Depuis quelques années déjà, l’entreprise Vipalux, numéro 2 mondial dans la fabrication des coiffes en aluminium, travaille sur un produit plus écologique. Troqué l’aluminium contre le papier, une idée prise à bras le corps, ces derniers mois, par le syndicat général des vignerons. Et le marché est lancé.
Elles se coiffent de papier. Les bouteilles de champagne se relookent ! Mais au-delà d’une tendance incitée par une quelconque mode, l’arrivée du papier répond à une envie de plus d’écologie. Un cercle vertueux, proche de la protection de l’environnement, amorcé, dans les pratiques champenoises, voilà quelques années déjà.
Il a fallu du temps pour trouver le bon grammage de papier, la qualité des impressions. Il en faudra encore pour améliorer l'ouverture, le décapsulage. Pour trouver le bon pli. L’entreprise rémoise, Vipalux, spécialiste de la coiffe en aluminium, a travaillé pendant deux ans sur cette évolution. "Casse-tête pas forcément, explique Laurent Parizot, directeur commercial et co-fondateur de Vipalux. Disons que l’on reste sur notre cœur de métier, c’est-à-dire former des coiffes. Ça, c’est quand même un point important. Pari technologique oui, parce que l’on travaille un matériau qui est totalement différent et qui ne veut pas se laisser contraindre comme l’aluminium l’accepte. C’est un magnifique challenge que l’on veut pousser au maximum parce qu’il y a une notion écologique importante. Non pas que l’aluminium soit négatif ou néfaste, mais il y a quand même un plus pour le papier".
L’entreprise Vipalux ne s’attendait, sans doute pas, à autant d’enthousiasme de la profession. "La demande est énorme chez les viticulteurs, les coopératives, les négociants. Et même à l’export. J’ai une demande pour la Modalvie", reprend Laurent Parizot.
Entrée en jeu du syndicat général des vignerons de Champagne
La demande est là et la profession a très envie de continuer à progresser en matière environnementale. Mais de là à envisager un véritable marché de la coiffe en papier : pas simple pour le moment.
"Dans tous les cas, on a une forte demande écologique et donc en cela on peut considérer que c’est l’avenir, précise encore Laurent Parizot, directeur commercial de Vipalux. Jusqu’où on ne sait pas. Combien de pourcentages de coiffes en papier les clients accepteront-ils de mettre dans leurs gammes ? Pour l’instant, on n’en sait rien".
C’est en travaillant avec le Syndicat général des vignerons de Champagne, que quelques réponses sont apparues. "L’action menée avec le syndicat général des vignerons a permis de faire cette approche vis-à-vis des clients et d’avoir ce retour que nous n’avions pas, précise encore le directeur commercial de l’entreprise Vipalux. Nous étions un peu timide par rapport à cela. Le syndicat général des vignerons nous a poussés et nous avons vraiment fini par nous lancer".
Le complexe aluminium, c’est un sandwich avec deux feuilles d’aluminium et du plastique au milieu. Ça n’est pas recyclable. Pour faire fondre de l’aluminium il faut énormément d’énergie. Avec la coiffe papier on a réduit par cinq les émissions carbone.
Cédric Moussé, vigneron à Cuisle dans la Marne
"Ça fait quelques années, avec Vipalux, que l’on cherche à améliorer le côté écologique dans les coiffes, explique Eric Lamaille, responsable du service CRD (capsule représentative de droits qui permet la circulation et la commercialisatides bouteilles) au Syndicat général des vignerons de Champagne. Vipalux nous a parlé de la coiffe papier il y a deux ans."
Depuis quelques mois, la guerre en Ukraine, la crise de l'énergie ou encore l'inflation ont contribué à désorganiser le marché de l'aluminium, avec à la clé des problèmes d'approvisionnement. De quoi également accélérer le mouvement sur la coiffe version papier.
"Suite à toutes ces problématiques d’approvisionnement, on a donc souhaité, au syndicat, développer quelque chose d’autre que l’aluminium. J’avais des échantillons de coiffes papier dans mon tiroir de bureau et quand on est allés au Salon Viti-Vini (en octobre dernier) on s’est dit qu’on allait les présenter aux vignerons et voir leurs réactions. A la grande surprise cela a beaucoup plu. A 9 heures du matin on ouvrait les portes du salon, Cédric Moussé (viticulteur) est passé à 9 h 15 et me dit, j’en veux. Après Alexandre Chaillon est venu. Et aujourd’hui on a entre 25 et 30 vignerons qui ont commencé à réfléchir à vouloir passer en coiffes papier."
Une suite logique
Eric Lamaille, du syndicat général des vignerons, a travaillé sur le sujet avec les viticulteurs. "Le service CRD du syndicat général des vignerons, c’est 3 800 vignerons. J’ai ciblé, j’ai regardé qui voulait servir de cobaye. Et aujourd’hui on me demande de créer une gamme de coiffes génériques en papier. Les mentalités sont en train de changer et ça répond à une philosophie de ce que veulent faire nos vignerons, par rapport à la façon dont ils cultivent leurs vignes, dont ils élèvent leur vin. L’habillage est devenu aussi quelque chose d’important pour eux en termes d’image sur leurs exploitations. On va au bout du process".
Pour être franc, j’ai des clients qui ne se rendent pas compte qu’ils n’ont plus de coiffes en aluminium. On est sur du blanc, mais ils sont en train de faire des essais pour intégrer de la couleur. On ne va y voir que du feu !
