Naufrage du Titanic, amputation, médaille d'or aux JO de Paris 1924, guerre... l'incroyable histoire de Richard Norris Williams

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Richard Norris Williams est un rescapé du naufrage du Titanic et un joueur américain de tennis. Il a remporté les tournois de l'US Open, de Wimbledon, ainsi que la Coupe Davis. Et obtenu la médaille d'or par équipe en doubles mixtes, avec la joueuse Hazel Hotchkiss Wightman, lors des Jeux olympiques (JO) de Paris de 1924. Ceux-ci se sont déroulés en partie à Reims (Marne).

Les Jeux olympiques (JO) de Paris 2024 sont à peine terminés que l'on commence déjà à se pencher sur ceux qui suivent : les Jeux paralympiques de Paris 2024. Mais nous vous proposons plutôt de vous faire découvrir Paris 1924, au cours desquels l'histoire du Titanic s'est involontairement invitée.

Ce sont les premiers à s'intituler Jeux olympiques d'été, pour les distinguer de ceux d'hiver. En effet, les JO d'hiver sont organisés pour la première fois la même année, à Chamonix (Haute-Savoie), et sont baptisés pour l'occasion Semaine internationale des sports d'hiver (devant leur succès, ils seront renommés Jeux olympiques d'hiver dès l'année suivante).

Les JO d'été de 1924 sont concentrés à et autour de Paris. C'est la première année où l'on construit un village olympique, ce qui deviendra la norme. Le gros des installations se trouve à Colombes (Hauts-de-Seine, alors département de la Seine), en banlieue ouest, ainsi que dans plusieurs villes de la couronne parisienne. C'est dans le stade colombien que se tiennent notamment la cérémonie d'ouverture et les épreuves de tennis.

Des JO à Paris, Reims, Le Havre

Mais on fait aussi de la voile au Havre (Seine-Maritime, appelée alors Seine-Inférieure), et du tir sportif à Mourmelon-le-Grand, au nord de Châlons-sur-Marne; et Tinqueux, en banlieue de Reims (Marne). Pour l'occasion, Hippolyte Thomasson édifie un grand pavillon de tir, toujours visible et encore utilisé de nos jours, bien qu'un peu décati. 

Revenons à nos JO et leur lien avec le Titanic. Leur date est symbolique : ce sont les dernières Olympiades à s'être tenues dans la capitale française, avant qu'elles ne soient réitérées un siècle plus tard. Mais c'est aussi une année particulière, douze ans après le naufrage du Titanic, survenu dans la nuit du 14 au 15 avril 1912. 

Nous sommes alors une décennie après la plus grande catastrophe maritime touchant un navire civil en temps de paix. Mais celle-ci va être l'occasion d'une belle histoire comme seuls les JO permettent d'en raconter. Richard Norris Williams a 21 ans lorsqu'il réchappe au drame. Il y perd son père et manque d'être amputé, mais ne renonce à rien et travaille avec acharnement pour devenir l'un des plus grands joueurs de tennis du pays. Voici son histoire.

Une famille de sportifs

Antoine Resche, le président de l'Association française du Titanic, raconte à France 3 Champagne-Ardenne qu'en 1912, Richard Norris Williams (Dick de son petit surnom) "partait faire ses études aux États-Unis", à la prestigieuse Harvard, pour étudier l'histoire, notamment. "Il avait déjà une expérience en matière de tennis" , avec quelques succès en Suisse. Il comptait participer à des tournois américains avant sa rentrée universitaire.

Le responsable de l'AFT a beau connaître énormément de choses, il confie - et c'est normal - qu'il ne sait pas tout. Et renvoie, pour les menus détails de la vie de Williams, à un des articles de la revue de l'association, le Latitude 41. Il a été écrit par l'un des bénévoles de l'AFT, Denis Meyer, richement illustré par Manon Lotterie (dite Loma), et publié en septembre 2015.

