"La tension est montée d'un cran" : à la prison de Reims, la surpopulation carcérale favorise les agressions de surveillants

Personnel agressé, rixe entre détenus. Les incidents s'enchaînent à la maison d'arrêt de Reims, mettant en colère les surveillants. Récemment deux d'entre elles ont été prises à partie par un détenu en quartier disciplinaire, elles ont été blessées sérieusement. Le personnel pénitentiaire dénonce, une nouvelle fois le manque de moyen, la surpopulation et la montée de la violence.

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Quatre et huit jours d'incapacité totale de travail. Les deux surveillantes agressées à la maison d'arrêt de Reims, le 8 juin 2023, ont été sérieusement blessées. L'une d'entre elles, le poignet cassé, ne reprendra pas le travail immédiatement. Ils sont une trentaine à se relayer ce mardi 13 juin, à l'appel du syndicat FO, pour dire stop à leurs conditions de travail et aux agressions qui se multiplient. Un mouvement sur les jours de repos car pas de grève possible chez les surveillants de prison.

"Un détenu placé en quartier disciplinaire depuis plusieurs semaines, qui avait donc déjà eu un comportement problématique, a encore fait des siennes, a refusé d'obtempérer, explique Julien Sohier, délégué régional FO et surveillant de prison à Reims. Il a agressé deux surveillantes de la maison d'arrêt de Reims. Il faut savoir que le syndicat Force Ouvrière avait demandé son transfert vers un autre établissement. Malheureusement, nous n'avons pas été entendus par la direction locale et la direction régionale. Le transfert n'a pas été acté et il y a eu cette double agression qui a mis le feu aux poudres et qui a déclenché notre mobilisation". 

Il y a de plus en plus de tensions, d'agressions, que ce soit entre détenus. Encore hier, il y a eu une rixe en cours de promenade ou quatre détenus ont tenté de lyncher un autre.

Julien Sohier, délégué régional FO et surveillant de prison à Reims

Un transfert dans une prison plus adaptée, parce qu'"il faut savoir qu'à la maison d'arrêt de Reims, le quartier disciplinaire n'est pas affecté à un agent. Il n'y a pas de poste spécifique. C'est donc un agent présent, qui descend de sa coursive et qui s'occupe, en plus, du quartier disciplinaire pour les mouvements de douche et de promenade. C'est très compliqué parce que ça lui rajoute des tâches supplémentaires. Lorsqu'un détenu est placé en quartier disciplinaire c'est qu'il a commis une faute de discipline. Il passe en commission de discipline et une sanction tombe,celle de la mise en cellule disciplinaire. Sauf qu'ici, les exécuter, c'est très compliqué".

Mis en garde à vue suite à l'agression contre les deux surveillantes de la maison d'arrêt de Reims, le détenu devra, à nouveau, répondre de ses actes devant la justice.

Surpopulation + manque de personnel = violences

 À Reims, le quartier disciplinaire, ce sont deux cellules, mais avec forcément des détenus peu enclins au respect des règles. Un seul peut donc entraîner de gros problèmes, comme ce fut le cas récemment. "Dans l'organigramme de la maison d'arrêt il n'y a pas de poste dédié pour ce secteur ce qui est assez problématique car les incidents se multiplient, précise encore Julien Sohier, délégué régional FO. Les tensions en détention s'accentuent autant que dans la société civile, j'ai envie de vous dire. Il y a une explosion de la violence. Il y a de plus en plus de tensions, d'agressions, que ce soit entre détenus. Encore hier (lundi 12 juin), il y a eu une rixe en cours de promenade ou quatre détenus ont tenté de lyncher un autre".

Depuis un an, les surveillants de la maison d'arrêt de Reims constatent une réelle montée de la violence. À l’égard des personnels mais aussi entre détenus. 160 détenus en moyenne pour 60-70 personnels de surveillance, l'effectif de surveillants n'est pas suffisant dit encore Julien Sohier de FO. "Si on avait un apport de 5 à 6 agents supplémentaires, cela permettrait de soulager la détention. Il y a de plus en plus de rixes, de règlements de compte en cellules ou en promenade. On sent que la tension est montée d'un cran. C'est compliqué de travailler dans ce climat".

La maison d'arrêt de Reims, comme quasiment l'ensemble des établissements pénitentiaires de France, est en surpopulation. 130% de taux d'occupation à Reims. "Un peu plus de 73 000 personnes incarcérées  au niveau national pour un peu plus de 60 000 places. Malgré les plans de construction, il y a eu des ouvertures d'établissements, mais ce n'est jamais suffisant pour enrayer le phénomène de la surpopulation. Nous avons de plus en plus de détenus et de moins en moins d'agents, un climat délétère et un effet cumulatif qui fait que les choses empirent". 

