Tradition : le monde du champagne se divise sur la coiffe de la bouteille

"Ça, décoiffe" un collectif composé d'une trentaine de vignerons de la Champagne, a déposé une procédure d'opposition collective à l'obligation de la coiffe sur les bouteilles de champagne. Il s'oppose au SGV qui a inclus dans sa charte l'obligation de cette coiffe traditionnelle. Une querelle entre les traditionnels et les modernes que l'INAO va devoir étudier.

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"Ça décoiffe", un collectif de vignerons s’oppose au Syndicat Général des Vignerons qui veut rendre obligatoire la coiffe en aluminium sur les bouteilles de champagne. Il a déposé un mémoire contenant son argumentation qu’il a remise à la délégation de l’INAO (institut national de l'origine et de la qualité) à Épernay (Marne), ce qui empêche l’adoption de la charte. 

Ne plus être dépendants des industriels

Traumatisés par la pénurie de matières premières qui a découlé de la crise du COVID, des vignerons ont cherché des moyens pour éviter une trop grande dépendance aux industriels. Olivier Horiot est vigneron dans l’Aube, où il produit du champagne bio. Il se souvient « Pendant la crise du COVID, au moment des ruptures de stock, on a mis des bandelettes sur nos bouteilles, plus écologiques et plus économiques ». C’est ainsi qu’il a pu continuer à travailler. Depuis, il se bat au sein du collectif.

Adeline Bonnet, viticultrice à Bragelogne-Beauvoir, dans l’Aube, elle aussi,, est en bio depuis cette année et fait partie du collectif. Elle explique : « Après le COVID, il y a eu des ruptures de stock. J’ai d’abord bidouillé des coiffes, puis je me suis demandé comment continuer. J’ai décidé de ne plus utiliser de coiffes. Je ne voulais pas rester dépendante des industriels, de la situation économique ».

Aujourd'hui le collectif veut se prémunir de difficultés économiques en renforçant son indépendance vis-à-vis des industries. Il réclame le libre choix pour les vignerons. « On est toujours dans une crise conjoncturelle, on ne sait pas comment les choses vont tourner », analyse Adeline. « Si une situation de pénurie revient et que l'obligation d'une coiffe est inscrite dans notre charte, nous serons à nouveau pénalisés. Or l’Union Européenne nous permet de nous affranchir de cette contrainte ».

Innovation et esthétique

En supprimant la coiffe, le travail sur la bouteille a changé. Adeline Bonnet raconte comment elle s’est laissé séduire par cette nouvelle façon d’habiller les bouteilles qui lui permettait de donner libre cours à son imagination : « Moi sur les cuvées d’entrée de gamme j’ai encore des coiffes, mais pour le haut de gamme je n’ai rien du tout. L’habillage se suffit à lui-même. »

Elle a revu complètement l’habillage de ses bouteilles haut de gamme. « Ça tombait bien, car je voulais casser les codes pour donner un nouveau souffle à ma gamme de champagne, et c’était intéressant sur le plan économique. Ces premières cuvées, je les ai appelées les dissidentes ».

La réponse des clients est bonne. Elle présente ses bouteilles à des professionnels, et elle obtient des résultats positifs. Ces bouteilles sortent des sentiers battus. « Beaucoup de personnes qui pouvaient être réticentes au départ en disant que les bouteilles paraîtraient nues ont changé d’avis en voyant ma cuvée. » En fait, elle travaille sur l’habillage global de la bouteille, ce qui fait que ça devient naturel et la coiffe ne manque pas. « Beaucoup de restaurateurs trouvent cela plus pratique, car ils ne sont plus ennuyés avec la découpe de la coiffe. »

Comme ces deux vignerons aubois, durant le COVID, d’autres ont renoncé à revêtir des coiffes. Certains ont utilisé ces bandelettes, d’autres des ficelles ou des points de cire. 

Un collectif soutenu par les indépendants et les bios

Olivier Horiot rappelle que le collectif se bat depuis plusieurs mois. Pendant toute la procédure, le collectif a bien essayé d’échanger avec le SGV, mais il n’a pas réussi à le convaincre : « On a rencontré le SGV, on l'a interpellé en Assemblée de section, en assemblée générale, mais rien n’y a fait. Il a décidé d’inscrire l’obligation de la coiffe dans sa charte sans nous entendre ».

« A l’heure actuelle, on ne veut pas abandonner la coiffe, mais garder la possibilité de ne pas en mettre », explique le collectif. Contacté, le SGV ne souhaite pas s’exprimer pour le moment. Il préfère attendre la fin de la procédure.

 

L’INAO examinera le dossier

Olivier Russeil, délégué territorial de l’INAO, l’Institut National de l’Origine et de la qualité du Nord-Est, explique ce qu'il va se passer. "On vérifie que les procédures sont respectées, et a priori, c'est le cas, on instruit alors les demandes qui nous sont soumises ».  

Plusieurs positions s'opposent. Le SGV et sa volonté de rendre la coiffe obligatoire par respect de la tradition, mais aussi pour préserver les industries qui travaillent à la fabrication des coiffes. Le collectif des vignerons, lui, souhaite qu’il n’y ait pas d’obligation et que chaque vigneron fasse comme il veut. L’Union Européenne a émis plusieurs avis pour finalement s’en remettre aux demandes des vignerons, à condition qu’ils parviennent à se mettre d’accord.

La procédure sera longue. L’INAO va enregistrer les points de vue de toutes les parties et disposera de 2 mois pour répondre. Le comité national de l’INAO devra statuer, à son tour, valider ou demander un complément d’enquête. Puis, il présentera le bilan au Ministère de l'agriculture qui transmettra à l’Union Européenne. Tout cela prendra bien 1 à 2 ans.

Première décision en février

Le collectif est confiant, et espère que le dialogue pourra se renouer avec le puissant SGV. Il conclut ainsi son argumentation : « Le changement est ce qui a permis à la Champagne d'être ce qu'elle est à l'heure actuelle et cette évolution doit également pouvoir se poursuivre pour qu'elle reste ancrée et connectée au monde qui l'entoure. Rester figés les traditions n'empêchera pas le monde d'avancer. En revanche, c'est manquer l'opportunité de s'adapter volontairement et être voué à subir les évolutions de ce monde.»

La décision de l'INAO du Nord-Est devrait intervenir au mois de février 2025. En attendant, c'est la réglementation Européenne qui prévaut. Elle permet à chaque vigneron de faire comme il veut.

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