Pas évident, quand on est diamantaire, de trouver un successeur au moment du départ en retraite. Patrick Weber a pu transmettre son métier à sa belle-fille. Mais la reprise de la boutique a nécessité une formation à Anvers, haut-lieu mondial du diamant.
Julia Kirmann avait obtenu un D.U.T., puis une licence à Castres, dans le Tarn. Ses diplômes de chimiste, spécialisés en peinture, lui offraient de belles perspectives. Elle avait d’ailleurs deux offres d’emploi très intéressantes. "C’était vraiment ce que je voulais faire", dit-elle. Seulement voilà, son beau-père Patrick Weber se préparait à prendre sa retraite, et il lui a demandé si une reprise de sa joaillerie de Reims ne serait pas susceptible de l’intéresser. "J’étais dans le sud, mais j’avais envie de remonter pour le travail. C’était l’occasion. J’ai essayé, et ça m’a plu. Je n’étais pas stressée. Je me suis dit que si je ne faisais pas cet essai, avec Patrick, je n’aurais pas d’autre opportunité ".
Bien sûr, l’envie de reprendre l’affaire ne suffisait pas. "A partir de 2015, j’ai donc rejoint la joaillerie. J’aimais bien l’activité, mais je n’étais pas habituée au contact avec les clients. Il fallait être à l’aise. On a beaucoup discuté ensemble. Mais pour que je puisse exercer, mon beau-père m’a envoyée à Anvers, en Belgique, afin que j’y sois formée au laboratoire H.R.D., une fondation spécialisée dans l’analyse et la certification des diamants, à l’international. Après plusieurs mois, j’en suis revenue, diamantaire et gemmologue diplômée".
L’occasion de moderniser l’entreprise
Patrick Weber, aujourd’hui à la retraite, est heureux d’avoir réalisé la transmission avec succès. "Je ne cherchais pas vraiment un repreneur. Je n’étais pas persuadé que mon activité puisse intéresser. C’est un métier difficile pour un jeune. Il faut un stock très important, et attention, les cours de l’or et du diamant ont monté … Au cours d’une conversation, Julia m’a dit qu’elle aurait bien aimé faire mon métier. Savoir que mon entreprise resterait pérenne, ça me plaisait. Je n’étais pas pressé d’arrêter. Il n’était pas trop tard pour préparer Julia, car je voulais la mettre en position de réussite. Dans ce métier, soit on se met dans les sabots de son père, c’est facile, soit on se forme pour être compétent". C’est la voie qu’ont choisi Julia et son beau-père.
Patrick Weber était destiné à devenir avocat, "mais un jour où j’ai fait retailler un "morceau de verre ", j’ai pris conscience de mon incompétence. La soif de connaître, l’envie de ne plus me faire avoir avec une fausse pierre m’ont conduit à l’école H.R.D., à Anvers. Il n’y a rien de mieux. Ce haut conseil du diamant dispose d’un laboratoire qui est, en quelque sorte, un juge de paix pour les professionnels. C’est là que j’avais étudié. C’est là qu’on peut se faire des relations dans le milieu du diamant. L’arrivée de Julia a été l’occasion de s’équiper avec la 3D. Pour moi qui approchais de la fin de ma carrière, ça ne valait pas le coup, mais pour elle, c’est un outil formidable".
"Quand on transmet, il faut donner toutes ses chances, à celui qui reprend".
Un outil qui révolutionne le métier
"Depuis que la conception en 3D est installée " raconte Julia Kirmann, "on fait vraiment du sur-mesure. On réalise sur ordinateur des choses que le joaillier ne pouvait pas faire à la main. On travaille à 0,1 millimètre de précision. On réalise l’impression d’une bague, par exemple, en 3D. C’est ce qui servira à faire le moule du modèle en résine. Ensuite, le modèle exclusif est fondu en or ou en platine".