"Il voyageait avec son père", précise Antoine Resche. Il s'agit de Charles Duane Williams, avocat américain né en Pennsylvanie et installé depuis vingt ans en Suisse. Passionné de tennis, on le créditera de la fondation, avec un juge suisse et un ancien militaire français (Charles Barde et Henri Wallet, respectivement) de la Fédération internationale de tennis sur gazon, en 1913 (à titre posthume donc). Elle deviendra la Fédération internationale de tennis (tout court) en 1977. Les Williams ont pour illustre ancêtre Benjamin Franklin, l'un des pères de la Déclaration unanime d'indépendance des treize États-Unis d'Amérique.

Le jeune homme est né à Genève le 29 janvier 1891. En plus de son anglais maternel, il parle couramment le français et l'allemand. Sa mère s'appelle Lydia Biddle Williams, née White. Elle ne les accompagne pas pour cette traversée et demeure au domicile genevois. Contrairement à ce qui a d'abord été présenté par plusieurs sources, elle ne les attendait pas outre-Atlantique et n'était pas la raison du voyage : il s'agissait bien des études et des désirs sportifs du fils Williams. 

L'escale du Titanic en France

L'embarquement se fait au soir à Cherbourg (Calvados), le 10 avril 1912. Il s'agit de la première escale du Titanic, parti en milieu de journée de Southampton, sur la côte sud de l'Angleterre. Il est en retard : le gigantesque paquebot est tellement énorme que ses hélices ont aspiré un paquebot plus petit, le New York, qui a rompu ses aussières avant de dériver vers lui. La collision a été évitée de fort peu, et il a fallu retarder le départ d'une heure pour rattacher convenablement le New York.

Mais il s'en faut de peu pour que Dick Williams et son père ne ratent le transbordeur. Il leur fallait attraper leur train transatlantique à la gare Saint-Lazare. Mais ils  se sont rendus dans une autre gare, et il leur faut toute une épopée en taxi à travers les rues de la capitale pour attraper leur train.

Une fois à Cherbourg, le père et le fils embarquent sur le Nomadic. Il s'agit d'un transbordeur, sorte de Titanic en miniature, dont il est parfois qualifié de petit frère. La rade artificielle de Cherbourg a beau être la plus grande au monde, elle n'est pas assez profonde pour que le Titanic puisse y jeter l'ancre (voir une magnifique peinture de Ken Marshall dans le tweet ci-dessous).

C'est pourquoi les passagères et passagers de première et deuxième classe doivent gagner le Titanic en prenant place à bord de ce transbordeur, construit pour l'occasion. Ses aménagements élégants sont un avant-goût de ce qui se trouve à bord du Titanic.

Les gens de troisième classe, les bagages, la cargaison et le courrier sont pour leur part embarqués sur le Traffic, construit en même temps que le Nomadic. Il est un peu moins imposant et luxueux, mais tout de même très confortable. 

Le Nomadic est le dernier navire encore existant de la White Star Line, la compagnie maritime du Titanic. Il a été sauvé d'une fin certaine, alors qu'après une carrière militaire, il était devenu un restaurant flottant rouillant en bord de Seine, face à la tour Eiffel. On peut l'admirer - et le visiter - de nos jours, en se rendant au Titanic Quarter de Belfast, là où le Titanic et le Nomadic furent construits. Et qui sait, s'asseoir pile où Richard Norris Williams s'est trouvé.

Retournons à bord du Titanic. Présent à bord depuis seulement dix minutes, Richard Norris Williams se dépêche d'écrire une lettre à sa maman afin qu'elle reparte sur le Nomadic, qui va bientôt retourner au port. Il y décrit succinctement les proportions des vastes salons du navire, et celles de sa cabine. Même si nous sommes en première classe et qu'elle surpasse la modernité et le raffinement des plus grands palaces de l'époque, Antoine Resche rappelle fréquemment que ces cabines seraient jugées assez avec dédain selon les critères et normes de notre époque. 

