ENTRETIEN. "Le décrochage scolaire est un motif de consultation très important", explique un pédopsychiatre

Thierry Delcourt, pédopsychiatre à Reims dans la Marne, consacre un livre à la question du décrochage scolaire. Dans "Je ne veux plus aller à l'école", qui paraît en ce mois de février, il va au-delà du constat pour proposer des pistes pour aider ceux qui en souffrent à reprendre le bon chemin.

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Le pédopsychiatre rémois Thierry Delcourt a déjà publié deux ouvrages liés à son métier : "Je suis ado et j'appelle mon psy" en 2016, puis "La fabrique des enfants anormaux" en 2021. Nous l'avions d'ailleurs interrogé à cette occasion. Son troisième livre, paru le 14 février 2023 aux éditions Max Milo, est dédié à la question du décrochage scolaire.

L'ouvrage, intitulé "Je ne veux plus aller à l'école", se base sur les échanges que le professionnel a pu avoir à l'occasion de ses consultations. Mais il explique avoir également interrogé d'autres pédopsychiatres, des psychologues scolaires, des médecins scolaires, des soignants ou encore des enseignants de toute la France pour mener son travail d'enquête. Nous l'avons interrogé sur ce phénomène qui prend de l'ampleur.

Pourquoi avez-vous souhaité consacrer un livre à la question du décrochage scolaire ?

Thierry Delcourt : "Le décrochage scolaire est un motif de consultation très important. Il y a 10 % d'augmentation de déscolarisation sur 2021-2022. Ça fait environ 8 % des enfants et adolescents en âge scolaire. On a autour de 800 000 enfants qui sont en décrochage scolaire complet."

Le confinement a vraiment été un moment marquant ?

"Ça fait quarante ans que j'exerce en pédopsychiatrie. Des phobies scolaires, du harcèlement, il y en a toujours eu. Mais depuis sept ou huit ans, il y a une augmentation progressive des blocages scolaires.

Les enfants qui étaient déjà en souffrance dans le milieu scolaire ou en désintérêt complet par rapport au milieu scolaire ont subi ce décrochage du confinement. À partir de là, ça a été extrêmement difficile de retourner à l'école, pour des motifs différents. 

Le premier est l'angoisse de retourner. Les enfants ont été privés de ce lien social habituel et on leur a fait peur aussi, avec les masques etc.  Retourner à l'école était chargé d'une certaine angoisse, surtout pour les plus jeunes en primaire et au début de collège.

Pour d'autres, ça a été le confort du télé-enseignement, le confort d'être dans sa chambre et dans un certain isolement qui a agi comme un révélateur et un catalyseur."

Ça concerne donc tous les âges, même les plus jeunes ?

"Chez les plus jeunes, c'est ce qu'on appelle l'angoisse de séparation qui existait déjà avant. Il y a aussi un phénomène qui est apparu depuis six ou sept ans, ce sont les entraînements contre les attaques terroristes à l'école. Même si c'est bien fait, sous mode de jeu, certains enfants déclenchent des angoisses. En général, le décrochage scolaire chez les petits enfants se fait surtout à partir d'une anxiété ou d'une angoisse.

Puis quand on arrive au collège, ça devient plus compliqué. Il y a une augmentation du taux de tentative de suicide et de suicide des préadolescents. Ça n'existait pratiquement pas avant et ça apparaît maintenant. Ces enfants-adolescents, qui sont justement entre deux, ont d'un côté une apparente maturité et de l'autre ont une dimension enfantine. Donc ils prennent de plein fouet tous ces phénomènes de société, y compris la peur.

Les grands adolescents ont des positions de refus qui se sont vraiment développées depuis le confinement. Ils ont commencé à avoir un absentéisme important, jusqu'à ne plus du tout retourner en cours. Là, il n'est pas question pour les parents de les bousculer, parce qu'ils sont dans une inertie et une violence qui fait qu'il est difficile de les pousser."

Il y a aussi la question du harcèlement, qui concerne peut-être davantage le collège et le lycée ?

"Le harcèlement a toujours existé. Mais il n'était probablement pas aussi violent parce qu'il n'y avait pas la dimension de cyberharcèlement, avec un phénomène d'embrasement par les réseaux sociaux. Là, ça se diffuse et ça casse complètement un enfant. Surtout les jeunes adolescents, qui commencent à peine à être sur les réseaux sociaux et qui sont maladroits par rapport à ça. Il y a une violence qui les confronte réellement à une réaction qu'on pourrait dire traumatique. Ils ne vont plus à l'école parce qu'il y a de l'angoisse autour de ça."

Quelles pistes faut-il suivre pour permettre aux enfants d'aller mieux ?

"La première chose, c'est d'être attentif et écoutant. Attentif, par exemple quand un enfant commence avec les réseaux sociaux, il faut être très présent. Attentif aussi en veillant à ce qu'il n'y ait pas d'addiction aux écrans. La durée journalière de consommation d'écran des jeunes, c'est entre 7 et 9 heures par jour. 

Il faut aussi écouter et être à l'affut pour savoir si, effectivement, il vit une situation difficile à l'école, avec les copains. Ce n'est pas simplement demander s'il a bien travaillé à l'école aujourd'hui. C'est s'intéresser à ce qu'il vit. Si on est attentif et si on prend le temps, on va réussi à parler avec un enfant qui aurait peut-être honte de parler de ces choses-là.

Même si ça peut paraître artificiel, je demande aux parents de créer un temps dans la semaine où on s'arrête et on parle. En parlant de choses et d'autres, on arrive finalement à parler des choses importantes. Éteindre la télé et les jeux vidéos et rester une petite heure à discuter ensemble, ça apporte énormément. C'est valable quels que soient les âges.

Pour la consommation d'écran, il y a des dosages différents en fonction des âges. Mais il faut que les parents retrouvent une forme d'autorité. Ce n'est pas un gros mot. Il faut arriver à organiser la vie d'un enfant à la fois en fonction de ses plaisirs, mais aussi de l'effort et du travail qu'il a à accomplir."

On peut parvenir rapidement à des résultats en prenant en charge les enfants touchés par le décrochage scolaire ?

"Si on prend les choses très tôt, c'est réglé en trois ou quatre séances. Mais si les parents viennent tardivement et que l'enfant est déjà complètement déscolarisé, ça devient très difficile.

C'est en tout cas bien plus facile chez le jeune enfant, jusqu'à 12 ou 13 ans. C'est plus problématique chez l'adolescent, parce qu'il y a des positions de refus qui sont tout de même assez rudes. Mais ce sont des choses qu'on résout relativement aisément, à condition de ne pas se laisser emporter par le piège de la déscolarisation complète.

Pour les plus âgés, il y a des choses intéressantes qui sont mises en place, comme le micro-lycée ou l'école de la deuxième chance. Ces dispositifs permettent de ne pas laisser trop augmenter les phénomènes de déscolarisation et de décrochage.

Il faut aussi que l'école se rende plus attractive. J'interroge également cela dans le livre. On passe son temps à faire des évaluations du niveau des élèves ou des professeurs. On oublie l'essentiel, c'est-à-dire une pédagogie adaptée aux enfants qui leur permette d'avoir envie de comprendre les choses."

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