Patrick Weber est, lui, franchement dithyrambique. "A mon époque, on faisait un croquis sur papier ou on montrait une maquette en laiton au client. C’était le poste à galène. Maintenant, avec la création en 3D, on peut présenter le bijou sur l’ordinateur. On peut changer la couleur des pierres. C’est magique. Si votre voisine veut la même bague que vous, sur l’ordinateur, il suffit de mettre les nouvelles dimensions. On gagne du temps. C’est une technique superbe, merveilleuse. Je suis content d’avoir fait cet investissement, car quand on transmet, il faut donner toutes ses chances à celui qui reprend. Il faut transmettre un outil à la pointe de la création. Et c’est plus facile de racheter l’outillage d’une entreprise que de l’acquérir en cash. Ca aurait été un effort pour elle". Sans compter, comme le précise Julia Kirmann que "les banques ne suivent pas toujours".
"Les banques ne suivent pas. C'est grâce au don manuel de ma mère, que j'ai pu reprendre l'entreprise".
Un métier passionnant
Patrick Weber se présente comme un professionnel qui aime ses clients. "Avec eux, j’ai toujours eu des relations cordiales. J’ai toujours aimé partager. Les clients, on les voit dans des circonstances heureuses. On rentre dans leur vie, les étapes de leur vie. Avec eux, on partage fiançailles, mariage, naissances… C’est vraiment un métier agréable. On vient chez nous pour le service, la création". Au fil du temps, Julia Kirmann s’est sentie plus à l’aise dans ses relations avec la clientèle. Au côté de son beau-père, elles s‘est aguerrie.
Elle vole désormais de ses propres ailes. Elle connaît bien son secteur. "On ne fait presque plus que du sur mesure, sauf à Noël. Peu de personnes optent pour les pierres de couleur. 70 à 80% choisissent le diamant, et la courbe est en hausse constante. Le budget moyen se situe entre 3000 et 5000 euros. Mais plusieurs fois par mois, on a des commandes qui peuvent atteindre 15 à 20.000 euros. Souvent, les gens achètent des bagues. Il y a aussi beaucoup de transformations de bijoux… Je ne regrette pas le choix que j’ai fait, mais il y a de moins en moins de joaillier. On est moins de dix, à Reims. Côté bijoutier, on en comptait 15.000 il y a quelques années, en France. Aujourd’hui ils ne sont plus que 5.000. Quand l’un d’eux décède ou prend sa retraite, l’affaire est rarement reprise, et il y a peu de créations de bijouterie. Les banques ne suivent pas. Moi, c’est grâce au don manuel de ma mère que j’ai pu reprendre l’entreprise".
Le joaillier, salarié, a pu rester
Après avoir tenu seule la boutique, Julia Kirmann a pris une vendeuse, mais elle a aussi gardé à ses côtés Rachid Boudrika, joaillier, depuis 20 ans dans la maison de son beau-père. "J’ai été formé chez un bijoutier, à Rabat, au Maroc, dont je suis originaire", dit-il. "Venu à Reims, pour me marier, en 1997, j’y suis resté. J’ai d’abord travaillé à Paris, puis M. Weber m’a offert d’entrer chez lui. La relève s’est faite en douceur. Julia, je la connais depuis qu’elle est toute petite. Je suis content d’être resté en famille ".
Patrick Weber, à la retraite, vient de temps en temps, aider sa belle-fille, notamment à Noël. Il est heureux qu’elle ait repris. Julia, elle est sans regret. "Aujourd’hui, il faut tenir", dit-elle. "On a eu les gilets jaunes, les grèves, maintenant, la Covid, mais ça devrait aller, car on nous a laissés travailler à Noël. On a des commandes pour les deux prochains mois, alors qu’en général, janvier et février sont des mois très calmes". En 1979, quand Patrick Weber a créé Argaur, rue Colbert, à Reims, sa société était spécialisée dans les métaux précieux. Elle a évolué vers la bijouterie, puis le gemmologue lapidaire s’est lancé dans la création. Aujourd’hui, l’aventure se poursuit, mais c’est l’envie et une solide formation qui l’ont permises.