Parfois on se retrouve à être psychologue, pompier, assistant social, on fait face à tout type de requêtes, à des situations de crise de démence, suicidaire. Des bagarres entre eux qui peuvent être impressionnantes.

Julien Sohier, délégué régional FO et surveillant de prison à Reims

La mission des surveillants de prison est multiple et en prise direct avec l'humain. "Assurer la garde des détenus, s'assurer qu'ils soient présents, vivants et en bonne santé. C'est notre mission de sécurité principale, reprend Julien Sohier de FO. C'est également favoriser la réinsertion en ayant un bon échange avec la population pénale quand c'est possible et en étant une sorte d'exemple. On gère le quotidien des détenus c'est-à-dire la douche, les promenades, la distribution des repas. C'est vraiment une présence quotidienne. Le surveillant, c'est le premier interlocuteur du détenu. Quand il a un problème, la première personne face à lui c'est le surveillant, donc il faut qu'il ait une réaction juste, rapide, efficace. Parfois on se retrouve à être psychologue, pompier, assistant social, on fait face à tout type de requêtes, à des situations de crise de démence, suicidaire. Des bagarres entre eux qui peuvent être impressionnantes. En fait, quand il y a un détenu derrière une porte qui vous sollicite, on ne sait pas forcément ce qui peut se passer. C'est un savoir-faire qui s'acquiert au fil des années, mais ce n'est pas toujours simple. Les missions sont vraiment diverses. Chaque détention est différente, chaque détenu est différent. Et chacun vit sa peine à sa façon. Il faut vraiment être motivé, prêt, faire preuve d'adaptabilité, de sens de l'autonomie. Pas toujours simple."

Un métier en tension

Métier qui ne fait pas "rêver", peu valorisé, mal payé ? Quelle est la véritable raison à cette situation devenue chronique et finalement dangereuse pour ceux qui prennent leur poste chaque jour ? "Il y a plusieurs choses et d'abord un problème financier. Le métier n'est plus attractif. Un surveillant en début de carrière va commencer avec à peine plus du smic même s'il a une prime de risque qui va compléter son salaire, mais sans cette prime, il va débuter au smic, donc ce n'est pas assez". Et puis, il y a les contraintes du métier, lourdes. "Il y a une charge mentale phénoménale, on gère des personnes qui sont contraintes avec des phénomènes de violences, d'agressions, d'insultes. C'est notre quotidien et c'est dur à porter. Il y a aussi des horaires lourds, du lundi au dimanche, 7 jours sur 7, 24 h sur 24. Forcément ça pèse sur la santé des gens. On génère beaucoup d'heures supplémentaires avec les postes qui ne sont pas comblés. Alors, quand vous cumulez le tout... Il y a tellement de contraintes que le métier n'attire plus grand monde"

Tous les ans, à l'échelle nationale, c'est plusieurs centaines de postes qui ne sont pas pourvus.

Julien Sohier, délégué régional FO et surveillant de prison à Reims

"On a un problème d'effectif au niveau national. On manque d'agents partout". Des surveillants dont les missions se développent aussi. "Par exemple les extractions judiciaires. Il y a encore quelques années, c'était dévolu aux forces de l'ordre. Aujourd’hui, on est en train de généraliser pour que cela soit les pénitentiaires qui assurent ces missions. Par contre, il n'y a pas eu de recrutements supplémentaires". Et même temps, les services pénitentiaires peinent à embaucher. Les postes créés ne sont pas pourvus. "On a un concours de surveillants au niveau national qui s'est ouvert il y a quelques semaines et aux épreuves écrites, il y avait 25% de taux de présence par rapport au nombre d'inscrits. Je crois que cette année, il y a 1100 postes qui ont été budgétés, il est évident qu'il n'y aura pas 1100 recrutements. Si on en a la moitié ce sera déjà bien. Et ça, c'est un phénomène qui existe depuis 5 ou 6 ans. Tous les ans, à l'échelle nationale, c'est plusieurs centaines de postes qui ne sont pas pourvus". 

Nationalement, les syndicats sont en train de négocier le passage en catégorie B de leur métier ce qui permettra de revoir le statut du surveillant avec un recrutement de qualité et un meilleur salaire. "Mais les choses n'avancent pas et on n’a pas beaucoup de réponses du Ministère. C'est toujours en négociation, mais ça stagne".

Joint par téléphone, le service communication de la direction interrégionale des services pénitentiaires n'a pas souhaité répondre à nos questions concernant les conditions de travail de ses agents rémois.

En attendant, "deux de nos collègues ont été sauvagement agressées et on n'a du mal à l'accepter". 

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