A Reims, le docteur Damien Chaste, chirurgien-urologue à la polyclinique Reims-Bezannes, constate avec dépit que beaucoup de patients suivis pour des cancers refusent de venir consulter par crainte d'une infection au covid-19. Entretien.
Entre les chiffres égrénés chaque soir et détaillant le nombre d'hospitalisations et de mort du covid-19, et les appels à rester chez soi, nombreux sont les patients qui ne se rendent plus chez leur médecin. Or, pour beaucoup, par exemple les personnes atteintes d'un cancer, c'est une nécessité. Installé à la polyclinique Reims-Bezannes, Damien Chaste, chirurgien-urologue, ne cache pas son inquiétude.
Où en est votre activité aujourd'hui par rapport à l'avant-confinement ?
Le confinement est une démarche absolument nécessaire afin d'éviter la propagation du coronavirus, c'est une évidence de le dire. Mais dans le même temps, trop de patients ont oublié de se faire soigner pour d'autres pathologies, alors qu'il n'y a aucune raisons de se priver de se déplacer pour venir voir son médecin : les visites médicales sont d'ailleurs prévues dans les attestations de déplacement dérogatoire et il faut bien sûr en profiter. Malheureusement, une majorité de patients atteints de cancers ne se déplacent plus dans les établissements de santé : au sein du cabinet d'urologie qui comprend six médecins spécialistes, notre activité a diminué de près de 85 %.
Pour quelles raisons ne se déplacent-ils plus ?
Il s'agit souvent d'une peur irrationnelle et très mauvaise conseillère. Beaucoup de patients craignent d'être infectés en venant consulter et laissent, de fait, une autre pathologie muer et faire potentiellement chez eux bien plus de dégâts que le coronavirus alors que notre priorité en tant que médecin est de prendre en charge les cancers à temps afin de stopper leurs évolutions. Il faut absolument éviter toute "perte de chance" pour nos patients mais dans la situation actuelle, le temps joue contre nous.
On a des suivis réguliers de certains cancers, notamment des cancers de la vessie où il y a des fréquences de récidive assez importantes et qu'il faut surveiller très régulièrement grâce à un examen, la cystoscopie. Un patient que j'essayais de convaincre de venir m'a même dit "arrêtez de me harceler, ma vie est entre les mains de Dieu" : je me suis senti impuissant face à cette peur irrationnelle d'être exposé au covid.
J'appréhende le 11 mai et la levée du confinement : j'ai peur de découvrir des pathologies qu'on aurait pu prendre à temps, des dommages collatéraux...Il faudra rattraper le temps perdu mais pour certains, on aura sûrement trop attendu...
- Damien Chaste, chirurgien-urologue
Quant est-il de la détection de certains cancers ?
En parallèle des suivis, il y a bien sûr aussi les premiers diagnostiques qui représentent en temps normal une vingtaine de cas chaque semaine. Aujourd'hui, on ne joue plus du tout notre rôle premier qui est de diagnostiquer ces lésions cancéreuses, que ce soient les cancers de la prostate, de la vessie, du rein ou les tumeurs testiculaires. Les patients, envoyés par les médecins traitants, rechignent à venir. Pourtant ils n'ont pas disparu : ce sont juste des patients qui sont chez eux et qu'on prendra en charge, mais malheureusement avec le temps du déconfinement en plus...
Quelles sont les conditions de sécurité d'accueil des patients ?
Il faut absolument les rassurer. Au sein de la polyclinique, nous respectons toutes les mesures barrières possibles. Nous avons adapté nos horaires afin que les patients ne se croisent pas. On consulte bien sûr avec des masques, et du gel hydroalcoolique est à disposition. Dans les salles de consultation, les patients sont à plus d'un mètre de distance et il y a des écrans de protection en plexiglass devant les secrétaires comme au supermarché.
Toutes les mesures sont prises pour garantir une totale sécurité aux patients le temps du geste ou de la consultation.
- Damien Chaste-chirurgien urologue
Quelle est la situation concernant les patients atteints du covid au sein de la polyclinique ?
En concertation avec le CHU, on s'est très vite organisé pour optimiser les soins. On a libéré de la place et réaffecté du personnel. En tout, trois services complets, soit l'équivalent de 70 lits, ont été fermés pour être dédiés à la prise en charge des patients "covid", en plus de la réanimation. Au plus fort de la crise, nous avons accueilli 26 patients en réanimation et une soixantaine en prise en charge. La semaine dernière, heureusement, ce chiffre était redescendu à 25 patients hospitalisés et 12 en réanimation.