La fameuse lettre a été reproduite dans l'ouvrage Titanic, des vies dorées de Hugh Brewster, une véritable bible de près de 500 pages. On y retrouve des fascinants témoignages et correspondances des plus riches passagères et passagers du navire. 

Pourtant, Dick et son père n'auraient jamais dû se trouver à bord. Leur départ pour l'Amérique était prévu au mois de mars 1912. Mais le jeune homme a attrapé la rougeole, Une fois son fils rétabli, le père songe à rentrer à bord du France, un paquebot raffiné de la Compagnie générale transatlantique qui part du Havre le 20 avril. Il choisit finalement le Titanic, qui part de Cherbourg dix jours avant. Avec les conséquences que l'on connaît.

À bord du géant des mers

Ces deux passagers (voir la liste complète sur le site de l'AFT) voyagent en première classe. Il n'y a pas de certitude sur la cabine qu'ils occupent : elle serait située au pont C. On ignore s'il s'agissait d'une cabine de luxe (avec boiseries et meubles de style) ou d'une cabine plus simple et sobre. Nombreuses étaient les cabines de première classe, même les plus chères, à devoir partager toilettes et baignoires avec leur voisin de cabine, voire à devoir utiliser salles de bains et sanitaires collectifs en bout de coursive (il fallait alors réserver auprès d'un steward pour qu'il remplisse la baignoire). Ce plan de l'AFT donne une bonne idée de cette configuration. Le pont D, aux cabines moins prestigieuses, est aussi évoqué.

Selon l'Encyclopedia Titanica, le ticket a coûté la coquette somme de 61 livres sterling, sept shillings, et sept pennies d'époque, soit environ 7 000 livres sterling modernes (près de 8 300 euros). À noter que les taux de conversion, l'inflation, et l'évolution disparate des différents coûts de la vie rendent ces calculs assez approximatifs et peu représentatifs ou concrets. 

On a assez peu de détails sur les occupations de Richard Norris Williams lorsqu'il se trouve à bord. Il a accès à la gigantesque bibliothèque du grand salon dont les livres ont une couverture dorée à l'or fin, un fumoir décoré de vitraux représentant des nymphes, ou encore une réplique d'un café des grands boulevards de Paris.

Une immense salle à manger lui permet de profiter chaque jour d'une dizaine de plats différents, des entrées jusqu'aux entremets. Il n'y a pas de choix à strictement parler parmi tous ces plats : ce n'est pas un restaurant où on se contente d'en choisir un seul. Il est donc possible de tous les manger, les uns après les autres (et s'il fallait un nouveau lien avec Reims, il est possible de commander huit champagnes différents). C'est ce qui a fait écrire à Gérard Piouffre, dans son Titanic ne répond plus, que les repas à bord étaient "pantagruéliques". On se demande comment les gens fortunés étaient aussi minces, à l'époque...

Heureusement, il y a de quoi éliminer toutes ces calories. Le Titanic est équipé d'une piscine d'allure assez austère, pour ne pas dire tout droit sortie d'un film d'Alfred Hitchcock. Celle du Britannic, le futur navire-jumeau du Titanic, aurait dû être décorée de marbre et de colonnes : elle aurait ressemblé à un bain romain. Comme quoi le Titanic était, sur le plan du luxe, encore améliorable...

Sur le navire, on trouve aussi un gymnase ultramoderne, doté d'un rameur, de bicyclettes avec mesure de la distance parcourue (il est possible de la faire la course à deux), d'un punching-ball, ou encore d'un chameau électrique. Son moniteur est décrit comme fort enjoué (le forum des Titanicophiles en a publié un petit panorama sur sa page Facebook, voir ci-dessous).

Et, probablement très au goût de Richard Norris Williams : il y avait un court de squash. C'est un peu comme au tennis, mais où l'on frappe la balle de manière à ce qu'elle rebondisse contre le mur, vers son adversaire. Durant la nuit du naufrage, le colonel Gracie, qui avait rendez-vous avec le moniteur de squash le lendemain pour une leçon matinale, suggère placidement de la reporter. Le moniteur répondra assez fraîchement qu'il n'y voit aucun inconvénient : il avait assisté à l'engloutissement total de la petite salle, située tout à l'avant du navire.

