctions s'aboutissent pas à des restrictions dans la circulation de personnes, notamment à travers l'attribution des visas.

C'est un point qui ne semble pas inquiéter Hélène Metlov, présidente de la Maison de la Russie à Nice qui organise de nombreux événements culturels :

Résolue à organiser cette année à Nice le Tchouk Fest, un festival culturel à l'occasion du 140e anniversaire de la naissance du poète Korneï Ivanovitch Tchoukovski.

Nous sommes en rapport avec des gens qui s'intéressent à la culture avant tout. Dans le contexte actuel, nous allons essayer de parler culture, en contrepoids.

Hélène Metlov, présidente de la Maison de la Russie à Nice

Si le contexte en vient à restreindre les déplacements, "la crise sanitaire nous a appris à échapper à ces contraintes grâce aux techniques modernes, comme la visioconférence".

Rendez-vous à partir du 18 mars à Nice pour ce festival autour de la poésie et la langue russe.

Et, en attendant des précisions sur les sanctions européennes (et l'évolution de la crise), se concentrer sur le meilleur des relations entre la Russie et la Côte d'Azur.

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