Alors que les élèves sont invités à poursuivre les cours à la maison pendant la période de confinement, certains éprouvent quelques difficultés à poursuivre l’école chez eux. L’entraide prime entre enseignants et élèves.
"C’est grave la galère." Ce mercredi 18 mars à Reims, Fiona le concède, l'école à la maison n'est pas ce qu'il y a de plus facile. L'élève en terminale STMG au lycée Hugues Libergier à Reims s'organise comme elle peut. Sa sœur de 24 ans lui a prêté son ordinateur afin de suivre les cours à distance. A trois jours de confinement, elle parvient à travailler chez elle, mais elle avoue être incapable de se projeter si la situation vient à durer plus de deux semaines. "De toute façon, je n’ai pas le choix", dit-elle d'un ton fataliste."C’est vraiment compliqué", ajoute Fiona. "J’ai l’impression qu’ils nous donnent plus de travail que quand on est en cours." Dans sa classe, comme dans beaucoup d'autres, les élèves ont créé un groupe sur Snapchat, le réseau social aux photos éphémères, sur lequel ils s'envoient les cours, les exercices et s'entraident. Un outil bienvenu quand il faut se couper du monde. "L’ENT (environnement numérique de travail) ne fonctionne pas", raconte-t-elle. "Les profs n’envoient pas sur les mêmes supports : mails, classeurs pédagogiques, ENT, parfois ils envoient des cours incomplets. Certains ne répondent pas par mail", a constaté la future bachelière. Autre difficulté, la lycéenne a rendu un devoir, mais sa professeure ne l'a pas accepté, "car elle croit qu’on l’a fait tous ensemble".
"La question se pose pour les classes à examen"
L'étudiante en terminale s'estime chanceuse. Même si sa mère ne peut pas l'aider à faire ses devoirs, elle parvient à s'astreindre à un bon rythme de travail. "Pour l'instant", corrige-t-elle dans un sourire. Derrière sa bonne humeur, Fiona s'inquiète pour le bac qu'elle passera à la fin de l'année. "Si on a moins avancé sur une année pour les 6e, 5e et 4e on peut rattraper en septembre l'année d'après", temporise Yohann Odivart, professeur d'histoire-géographie et syndiqué au SNES-FSU.Dans l'émission des maternelles sur France 5, les experts répondent aux questions sur le coronavirus et les précautions à prendre avec les enfants et femmes enceintes.C’est pour les classes à examen que ça va être plus compliqué. Après le confinement, il faudra bien s’assurer que ce qui a été fait a été bien fait.
-Yohann Odivart, enseignant syndicalisé au Snes-FSU.
Plus que pour son propre cas, Fiona s'interroge : "Ma tante n’a pas été à l’école, elle ne sait pas comment faire. Elle a trois enfants dans des classes différentes (ils ont 3, 6 et 10 ans). Elle m’a dit qu’elle en a mis un dans chaque pièce. Quand ce sont les instituteurs, ils ont une autorité, mais quand c’est chez eux, il y a les dessins-animés, ils jouent…" Pas facile donc, quand on doit gérer trois enfants en bas-âge et qu'on ne sait pas soi-même poser une addition ou une multiplication. "Je pense que les inégalités sont déjà creusées en France", analyse Yohann Odivart. "Mais cette situation peut les aggraver." L'enseignant ne veut pas céder à la panique : "Même si un mois de cours n’est pas assuré, c’est sur plusieurs années que cela se joue. En juin, il y aura plus de difficultés pour certains que pour d’autres."
En juin prochain, il sera temps pour les élèves de première, terminale ou encore de troisième de passer des examens. C'est le cas de Dianké, qui devra passer un bac STMG, option mercatique (marketing dans la langue de Molière), qui se trouve dans la même classe que Fiona. Pour l'instant, la tout juste majeure doit prendre son mal en patience. "J'ai l'impression d'être déscolarisée. Je réfléchis pour le bac, et je me dis qu'on est vraiment dans la galère. Je ne sais pas comment on va faire", regrette Dianké. "Tous les professeurs nous donnent des choses à faire sur Word, et tout le monde n'a pas d'ordinateur." Justement, elle fait partie de ceux qui n'en ont pas. Elle dépend de Fiona, qui lui envoie par message les devoirs et les cours.
