Connu pour avoir fondé le site VDM à la fin des années 2000, Maxime Valette investit également à Reims. Entrepreneur dans le numérique, il livre son analyse sur l'essor des pratiques numériques durant la crise du covid19 et quelques conseils pour ceux qui souhaiteraient entreprendre.
VDM. Trois lettres qui évoquent à la fois une vie de merde, un site internet où il faisait bon perdre du temps à la fin des années 2000 et les moments de loose qu'on tous a vécu une fois dans sa vie. Si ces trois caractères vous sont familiers, le nom de leur fondateur l'est peut-être un peu moins.
Maxime Valette, entrepreneur dans le numérique, n'avait que 18 ans quand il a eu l'idée de fonder ce site internet. Dix-sept ans plus tard, le Rémois n'arrête plus. Il investit dans la cité des sacres à travers son entreprise le bloc (qui gère notamment Quartiers libres). Il est également à la tête du site internet Betaseries (première communauté francophone de séries TV selon le site) et d'une application pour entrepreneurs baptisée 5euros. Rencontre.
France 3 Champagne-Ardenne : pour commencer, où êtes-vous confiné?
Maxime Valette : je suis confiné à Reims. J'ai une maison avec un extérieur et un bureau séparé.
Poursuivre vos activités à distance, est-ce que ça a été possible ? Quelles difficultés avez-vous éprouvées?
M. V : J'ai toujours fait du télétravail par défaut. C'est l'avantage des entreprises numériques, nous avons tout le matériel et les outils pour travailler à distance. On peut tout faire de chez soi, c'est sécurisé, il n'y a pas de souci. Concernant les employés, c'est une population qui a l'habitude de travailler comme ça. En interne, nous n'avons pas eu de problème, cela ressemblait à des journées normales.
La différence s'est ressentie en terme de business. Dans le monde des médias, la norme est plus dans les déplacements, les rencontres physiques. Les producteurs veulent vous montrer leurs studios, leurs plateaux TV, il faut se voir et faire de grandes réunions, souvent en nombre… on met un mois ou deux avant de trouver une date qui colle dans tous les agendas.
Le site VDM, décliné sur Twitter, ce sont des anecdotes de la vie courante, souvent drôle, parfois absurdes.Seul au monde https://t.co/kdGszYLflP
— VDM (@viedemerde) May 19, 2020
Avec le confinement, brusquement, tout le monde est dispo. On peut désormais organiser des réunions en visioconférence en une demi-heure alors qu'avant, il fallait deux heures de métro pour arriver aux studios de Boulogne-Billancourt pour une réunion de cinq minutes.
On a découvert une sorte d'efficacité. Parfois, dans des cas extrêmes, en une journée à Paris je ne pouvais organiser que deux rendez-vous à cause des temps de transport. Aujourd'hui, à distance, j'en fais quatre ou cinq dans la même journée. Avec les mêmes personnes, mais de meilleure qualité, plus efficace et plus rapide. Finalement, on fait plus de business comme ça, on y gagne énormément et j'espère qu'on va pouvoir en tirer quelques leçons sur le futur.
Lesquelles par exemple ?
M. V : Par exemple, il ne faut pas forcément être présents autour d'un même bureau pour discuter et organiser une réunion. On peut également faire ça en visio de manière très simple quand c'est un premier échange ou quand ce sont des premières discussions où il n'y a pas besoin de se voir directement. Cela fait gagner beaucoup de temps à tout le monde.
Nous sommes dans un monde qui bouge très vite. Chaque seconde passée en moins dans le métro est une seconde où on peut faire du business.
Le confinement a forcé les entreprises, parfois malgré elles, à se mettre au numérique. Pensez-vous qu'elles poursuivront ces transformations après la crise sanitaire ?
M. V : Je suis entrepreneur depuis que j'ai l'âge de 15 ans. J'ai vu la première crise, la bulle internet en 2001, où il y a eu une bulle économique mais qui concernait peu de gens. Internet n'était pas vraiment présent dans les foyers. À tel point qu'on me disait que le web était mort et qu'il valait mieux faire autre chose de ma vie.
Puis il y a eu la crise en 2008 où pour le coup, Internet arrivait chez dans les foyers. On a subi la crise sans pour autant gagner grand-chose car Internet était encore très lié à la communication, la publicité en ligne… mais finalement, tout cela faisait partie des premiers budgets qui sautaient. Un peu comme aujourd'hui, mais à l'époque, on ne regagnait pas d'argent derrière car il n'y avait pas d'usage quotidien numérique de la population.
Cette année, on a une crise qui booste le numérique. C'est là le vrai changement par rapport aux autres crises : aujourd'hui c'est au coeur des usages et on a compris que ça pouvait être utile sur d'autres plans que regarder des films, aller sur Facebook ou regarder des séries.
Qu'est-ce qui a changé dans les comportements ?
M. V : Il y a une humanisation des outils. Les gens ont pu se rendre compte qu'ils utilisaient beaucoup plus les outils qu'ils ne le pensaient. En fait, on a toujours l'impression que notre téléphone, alors que cela fait dix ans qu'il est dans notre poche, est un outil supplémentaire. Tout comme l'ordinateur, on a l'impression que c'est un outil qu'on n'utilise pas plus que ça.
Avec le confinement, du jours au lendemain, ils sont devenus indispensables. Les gens se rendent compte que ces outils servent bien plus qu'à ce qu'on pense. Cela a humanisé les rapports qu'on avait au digital. Avant, quand je proposais à un entrepreneur un rendez-vous vidéo pour ne pas faire l'aller-retour à Paris, il pensait que je lui proposais cette solution parce que je n'en avais rien à faire de son rendez-vous. En fait, c'était une marque de négligence de refuser un contact physique et de proposer un contact en visio ou par téléphone.