Ce n'est pourtant pas le premier naufrage des Williams. Au cours d'un dîner, Charles Duane Williams leur raconte qu'en 1879, il se trouve avec son propre père à bord d'un paquebot, l'Arizona, qui fait route de Liverpool (côte ouest de l'Angleterre) vers New York. Le navire heurte un iceberg au large de Terre-Neuve. Gravement endommagé, il commence à couler. Les personnes à bord utilisent alors la cargaison, constituée de ballots de coton, pour colmater la brèche. Personne ne mourra. Cette fois-là, en tout cas... 

Le naufrage le plus retentissant de tous les temps

Antoine Resche poursuit l'histoire du jeune Dick Williams. Le naufrage, celui de 1912 cette fois, a débuté. "À un moment, une de ses voisines de cabine est prise de panique. Elle n'arrive plus à ouvrir sa porte. Il va donc la défoncer avec son père. Et un steward va les enguirlander", arguant que les dégâts devront être remboursés à la White Star Line. Oui, comme dans le film de James Cameron, qui n'a au final pas inventé grand-chose (voir le passage en vidéo ci-dessous)... 

C'est aussi l'objet d'un passage aussi savoureux que grinçant de l'historien Walter Lord dans La Nuit du Titanic. "Plus loin, une porte était coincée. Quelques passagers l'enfoncèrent pour libérer la personne qui se trouvait à l'intérieur. C'est alors qu'un steward arriva, furieux, et menaça de faire arrêter les vandales à New York... À 00h15, personne ne savait très bien que croire, ni s'il fallait en rire ou en pleurer; et encore moins comment se comporter. Enfoncer une porte ferait-il de vous un héros ou un cambrioleur ? Les réactions étaient imprévisibles." Richard Norris Williams n'y est pas nommé, mais cela correspond. 

Il accompagne son père au fumoir, lequel souhaite faire remplir sa flasque d'argent avec de l'alcool. Mais le serveur est intransigeant : on ne sert plus d'alcool sur le Titanic à partir de minuit, c'est la règle. Laquelle semble même s'appliquer en plein naufrage... Charles Duane Williams confie sa flasque à son fils. De nos jours, elle est toujours dans la famille.

Après ce passage infructueux au fumoir, ils se rendent sur le pont des embarcations, afin d'aider les femmes et les enfants à monter dans les canots; Comme il fait très froid, ils se réfugient ensuite dans le gymnase, comme beaucoup d'autres gens de première classe, et vont utiliser - semble-t-il - les bicyclettes.

On verra notamment le moniteur Thomas McCawley déclarer qu'il refuse de porter un gilet de sauvetage, car ça le "gênerait pour nager". Il ne survivra pas au naufrage. John Jacob Astor, qui attend un canot pour Madeleine, sa jeune épouse enceinte, entreprend d'en découper un avec son canif pour lui montrer le système de flottabilité, mais surtout lui faire penser à autre chose. Ces scènes historiques devaient figurer dans le film, mais elles ont été coupées (à voir dans la vidéo ci-dessous).

Si l'épisode de la porte peut porter à sourire, la suite narrée par Antoine Resche est bien plus tragique. "Ils se sont retrouvés à l'eau, côté tribord, quand la passerelle de navigation a été inondée." Sur le pont le plus élevé du navire : la fin était proche. Malgré ça, il semblerait que Charles Duane Williams n'ait jamais cru que le paquebot allait vraiment sombrer. "En nageant, il a vu son père être écrasé par [la chute de] la cheminée. On en est assez certain."

Alors qu'on a longtemps cru que le milliardaire John Jacob Astor avait péri sous cette même cheminée, sa dépouille étant retrouvée écrasée et couverte de suie. Mais son rapport d'autopsie mentionne un corps intact, il s'agit d'une énième légende urbaine propagée par un passager... et là aussi, d'une scène qu'on retrouve dans le film (voir la vidéo ci-dessous).

