Ce samedi 7 mars, la journaliste indépendante et écrivaine Ixchel Delaporte était en dédicace à la librairie Guerlin de Reims pour la sortie de son deuxième livre :"L'affaire Vincent Lambert. Enquête sur une tragédie familiale". Elle y dévoile des témoignages et des documents exclusifs.
Lorsque Ixchel Delaporte arrive sur son stand de dédicace installé à l'entrée de la librairie Guerlin, elle a le sourire: "J'ai eu des nouvelles de quelques-uns des membres de la famille Lambert grâce à qui et avec qui j'ai pu écrire ce livre. Ils me disent que pour eux, ce livre est salutaire."
Ixchel Delaporte est une journaliste indépendante. Elle a travaillé une quinzaine d'années pour le journal l'Humanité avant de choisir de devenir free lance. L'affaire Vincent Lambert est son deuxième livre. Son premier livre, Les Raisins de la misère, publié en 2018, a fait partie des trois finalistes du prix Albert Londres 2019.
Elle décrit son nouvel ouvrage comme "une enquête intime au long cours". Un an de recherches, sur les traces du passé de cette famille complexe. Avec un seul objectif : mieux comprendre qui était Vincent Lambert, loin des turbulences médiatiques et judiciaires qui ont fait de son nom, une affaire.
Pourquoi avoir écrit sur cette histoire familiale? Qu'est-ce qui vous a mené sur la piste de Vincent Lambert?
I.D. "Ce qui m'a fasciné dans cette tragédie familiale, ce sont les filiations. Le point de départ c'est un rendez-vous à Paris avec François Lambert, le neveu de Vincent Lambert lors duquel nous avons parlé d'Henri Lambert, son arrière-grand père, un personnage atypique artiste écrivain, anarchiste…une personnalité intrigante qui contraste avec l'image catholique intégriste de son fils, Pierre Lambert, le père biologique de Vincent. Je me suis rendue compte de la complexité de cette famille et de son histoire avec des aïeux, des milieux et des parents que tout opposait parfois. Une histoire romanesque."
Comment avez-vous réussi à obtenir les témoignages rares et des souvenirs très précis des différents membres de cette famille, y compris des plus pudiques et discrets d'entre eux?
I.D. "J'ai juste été moi-même. J'ai été sincère dès le départ. Contrairement aux journalistes je n'écrivais pas d'articles avec un timing serré. Je leur ai parlé tout de suite de mon envie d'écrire un livre. De prendre le temps, et le temps qu'il faudrait. Je ne cherchais pas la petite phrase. Je voulais effectuer une grosse démarche de recherches. Marie-Geneviève et son fils François Lambert, Marie Lambert et Frédéric Philippon, sœur, demi -frères et sœurs et neveu de Vincent m'ont beaucoup donné. Nous avons passé énormément de temps ensemble, nous sommes retournés sur les lieux de leur enfance, ensemble. Ils ont réactivé et recroisé leurs souvenirs, leurs ressentis. Nous avons établi un lien de confiance solide et simple. Parfois, ils sont venus me trouver, d'autres fois c'est moi qui ai provoqué des situations. Ils avaient des choses à dire et aucun journaliste en fait n'avait pris le temps de venir à leur rencontre leur poser des questions ou simplement échanger sur leur histoire familiale. J'avais des tonnes de pièces d'un puzzle éclaté que j'ai essayé de remettre en ordre.
Seuls Rachel, son épouse, et ses parents, Viviane et Pierre m'ont fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas participer au livre.
Mais les autres l'ont fait. Avocats, fratrie, proches de Vincent…Ils ont tous relu leur citation validé ou changé ce qu'ils voulaient. Le sujet était trop sensible pour jouer avec les mots. J'ai fait ce livre de manière ultra carré avec une attention presque maladive à faire valider certains propos."