Aujourd'hui, c'est devenu la norme. Il y a une sorte de tolérance et cette humanisation, c'est la dernière pierre qui manquait au digital.
Il y a un peu plus d'un an, l'entrepreneur rémois publiait En ligne, aux éditions Robert Lafon, dans lequel il revient sur son expérience d'entrepreneur dans le numérique.
Le télétravail s'est imposé pour bon nombre d'employés. Est-ce que cela va se poursuivre dans le temps ?
M. V : Cela va continuer pour beaucoup d'entreprises. Toutes celles qui en ont la capacité vont le poursuivre. À plusieurs titres. Premièrement, ça coûte moins cher de faire travailler des gens à domicile. Même s'il va y avoir des demandes d'équipement et de la part des syndicats, cela coûte beaucoup moins cher en transports, en remboursement de frais, en entretien des mètres carrés de bureaux.
D'autant plus avec les nouvelles normes sanitaires où il faudra encore plus désinfecter, parce qu'en plus, on n'est pas à l'abri d'un nouveau virus. Je ne dis pas que le télétravail sera la norme toute la semaine, mais plutôt entre un et trois jours par semaine pour les entreprises qui le pourront.
Le fait de ne pas avoir eu le choix a surement levé certains blocages présents dans les entreprises…
M. V : Ce sont des blocages de managers. Ce sont des employés qui ont une certaine forme d'envie de pouvoir. Quand on est manager, on s'imagine toujours en train de rentrer dans un open-space avec cinquante employés qui connaissent votre prénom et vous disent bonjour. C'est une chose que tout manager de l'ancien monde a envie de voir. Mais aujourd'hui, ce n'est pas du tout ce qui va être recherché par les salariés qui auront de nouvelles contraintes. D'autre part, plus les employés vont être séniors, plus ils vont demander à être en télétravail.
On le voit dans l'informatique depuis dix ans. La plupart des beaux profils que j'ai vus depuis ces dix dernières années demandaient tous du télétravail car c'est comme ça qu'ils gagnent en qualité de vie et non l'inverse.
Pour aborder votre seconde casquette, celle d'entrepreneur, vous avez dû vous adapter pendant cette crise. Comment avez-vous fait ?
M. V : On a dû essayer de trouver des opportunités dans la crise, mais pas des opportunités de court terme. La vraie difficulté c'est d'être patient. Dans ce genre de situation, on a tendance à vouloir à tout prix gagner de l'argent parce qu'on en perd dans l'immédiat. À mon avis, ce n'est pas une solution et ça peut même être délicat sur le long terme. Il faut être patient et essayer d'identifier les nouvelles tendances.
Dans les médias et en particulier dans la fiction, tous les tournages sont arrêtés. Les assurances refusent d'assurer les plateaux. Il n'y aura vraisemblablement pas de grosse production dans les prochains mois, voire en 2021. C'est-à-dire qu'en septembre, aucune nouvelle série ne va sortir. Notre problématique, c'est de travailler avec nos clients pour leur conseiller quelle ancienne série ils pourront proposer, comme la saga Harry Potter qui est rediffusée en ce moment sur TF1 ou la Grande Vadrouille sur le service public.
C'est un travail qu'on n'aurait jamais fait hors crise. Cette année, on prévoyait plus de 800 nouvelles séries. Le domaine était en pleine expansion, c'était presque fou. On n'aurait jamais pensé regarder du côté des anciennes séries alors qu'aujourd'hui, c'est la tendance. D'habitude, on conseille des nouveautés, alors que maintenant, on conseille des classiques.
Quels conseils avez-vous à donner aux entrepreneurs aujourd'hui ?
M. V : Pour ceux qui se sont déjà lancés ou qui l'avaient en tête, il faut oublier. À moins que ce soit un business dans la santé ou autre… On est dans une période où tout va changer en termes d'entrepreneuriat. Les grosses entreprises et les grands groupes ont les reins assez solides pour se réinventer, mais les petites entreprises sont la part la plus fragile de l'économie. Il faut être à l'écoute des opportunités, comme si on n'avait rien créé. Il faut être encore plus agile que ce qu'on nous demande d'habitude.
Le pire dans cette situation, ce serait d'essayer de gagner de l'argent tout de suite. Il vaut mieux essayer de créer de la valeur, c'est-à-dire apporter quelque chose de différent des autres ou en complément. L'avantage d'une crise, c'est qu'il y a beaucoup d'opportunités qui se développent. Parfois, on ne les voit pas de suite mais il y a surement beaucoup de métiers qui n'existaient pas avant ou qui étaient un peu à la marge qui vont se développer (dans le digital mais pas que). Tous ces domaines-là font qu'il faut peut-être oublier son projet en cours et s'adapter très vite. C'est ce qui est passionnant, encore plus qu'hier, dans le fait de créer une entreprise. C'est stimulant.
Avez-vous des pistes pour vous lancer dans un nouveau projet?
M. V : En tant qu'investisseur, des gens m'écrivent déjà avec des idées projets à distance, avec confinement, et d'autres dans la santé. On sent qu'il y a une tendance dans ces domaines-là qui est en train de se former. J'ai investi dans des boîtes qui fonctionnent bien, dans ces domaines dans lesquels je crois depuis longtemps. Tout n'est pas noir heureusement.
J'ai déjà beaucoup de choses à gérer pour l'instant et tant mieux, car c'est pour cela que je suis entrepreneur ; c'est pour faire des paris sur l'avenir. Alors, je ne pariais pas qu'il y aurait une crise de cette ampleur là, mais en général, je parie toujours sur des tendances de fond et des besoins qui vont arriver.