Le Conseil d'Etat doit trancher un dossier emblématique du débat sur la fin de vie avec le cas de Vincent Lambert, tétraplégique en état végétatif, dont la famille se déchire, les uns réclamant la poursuite du traitement qui le maintient en vie, les autres exigeant son arrêt.
Le Conseil d'Etat, réuni dans sa plus haute formation de jugement, l'assemblée du contentieux (composée de 17 juges), rend son jugement à 16H00. Il peut suivre ou non l'avis du rapporteur public, qui s'est prononcé vendredi contre la poursuite du traitement qui alimente et hydrate artificiellement Vincent Lambert depuis 6 ans.
Cette décision très attendue survient au moment où deux procès relancent la question de la fin de vie: celui du Dr Nicolas Bonnemaison, poursuivi pour l'empoisonnement de sept patients en fin de vie, doit s'achever en fin de semaine devant la cour d'assises des Pyrénées-Atlantiques, tandis que débute mercredi aux assises de l'Hérault celui d'une ex-professeur de français, accusée d'avoir tenté d'abréger la vie de sa mère atteinte d'Alzheimer.
Face à une loi de 2005 sur la fin de vie "mal connue, mal comprise et mal appliquée", le gouvernement vient de charger le député UMP Jean Leonetti, à l'origine de cette loi qui porte son nom, et le député PS Alain Claeys, de proposer d'ici à la fin de l'année des aménagements.
Ancien infirmier en psychiatrie de 38 ans, Vincent Lambert est hospitalisé au CHU de Reims après un accident de la route en 2008 qui a lui a occasionné selon les médecins des "lésions irréversibles". Ses parents, Pierre et Viviane Lambert, catholiques traditionalistes, ainsi qu'un frère et une soeur, l'estiment, eux, toujours "présent" et réclament son maintien en vie. En cas de décision contraire, ils ont prévenu qu'ils saisiraient la Cour européenne des droits de l'Homme qui, par une mesure provisoire et urgente, pourrait demander qu'elle ne soit pas mise à exécution. "Vincent n'est pas un légume (...), je ne peux pas imaginer que des juges pourront suivre le rapporteur public", a dit sa mère lundi soir sur BFMTV.
A l'inverse, son épouse Rachel, son neveu François, six autres frères et soeurs et le corps médical demandent l'arrêt des soins, conformément à sa volonté, disent-ils. "J'aimerais que les conclusions du rapporteur soient suivies par le Conseil d'Etat, qu'on laisse Vincent partir tranquillement, dignement", a expliqué son épouse mardi matin sur Europe 1.
Nuit de solitude et d'inconscience
Le rapporteur public du Conseil d'Etat, Rémi Keller, a recommandé vendredi d'annuler une décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui avait ordonné la poursuite des soins. Le tribunal avait été saisi par les parents de Vincent Lambert, révoltés que le CHU de Reims et son médecin, leDr Eric Kariger, aient décidé début 2014 d'arrêter son traitement. M. Lambert est "en état végétatif totalement inconscient", selon une expertise menée par trois médecins à la demande du Conseil d'Etat, a notamment souligné le rapporteur public; celui-ci a estimé que l'alimentation et l'hydratation qui lui étaient prodiguées "n'ont d'autres effets que de le maintenir artificiellement emmuré dans sa nuit de solitude et d'inconscience".
Evoquant une "obstination déraisonnable", M. Keller a demandé au Conseil d'Etat de "constater que la décision d'interrompre le traitement" était conforme à la loi Leonetti, d'autant que le patient avait, selon son épouse et un de ses frères, exprimé oralement "son souhait de ne pas être maintenu dans un état de dépendance", si cela devait lui arriver un jour, a-t-il rappelé. Ce que contestent les parents. "Tout tend vers l'arrêt du traitement", estime pour sa part François, le neveu de Vincent Lambert. "Mais le jour où le Conseil d'Etat dit +On débranche Vincent+, je ne vais pas sauter de joie", confie-t-il.
Dénonçant la volonté du rapporteur public de "créer dans le droit français une possibilité d'euthanasie", Me Jean Paillot, l'un des avocats des parents, a estimé que la décision rendue serait "extrêmement importante, tant pour Vincent Lambert que pour des centaines de personnes qui se trouvent exactement dans la même situation". Le rapporteur public a lui assuré qu'elle n'aurait "aucun caractère général".