Patrick Chemla est psychiatre, à Reims. Il est le fondateur du centre de jour "Antonin Artaud". Même en période de confinement, surtout en ces temps difficiles, il reste en contact avec ses patients souffrant de troubles psychiques.
Patrick Chemla a une vision "humaniste" de la psychiatrie. Il a créé en 1985, à Reims, le centre de jour "Antonin Artaud", un lieu d'accueil et de soins au coeur de la ville. Ici, les patients circulent librement. Ils se retrouvent, échangent. Mais désormais, ils doivent faire face à l'enfermement, l'isolement, le confinement lié à la crise sanitaire du covid-19. Depuis le 17 mars et les restrictions du Gouvernement, le personnel médical s'est adapté pour continuer à écouter ces malades, en grande souffrance, parfois.
Comment vont vos patients ?
Patrick Chemla, psychiatre : Ils souffrent beaucoup du confinement, bien sûr. 90% des patients de mon service sont suivis en dehors de l'hôpital psychiatrique sauf crise majeure qui nécessiterait des soins. Avant les mesures du gouvernement et le discours d'Emmanuel Macron, on avait anticipé cette situation. Il y a dix jours, on a commencé à imaginer un dispositif de crise. Le lundi 16 mars, on le mettait en route. Au centre, 1.500 personnes consultent mais 250 ont des difficultés plus importantes. On a donc mis en place une astreinte téléphonique pendant la journée. On a commencé par une, puis deux et maintenant il y a en quatre. Ils peuvent nous contacter s'ils ne le font pas, on les appelle. Pour les rassurer, leurs montrer qu'on est toujours là. Avant le confinement, on avait déjà une astreinte de nuit, elle continue, bien sûr, mais finalement on est moins dérangé comme on a déjà beaucoup d'appels en journée. On poursuit aussi notre travail à domicile pour les patients en appartement thérapeutique. Ils sont une vingtaine.Certains patients sont-ils plus fragiles ?
PC : On pense aux personnes seules, sans famille, qui souffrent de troubles psychiques graves, qui sont très déprimées ou qui délirent. Après leur grosse crainte, c'est la même que la nôtre. Comment supporter le confinement ? Comment faire face à une menace qui ne se voit pas ? On a reçu des nouvelles contradictoires du gouvernement de "c'est pas grave" au "confinement de 15 jours" puis "urgence sanitaire pour deux mois", on est désorienté. Mes patients ne peuvent plus déambuler, ils en sont privés et c'est très douloureux. On est quand même un peu en prison. On réalise que cela va durer deux voire trois mois. On va prendre toutes les précautions.Il n'y a pas plus de pensées suicidaires que d'habitude. On partage nos inquiétudes, malades ou non. On traverse une épreuve commune. C'est normal d'avoir peur. Bien sûr, ces moments là peuvent être douloureux, faire ressortir des traumatismes du passé. C'est pourquoi, il est capital de se confier. De passer un coup de fil à vos proches, seuls, âgés ou non. Même cinq minutes, prenez des nouvelles.
Quels signes doivent nous alerter en cas de danger ?
PC : Si vous voyez quelqu'un dans la rue, en état d'agitation, qui délire, il faut prévenir les pompiers et l'amener aux urgences. Toute situation traumatique engendre des réactions très variables. A l'hôpital, une cellule d'urgence médico-psychologique a été mise en place. Nous nous tenons aussi à disposition au centre Antonin Artaud. Les psychiatres privés, également, continuent d'écouter leurs patients, consultent par téléphone. Il faut pouvoir parler et avoir à l'autre bout du fil quelqu'un qui nous écoute vraiment.
C'est quand on ne donne pas signe de vie qu'il faut s'inquiéter. Si on nous appelle pour nous dire "je suis angoissé" et bien c'est normal, bienvenue au club j'ai envie de dire.
- Patrick Chemla, psychiatre à Reims
L'inverse serait plus préoccupant. On partage cette catastrophe. Le silence, lui, doit alerter. Il faut aller vers ces personnes mutiques. Le mauvais réflexe, ce serait le repli sur soi. La parole libère. Les gens qui écoutent sont indispensables. On l'oubliait, ces derniers temps.
En quoi votre façon de travailler a changé ?
PC : Concernant le travail à domicile, il faut trouver le juste milieu entre continuer notre soutien psychologique et prendre le risque de répandre le virus. On limite les déplacements. Hier soir, lundi 23 mars, la direction régionale de la santé, a, enfin, sortie une note reprenant notre travail mis en place. Notre équipe soignante est très mobilisée, on ne peut pas se réunir à cause des risques de propagation mais on s'appelle, on se parle par visioconférence, pour éviter qu'on craque. On va aussi créer un journal avec les patients par le biais d'outils internet. On va tenir prochainement une assemblée générale. Il faut absolument maintenir un contact avec les patients mais aussi les soignants. On utilise tous les moyens technologiques et ça marche. C'est plus de la conversation mais ça montre qu'il y a une présence humaine, réelle.On s'est arrangé avec les pharmacies, on faxe les ordonnances. Les infirmières libérales nous aident aussi avec les médicaments à apporter à domicile. Sinon les patients passent prendre leur traitement ou leur injection directement au centre. Cela permet de garder le contact et de se voir, même de loin.
Face à cette épidémie de covid-19 et au manque de moyens, deux infirmières en hôpital psychiatrique témoignent sur les réseaux sociaux. Elles se sentent démunies.
#COVID19 Paroles du terrain #2
— Bastamag (@Bastamag) March 24, 2020
Avec l'épidémie, Géraldine & Oriane, infirmières en #psychiatrie, vivent violemment les conséquences des restrictions budgétaires ds leur milieu. Démunies pr protéger et accompagner dignement leurs patient.e.s, elles se confient à @RaphaelGodechot pic.twitter.com/nwRDlUkIG2
Manquez-vous de moyens ?
PC : On commence juste, depuis le 23 mars, à recevoir les masques. Les soignants prennent des risques, sont en danger. La psychiatrie a été très peu prise en considération, les directives n'arrivent que maintenant. On s'est senti oublié. On sait que la situation dans le Grand-Est est dramatique, que les hôpitaux sont prioritaires, mais quid des médecins généralistes, des infirmiers, des psychiatres 2.000 masques ce mardi 24 mars pour tout le dispositif marnais, c'est très peu vis-à-vis de nos besoins. On garde les masques 24h alors que normalement ils sont efficaces 3h seulement. On est un pays riche et on se retrouve face à une grave pénurie, c'est incroyable qu'il n'y ait pas de masques ? On n'a pas les moyens de soigner les patients et si nous, personnel médical, on tombe malade, qui va nous soigner ? J'ai acheté moi-même en pharmacie du gel hydroalcoolique.VIDEO. Au centre Médico Psychologique Antonin Artaud à Reims, la caméra de Nicolas Contant, trois mois durant, a été la complice des patients présents. Pas de voyeurisme, mais une complémentarité artistique qui en dit long sur la quête du réalisateur. "Nous, les Intranquilles", un documentaire de janvier 2019.