Même s'il est difficile de rester enfermé chez soi, cette vidéo de France tv slash explique la nécessité du confinement.Je fais tout sur papier, et je ne peux rien rendre parce que je n'ai pas Word. Depuis le début du confinement, je n'ai pu faire que des exercices de mercatique et d'espagnol parce qu'ils étaient sur un manuel.
- Dianké, 18 ans.
Difficile de se concentrer quand on n'est pas seule à la maison. Chez Dianké, ils sont neuf à être confinés, répartis dans cinq pièces. "J'ai une grande sœur qui peut m'aider car elle a fait un bac similaire au mien et une autre qui peut m'aider en langue car elle est très forte en espagnol. Mais ce n'est pas comme avec les vrais profs", déplore-t-elle. Et la lycéenne d'ajouter : "Je suis pressée de retourner au lycée, pour les cours, parce que là on s'ennuie trop. Entre le confinement et le lycée, je préfère largement aller au lycée."
"Je ne vais pas avoir une vache dans mon jardin"
Parfois, même un ordinateur ne suffit pas. Lilou est en première dans un lycée agricole dans les Ardennes. Elle prépare un bac professionnel de CGEA, conduite et gestion d'une entreprise agricole à Houldicourt. Problème : le village est en zone blanche. Comprendre : il n'y a pas de réseau, ou seulement par intermittence. D'ailleurs, il faut la contacter sur son téléphone fixe pour avoir du réseau. Son père a pris les devants : lui aussi en télétravail, il s'est équipé afin de booster le réseau à la maison.Au fil des appels, on apprend vite ce qu'est Pronote, l'application miracle qui permet aux enseignants et aux parents d'échanger. Les ENT aussi, les environnements numériques de travail, sur lesquels les professeurs peuvent mettre leurs cours à disposition et les élèves les télécharger. Concrètement, la vie de la lycéenne s'organise ainsi : elle se rend sur l'application Pronote, où les cours sont mis tous les jours en fonction de son emploi du temps. "Ce sont soit des cours qu'on doit recopier, soit des exercices qu'on retransmet sur Pronote", détaille-t-elle.
Avec une connexion internet de zone blanche, il faut s'armer de patiente. "Avec certains profs on a créé des groupes Messenger", dit-elle d'une voix posée. "On est une petite classe donc c'est bon. On vient tous de petits villages en zones blanches, donc les profs sont compréhensifs." Seulement, outre les matières générales comme le français ou les mathématiques, impossible pour Lilou de réviser ses cours de zootechnie à distance. "Comme je suis en bac pro, je ne vais pas avoir une vache dans mon jardin pour faire les manipulations techniques", constate-t-elle amusée.
Ce n'est pas facile à distance. A la place d'une heure, je mets plus de temps que d'habitude en classe, où on a un prof qui est là et nous explique. Je me sens beaucoup moins à l'aise. Pour les matières générales, je peux demander à mes parents mais pas pour les matières professionnelles.
- Lilou, étudiante en lycée agricole dans les Ardennes.
Des groupes Snapchat pour les jeunes, Whatsapp pour les enseignants
Pour pallier ces difficultés, chacun a ses combines. Pour les jeunes, ils communiquent essentiellement sur Snapchat, le réseau social au fantôme jaune. Houda est du genre sérieuse. Avec plus de seize de moyenne en quatrième, c'est elle qui vient en aide aux autres quand ils en ont besoin. "Si j’ai des questions, j'envoie des messages via la messagerie de l’ENT à mes professeurs. Ils me répondent", raconte la Rémoise simplement. "On a un groupe de classe où on s’entraide. Certains qui n’arrivent pas à se connecter, on envoie des screens (comprendre des captures d'écran) et on les envoie sur le groupe pour qu’ils aient les devoirs." La collégienne parvient à s'aménager des plages de travail entre 9h et midi le matin puis de 14h à 16h l'après-midi."Les maths, c’est facile. On nous donne le cours puis on a les exos", détaille Houda. "C'est plus difficile pour le français où on a que des études de texte. Le plus difficile, c'est quand t’es bloqué sur une question, ça prend du temps que le prof réponde." Quand on lui demande ce qui est plus facile avec l'école à la maison, la collégienne botte en touche : "Le plus facile? Je ne sais pas. Les cours me manquent, la salle de classe aussi."
