Les différents experts qui ont témoigné à la barre de la cour d'assises de Reims ce lundi ont fait part du caractère exceptionnel de l'affaire. Retour sur la première journée d'audience.
"C'est une intervention qui marque." Le sapeur-pompier qui est intervenu le jour de la mort du petit Tony, trois ans et demi ce 26 novembre 2016, n'est pas le seul à être marqué par cette affaire. Ce lundi 1er février, à la barre de la cour d'assises de Reims, les experts défilent devant la présidente du tribunal pour juger le beau-père de Tony, Loïc Vantal, jugé pour "violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner" et "violences sur mineur de 15 ans", accusé d'avoir asséné des coups mortels à Tony. La mère du garçonnet, Caroline Létoile, comparaît également sur le banc des accusés pour "non-dénonciation de mauvais traitements" et "non-assistance à personne en danger". Et beaucoup partagent le même constat : les violences infligées au garçon témoignent une violence rare.
Légistes, enquêteurs, un pompier et une pédiatre de renom, qui a créé, en 1990, la cellule d'accueil des enfants maltraités à l'hôpital américain de Reims, font part de leur effarement."C'était tout à fait dramatique, vu l'état de l'enfant et des violences commises", soulève la première enquêtrice, en visioconférence depuis Saint-Denis de la Réunion (elle était en poste à Reims lors des faits et exerce désormais sur l'île). Interrogée par le procureur de la république de Reims, Matthieu Bourrette, elle concède : "En 20 ans de carrière, c’est la première fois que je gère une procédure aussi douloureuse et dramatique sur un enfant de cet âge", avant de lâcher, "les blessures étaient tellement fortes..."
Plus de 60 lésions sur le corps de Tony
Il faut dire que les médecins légistes ont dénombré pas moins de 60 lésions sur le corps de Tony. "Un chiffre approximatif, je ne vais pas toutes les détailler, prévient Gérard Jeunehomme, médecin légiste à Reims. Mais je peux vous préciser que 23 étaient localisées de la tête." Soit un tiers des lésions. A la simple évocation de ce nombre, Caroline Létoile quitte la salle, en larmes, interrompant l'audience quelques minutes. A l'époque, Tony mesure à peine un mètre (98 centimètres) et pesant 16 kg. "Un p'tit bout d'chou", selon les mots d'un des deux légistes.
Les légistes épargnent certains détails, longuement énumérés par la pédiatre Béatrice Digeon qui a pris en charge Tony à l'hôpital américain de Reims le jour de son décès. "Je vous ai dit d'emblée que je ne pouvais pas décrire chaque lésion, tant elles étaient nombreuses", résume la médecin. "Quand vous regardez le dos, vous êtes au moins à 4 ou 5 coups, idem pour les membres inférieurs... il y en a partout." Interrogée à plusieurs reprises par les avocats des parties civiles sur l'état de souffrance de Tony, elle répond : "Il devait être dans un grand état de souffrance. La sidération l’a peut-être empêché de parler. Ou la peur. Mais qu’un adulte auprès de lui n’ait pas vu son état de souffrance me paraît difficile."
"Il est rare qu'on voit un tel déchaînement de violence sur le corps d'un enfant. A ce point-là, je les compte sur les doigts d'une main."
Des mots qui en disent long quand on sait que c'est Béatrice Digeon qui a créé, en 1990, la cellule d'accueil des enfants maltraités à l'hôpital américain de Reims. La médecin exerce depuis 1977.
Des conditions de vie sommaires
Quatre ans après les faits, le sapeur-pompier se souvient toujours du 26 novembre 2016. A son arrivée pour secourir Tony, "au début, l'enfant a un peu gémi. Mais ensuite, il est resté inconscient", se souvient Grégory. Tony est en position foetale sur le sol, Caroline Létoile et son compagnon prétendent que les blessures du garçonnet sont dues à une chute dans l'escalier. Mais à la vue des nombreuses ecchymoses sur le corps du garçon, il doute de cette explication. Autre détail qui a attiré l'attention du pompier : lors de leur intervention, Loïc Vantal a attrapé Tony par les jambes et l'a retourné pour lui enfiler un bas de pyjama. "Cela nous a semblé sorti du contexte. Cela nous a choqués", raconte-t-il.
Un autre point attire l'attention des enquêteurs. Les conditions de vie très spartiates de Tony. Les murs sont blancs, il n'y a aucun signe de personnalisation. Seulement un lit et un matelas posé à même le sol, sans drap. Deux petits cartons remplis de jouets séparent les deux matelas tachés de sang. Sur un petit bureau, un jean taille 4 ans est lui aussi taché de vomi et de sang. Le seau dans lequel l'enfant a vomi est toujours là, dans un coin de la pièce. La porte de sa chambre est abîmée, à cause de coups. Dans la cuisine, peu d'aliments laissent à penser qu'un petit garçon vit dans l'appartement. De nombreuses boîtes vides de tabac jonchent le sol. Avec le révélateur Blue Star, les enquêteurs trouveront des traces de sang appartenant à Tony dans toutes les pièces de l'appartement.
Quand l'enquêteur chargé d'interroger Loïc Vantal lui annonce le décès de Tony, l'accusé pense que c'est une plaisanterie, se rappelle l'enquêteur. "Je pense qu'il ne se rendait pas compte de la gravité des coups portés sur l'enfant. Vantal n'est pas du tout touché, à aucun instant il n'a regretté, n'a été en pleurs et il n'a fait part d'aucune émotions", rapporte-t-il. "Enfin si, de la colère, à certaines de mes questions."
Au début du procès, Loïc Vantal a reconnu les faits qui lui sont reprochés, sans manifester une quelconque émotion durant cette première journée. En revanche, Caroline Létoile nie les faits qui lui sont reprochés. Mais un détail de l'enquête pourrait bien peser dans la balance. Lorsqu'elle a appelé les secours le 26 novembre 2016, Caroline Létoile était sur écoute, et les enquêteurs ont relevé un passage pour le moins troublant. Pendant la musique d'attente, cette dernière parle à quelqu'un, vraisemblablement son compagnon. "J'ai dit qu'il était tombé dans les escaliers (...) et qu'il faisait que tomber de son lit (...) qu'il s'était fait un cran à la tête", dit-elle. Mais surtout, elle lui demande "Je cache tous les trucs de la dispute ?".