Dans votre livre, vous faites plusieurs révélations fracassantes dont la personnalité de l'homme qui a agressé sexuellement Vincent dans son enfance. Vous donnez même son nom, le lieu où il travaillait et vous avez retrouvé et recueilli les témoignages d'autres victimes de cet homme qui n'est aujourd'hui pas inquiété par la justice…
I.D. "Dans la famille Lambert, aux moments des faits et je le raconte dans le livre, tout le monde le savait et tout le monde savait de qui il s'agissait. Vincent ne voulait pas porter plainte, cela devait être certainement trop dur. J'ai réussi à trouver d'autres victimes et c'est ainsi que j'ai pu recouper mes informations. Il s'agit d'un prêtre d'une frange extrême, intégriste de l'Eglise catholique. J'espère que ces révélations en matière de pédo-criminalité vont faire réagir et bouger la justice. C'est choquant que cet homme soit toujours en exercice et toujours en contact avec des enfants. C'est très difficile à vivre pour les victimes qui ont eu le courage de témoigner. Il y a un sentiment d'impunité fort. Je ne suis pas Erin Brockovich, je n'en ai pas la prétention mais au moins dire les choses et nommer les gens par leur nom cela me semble important. Pourquoi personne ne l'a fait avant? D'après moi c'est parce que Vincent était vivant, les journalistes alors n'osaient pas donner le nom par rapport à la famille et parce que Vincent n'avait pas porté plainte. Mais le fait qu'il soit décédé cela permet de poser ces réalités de manière moins hystérique qu'au moment de l'emballement médiatique. Et il faut dire aussi que tous les frères et sœurs que j'ai rencontrés étaient tous partants pour que je donne son nom. Ils me l'ont tous demandé et me soutiennent dans cette démarche."
Est-ce un livre militant pour faire bouger les lois en matière de fin de vie?
I.D. "Je ne me positionne pas en terme militant. La fin de vie est un sujet qui concerne tout le monde. Je ne comprends pas pourquoi il y a un tabou autour de ce sujet ! Comment est- il possible qu'au niveau de la formation des médecins on ne leur enseigne pas à faire face à la fin de vie. Chacun doit se débrouiller avec ses propres moyens et ses propres convictions. Pourquoi ne pas se poser collectivement la question? En France on veut trop guérir à tous prix. La médecine ne peut pas tout.
On n'a pas le choix de choisir sa fin de vie en France; On peut avoir une "sédation profonde et continue mais grâce à qui? Grâce à Vincent Lambert! C'est suite à ce cas que la loi Claeys –Leonetti a été adoptée en 2016. L'euthanasie n'est pas un gros mot, ça parle juste du rapport à la souffrance en fin de vie. J'ai vécu ça avec mon père décédé d'un cancer en mai 2019. Par chance il n'a pas souffert trop longtemps avant de partir mais pour ceux qui agonisent durant des mois? Quelle proposition? Il y a des réflexions à mener, car il y a des besoins, et donc des débats à ouvrir."
Avez-vous été inquiétée durant votre enquête ou depuis la parution de votre livre par les partisans pro-vie de Vincent Lambert?
I.D. "Absolument pas! Ou alors pas encore (sourire). J'ai facilement pu contacter tout le monde. Le plus difficile a été la hiérarchie la plus haute de la Fraternité Saint Pie X, qui a tardé à me répondre. Mais individuellement ils acceptaient de me parler gentiment. Ils m'ont donné des clés sur qui était Vincent quand il était à l'internat, ils m'ont dit que c'était un enfant un peu souffrant, souvent triste d'être loin de ses parents. J'ai été honnête avec tous. Leur parole m'intéressait pour avancer dans l'enquête. Et ils étaient très touchés que je les appelle. Je leur ai posé des questions sur les abus sexuels. Certains m'ont dit qu'ils ne savaient pas, d'autres ont botté en touche.
Avec mon éditeur nous avons mesuré les risques d'un procès mais j'ai des témoignages bétons. S'il y a un procès tous les frères et sœurs qui m'ont aidé à faire ce livre m'ont assuré de leurs soutiens sans faille. Je suis sereine".
Dans le livre, un prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, vous explique que cette histoire va se terminer au cinéma. Qu'en pensez-vous?
I.D. (rires). "Pourquoi pas! L'avenir nous le dira! C'est vrai que j'ai choisi le terme de tragédie familiale dans mon titre car c'en est une au sens propre du terme. Mais je n'ai pas écrit un scénario, c'est une enquête!"