Côté professeurs également, la solidarité s'organise à distance. "Pour nous enseignants, ça nous aide aussi de continuer à travailler", concède Yohann Odivart. "Il y a des plateformes pour que nous puissions échanger, nous entraider. On a des groupes Whatsapp, des échanges de mails." Au collège Robert Schuman de Reims, dans lequel il donne cours, les enseignants se sont répartis les contacts des familles pour créer un lien en cas de problèmes, par mail ou par téléphone, "pour savoir comment ça se passe dans chaque famille, pour guider, rassurer et leur expliquer", assure le prof d'histoire-géo.
"Ça fait un peu système D"
Face aux serveurs défaillants, les professeurs ont tenté de trouver des solutions rapidement. "Au départ, on a cherché des solutions alternatives à l’ENT (qui est public et appartient au ministère), plutôt que des plateformes privées (qui prennent des informations personnelles, posent des questions sur les droits d’auteurs)", explique Yohann Odivart. "Parfois on arrivait à utiliser un outil, mais on s’est rendu compte qu'il fallait que l’élève crée un compte, ce qui n’était pas l’idéal." Le souci avec les plateformes privées, c'est qu'elles récoltent les données personnelles des étudiants. Une méthode inconcevable selon Marie-Laure Gout, enseignante de sciences économiques et sociales (SES) au lycée Jean-Jaurès de Reims.Avec des groupes comme Whatsapp ou Messenger qui appartiennent à Facebook, on a un problème d'utilisation des données, de la récupération de nos cours. Dans l'urgence, on a tendance à faire des choses très vite avant de se rendre compte qu'il ne faudrait pas.
- Marie-Laure Gout, enseignante de SES au Lycée Jean-Jaurés à Reims.
L'enseignante doit d'ailleurs gérer ses trois enfants à la maison. Âgés de 12 à 16 ans, ils sont plus ou moins autonomes. "Nerveusement c'est compliqué, mais en même temps, on est chez nous", relativise-t-elle. "On se dit que si on n'y arrive pas, on prend son mal en patience." Les quatre télétravailleurs doivent jongler avec trois ordinateurs, même si Marie-Laure Gout le reconnaît, ils sont plutôt bien équipés. "Je passe mon ordinateur à la plus grande, car le sien n'est pas assez puissant pour ses cours en ligne", détaille-t-elle. A la fois enseignante et maman en télétravail, elle reconnaît que "c'est un peu compliqué. Ça fait un peu double emploi. Je ne m'isole pas, mais j'ai passé plus d'une heure à télécharger les devoirs de huit élèves."
Au troisième jour de télétravail, les deux enseignants se demandent comment cette organisation va durer. "Effectivement, cela va créer une nouvelle inégalité, ceux qui ont une bonne connexion et les autres. Les premiers à m’avoir répondu, ce sont ceux dont les parents sont enseignants", admet Yohann Odivart. Même constat du côté de Marie-Laure Gout, qui a mis une heure à télécharger huit devoirs rendus : ceux des meilleurs de sa classe. "Je l'ai vu avec certains élèves qui sont en difficulté en temps normal. Ils me regardaient paniqués et me disaient : 'On ne va pas y arriver'", se souvient l'enseignante.
Faire au mieux sans trop de stress
Consciente que les devoirs à rendre dans des délais courts peuvent être une source de stress, la professeure de SES a décidé de mettre un peu d'eau dans son vin. "C'est une grosse source de stress, ces dates. C'est bien car ça les structure dans leurs devoirs, mais c'est une source de stress. J'ai donné des délais plus longs. Peut-être que je n'en mettrais plus ? À voir."Pour l'heure, le confinement annoncé ne devrait durer que quelques jours. "La santé doit être primordiale et si besoin, on s’organisera plus tard", tempère Yohann Odivart. "Cela peut arriver qu’ils manquent l’école pendant ces périodes, on pourra reprendre facilement. Mais si c’est jusqu’aux vacances, ce sera important de voir avec les élèves ce qu’ils ont appris ou non. Il faudra peut-être aménager des cours. Demander aux élèves qui ont compris d’expliquer aux camarades par petits groupes."