Cédric Moussé, vigneron à Cuisle dans la Marne
Cédric Moussé, vigneron à Cuisle dans la Marne, est le premier à se lancer dans cette aventure. "Etre parmi les premiers, on essuie un peu les plâtres, mais on est vraiment bien entourés, explique le viticulteur. Il a fallu adapter la machine. Sur le packaging global, il y avait quelque chose qui me dérangeait. Le complexe aluminium, c’est un sandwich avec deux feuilles d’aluminium et du plastique au milieu. Ça n’est pas recyclable. Pour faire fondre de l’aluminium, il faut énormément d’énergie. Avec la coiffe papier, on a réduit par cinq les émissions de carbone. Et en termes de résilience, l’aluminium vient de Taïwan, de Chine ou de Russie. Avec les conflits internationaux, on ne sait pas ce qui peut se passer. Là, on est sur une forêt FSC suédoise. Quand on coupe un arbre, on en replante trois. Les encres sont compostables. Cela permet d’être aligné avec tout ce que l’on fait en amont. Je ne voulais plus de dorure, de vernis. Quand je vois ma bouteille de Champagne, ça fait naturel."
Cédric Moussé a décidé d’aller au bout d’un investissement débuté bien des années plus tôt. "C’est un peu un aboutissement. Dans les vignes, aujourd’hui, on essaye de travailler avec un maximum de respect pour l’environnement. Pour le vin aussi j’y travaille en réduisant le souffre notamment." Alors les coiffes en papier, c’est une suite logique. "Pour être franc, j’ai des clients qui ne se rendent pas compte qu’ils n’ont plus de coiffes en aluminium. On est sur du blanc mais ils sont en train de faire des essais pour intégrer de la couleur. On ne va y voir que du feu !"
C’est un papier compostable. Et on a l’idée d’utiliser des encres et des colles qui le soient également pour avoir un produit le plus écologique possible.
Laurent Parizot, directeur commercial de la société rémoise Vipalux
Un enthousiasme partagé par Alexandre Chaillon. Lui, commercialise ses toutes premières bouteilles de Champagne en viticulture bio. "Aujourd'hui, quand on ouvre une bouteille, on a cette capsule en aluminium et le caviste, le restaurateur, même le client ne sait pas quoi en faire, explique le vigneron. Est-ce qu’on la met au tri ou à la poubelle ? Là, avec la coiffe papier, on est tranquille. Le papier, c’est au tri. C’est en cohérence avec ce que l’on essaye de faire tous les jours, à la vigne, à la cave. On tente d’améliorer nos pratiques constamment. On s’est engagés en agriculture biologique. Cette année, on a mis des moutons dans les vignes pour tondre l’herbe des rangs. On descend nos tonneaux en cave pour profiter de l’hygrométrie naturelle, on n’utilise pas de climatisation pour ne pas dépenser d’énergie. On fait des efforts à chaque étape. Chaque année, on essaye de faire une chose en plus. Supprimer ce complexe plastique-aluminium et avoir un habillage 100% papier sur l’habillage. C’est cohérent."
Plus cher en attendant un véritable marché
Et Alexandre Chaillon n’a pas hésité un instant. Pour ces toutes premières bouteilles en bio, il n’a pas envisagé de coiffe en aluminium. "Nous avons une opportunité, je vais directement sur la coiffe papier. Je suis super content. Le rendu ne sera plus le même. On n’aura plus le même sertissage. On sait que c’est différent mais le client va apprendre à apprécier ce nouveau pli, cette nouvelle texture. Il faut encore que l’on travaille sur ce sertissage et ce pli. Il y a encore du développement. On va travailler avec le fournisseur de machine pour mettre bien en place tout cela."
Aujourd’hui, le papier vient de Suède et le kraft de Finlande mais la matière première vient du même papetier suédois. "C’est un produit plus économique parce que ces forêts sont gérées, explique encore Laurent Parizot, directeur commercial de Vipalux. Quand on arrache un arbre, il y a trois arbres qui sont replantés. Plus écologique, parce que ce produit vous pouvez le mettre dans la poubelle de recyclage et ça part vraiment dans le cycle. C’est un papier qui est également compostable. Et on a l’idée d’utiliser des encres et des colles qui le soient également pour avoir un produit le plus écologique possible. Et puis, surtout, on est sur un mono matériau. On n'est que sur du papier."
Et le prix ? Il est plus cher que celui de l’aluminium pour deux raisons majeures. "Nous ne sommes, pour l'heure, que des petits acheteurs, reprend Laurent Parizot. Et ensuite, la réduction du coût doit venir de la cadence. Elle est très faible pour l’instant et notre objectif, c’est de l'augmenter pour réduire l’écart entre le prix d’une coiffe papier et le prix d’une coiffe haut de gamme aluminium." Chez le spécialiste rémois des coiffes de bouteille, le papier remplace l’aluminium seulement quelques heures par semaine. Pour l’instant, sur les chaines, pendant qu’une coiffe en papier est produite, plus de deux en aluminium sortent.
"Ça va prendre une grande proportion. On va en faire de plus en plus, s'enthousiasme Eric Lamaille du Syndicat général des vignerons. On a des beaux projets en termes de volume. Ce n’est pas que pour les vignerons. Ce produit est pour la Champagne".
500 000 coiffes en papier sont en commande et la production pourrait doubler avant la fin de l’année 2023.