Coronavirus et déconfinement : "on ne sera pas prêts pour le 11 mai", selon un immunologiste de Reims

Serons-nous prêts pour le déconfinement du 11 mai ? Où en sera l'épidémie de covid-19 ? Quelles mesures prendre pour éviter tout rebond ou résurgence du virus ? Pour le professeur Jacques HM Cohen, "il aurait mieux valu miser sur le début du mois de juin." Entretien.

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Le professeur Jacques H.M. Cohen est immunologiste. Il a dirigé le service d'immunologie du CHU de Reims et travaillé sur le VIH. Comme responsable du groupe biologie de Médecins du Monde, il a piloté différentes missions en Amérique centrale et en Afrique, où il s'est notamment occupé de pathologies infectieuses et d'épidémies.

En qualité d'expert agréé par la Cour de cassation, il a travaillé sur de nombreux dossiers, celui du sang contaminé, des hépatites C, d'infections nosocomiales ou d'accidents médicamenteux. Aujourd'hui à la retraite, il fait partager son expertise sur le covid-19, notamment sur son blog. Nous l'avons interrogé. 
 

Le 11 mai est-il une date raisonnable pour le déconfinement ?

J.HM.Cohen : La première question que l'on doit se poser est : "Le risque sera-t-il toujours là le 11 mai ? Si la réponse est non, il n'y a plus d'épidémie. Alors on déconfine ... Mais le problème se pose si le virus continue à circuler. Dans ce cas-là, le 11 mai, c'est trop tôt. D'ailleurs, c'est le scénario que je privilégie. 

Nous ne serons pas prêts. Il nous manque des tests antigènes, des tests anti-corps, et nous n'avons pas de masques de qualité.
- Professeur Cohen, immunologiste

Les 700.000 tests qu'évoque le Premier Ministre, cela fait à peine 100.000 tests par jour, et c'est peu pour tester à la fois les malades et les 200.000 personnes choisies comme panel pour connaître la circulation virale. Quant à miser sur 3.000 nouveaux cas par semaine, cela fait moins de 500 par jour, alors que nous en sommes encore à 2.400 nouveaux malades par jour. Ce n'est pas raisonnable.
Pour 100.000 habitants, au-dessus de 600 cas par jour, on ne peut pas déconfiner. Lorsqu'on arrive à une contamination pour un million d''habitants, soit 60 cas, on peut l'envisager.
 
Ce qu'il faudrait faire et ce qu'il aurait fallu faire dès le début de l'épidémie, c'est évaluer la circulation virale. Il aurait fallu pratiquer 200.000 tests sur un panel établi par l'Insee ou les instituts de sondages tous les cinq jours et observer l'évolution géographique et quantitative. Mais nous n'avons pas les moyens de le faire, ce qui fait qu'on est dans le brouillard. On va donc s'appuyer sur le nombre de nouveaux malades et le nombre de lits de réanimation. La même méthode qu'en 1919 ! On saura juste s'il y a encore du virus, sans avoir d'informations sur sa cinétique, comment il évolue et comment il se comporte.
  

Y a-t-il un risque de rebond de l'épidémie ?

On ne peut qu'observer ce qu'il s'est passé dans d'autres pays car on n'a pas mis en place les instruments de mesures indispensables. Difficile à dire sans cette fameuse cinétique. C'est comme la météo. On ne peut avoir de certitude. Nous devons regarder dans d'autres pays touchés pour anticiper, la même chose pourrait se passer en France. En Chine, l'épidémie est guérie et les nouveaux cas que l'on enregistre sont des cas réimportés, ils viennent donc de l'extérieur. En Italie, et plus précisemment en Lombardie, l'épidémie a débuté 15 jours avant la nôtre. Elle n'est pas tout à fait finie. Il faut y observer la queue d'épidémie pour pouvoir prédire la nôtre.
 

Les départements classés en fonction de leur dangerosité. Est-ce une bonne idée ?

Il faut travailler au niveau global et local. Une carte avec le niveau de dangerosité des départements est très difficile à manier (Le Premier Ministre a annoncé le classement des départements en fonction de leur taux de cas nouveaux, de leurs capacités hospitalières régionales en réanimation et de leur système local de tests. Ils seront classés du rouge au vert. Et la carte de France évoluera tous les jours). De plus, d'un point de vue psychologique, les citoyens, qu'ils soient des particuliers ou encore des chefs d'entreprise, auront du mal à admettre d'être limités dans leurs libertés en fonction de leur zone géographique d'implantation.
  

Ceux qui ont été malades sont-ils immunisés ?

Il y a deux niveaux à considérer, l'immunité collective et l'immunité individuelle. On parle d'immunité collective et d'éradication du virus quand les deux tiers de la population ont été contaminés. Mais le plus souvent, l'épidémie s'arrête avant, autour de 25 %. Cela a été constaté à Creil dans l'Oise, où l'épidémie s'est arrêtée.

Quant à l'immunité individuelle, elle dépend de la forme de maladie que les gens ont eue. Ceux qui ont développé une forme grave sont protégés, ceux qui ont développé un forme légère peuvent attraper une nouvelle fois la maladie, mais à nouveau sous une forme légère.
 

On évoque depuis quelques jours le cas d'enfants hospitalisés en France et en Grande Bretagne, qu'en est-il ?

Ils sont hospitalisés à la suite d'une une maladie très rare qui présente des symptômes proches de ceux liés au covid-19. Mais il y a très peu d'enfants contaminés par le covid-19. C'est complexe. La question est de savoir s'il s'agit d'une autre maladie ou si c'est le même virus. Souvent en fin d'épidémie, on observe des formes cliniques inhabituelles de la maladie. Je l'ai vu chez des patients qui présentent une diarrhée aigue sans autres symptômes du covid 19. Il y a aussi des formes cutanées, ou éventuellement cette forme pédiatrique.
 

Peut-on prévoir le moment où le virus va s'arrêter de circuler ?

On sait qu'il est en train de disparaître. On peut s'appuyer sur la situation en Lombardie. Ils ont deux semaines d'avance sur la France. On peut supposer que le virus va se comporter de la même façon chez nous. L'épidémie pourrait se terminer entre le 11 mai et le 1er juillet. Mais selon moi autour du 1er juin.
 

Au 1er juillet, on est sûr qu'il n'y aura plus d'épidémie, que le virus ne circulera plus sauf résurgence ou réimportation. C'est pourquoi il va falloir être extrêmement vigilants.
- Professeur Cohen, immunologiste


Voilà ce qu'il faudra faire : surveiller les cas de résurgences et tester les personnes aux frontières, les placer en quinzaine avant de les laisser entrer en France. Et cela aussi longtemps que le virus circule dans le monde.
 

Doit-on s'attendre à une seconde vague ?

La seconde vague n'est pas du tout certaine. Les virus voisins comme le MESR ou le SARS ne sont pas très portés aux résurgences ni aux nouvelles vagues. Ce n'est donc pas sûr que le covid s'installe durablement dans l'espèce humaine ou qu'il devienne saisonnier.
 
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