Lui-même a manqué de peu de se retrouver sous la cheminée. Comme si cette histoire d'horreur (encore une sur le Titanic) ne suffisait pas, il entend peu avant ce moment-là un coup de feu : un suicide parmi les officiers n'a jamais pu être prouvé, mais au moins trois passagers différents ont entendu la même chose.

Le canot de l'horreur

Le jeune Dick est désormais orphelin de son père. Il parvient à se hisser dans l'un des quatre canots pliables, le numéro A, dont les flancs n'ont pas été dépliés jusqu'en haut. On critique souvent le Titanic pour son manque de canots (20 quand la loi en réclamait 16), mais la réalité est qu'il y a tout juste eu le temps d'en lancer 18 de manière conventionnelle (et encore, sans les remplir en totalité). La mer a à moitié inondé l'avant-dernier (le A), ce qui tuera la majeure partie des personnes à bord au fil de la nuit (mais pas le jeune Williams).

Le dernier canot, le B, s'est carrément retourné lors de la tentative désespérée de le lancer, durant les ultimes minutes du naufrage (on l'aperçoit dans la vidéo précédente). C'est un miracle qu'aient pu y survivre pendant toute la nuit, et dans un équilibre très précaire, une trentaine de personnes, y compris le deuxième officier, le second opérateur radio, et des passagers témoins d'événements importants, dont les témoignages seront capitaux.

"Son canot était bien englouti." Mais le A flottait, tant bien que mal, même si personne n'a su ou pu trouver de quoi écoper. "Il avait la chance d'avoir un grand manteau de fourrure. Il l'a abandonné dedans ensuite", avant que le Carpathia ne vienne secourir les personnes naufragées. 

"Le canot a été repêché", un mois plus tard, par un autre navire de la White Star Line, totalement par hasard et très au sud du lieu de la catastrophe. Trois cadavres se trouvaient à bord, ainsi que le fameux manteau de fourrure. La White Star Line le fera récupérer, l'enverra chez le teinturier, puis le rendra à Richard Norris Williams.

Dans les poches du manteau, il retrouvera deux lettres et leurs enveloppes, envoyées directement sur le Titanic à Cherbourg par sa maman restée en Suisse. Un précieux souvenir qui a fait l'objet d'une exposition en 2012. 

Cet épisode est aussi l'occasion d'une méprise fort désagréable. Un télégramme concernant le contenu retrouvé sur le canot à la dérive mentionne "cane of Duane Williams" (canne du père de Richard Norris Williams), faute de transcription de "care of Duane Williams" (chez Duane Williams). Les journaux ont alors cru, et relayé, que le père du jeune homme avait lui aussi réussi à grimper sur le canot (avec sa canne), mais qu'il y était mort (ce dont son fils n'aurait évidemment pas manqué de remarquer). Beaucoup de journaux ont raconté des bêtises à l'époque (et c'était toujours le cas un siècle plus tard lors du retentissant naufrage du Costa Concordia).

Mutilé aux jambes ? Et alors ?

Le manteau ne descendant pas jusqu'aux jambes, et l'eau glacée arrivant à la taille du jeune homme, c'est une nuit très inconfortable à laquelle il va devoir survivre. "Il a eu les jambes très endommagées. Au point que le médecin du Carpathia a envisagé l'amputation."

Le médecin du Carpathia a envisagé l'amputation.

Antoine Resche, président de l'Association française du Titanic (AFT)

Envolés, ses rêves de tennis ? Eh bien non. Richard Norris Williams a un mental d'acier. Il refuse l'adversité. "Il va faire beaucoup d'exercice pour maintenir l'usage de ses jambes", décolorées à vie par leur séjour prolongé dans l'eau glacée. Des heures et des heures de marche, chaque jour, toutes les deux heures, sur le pont du Carpathia puis sur la terre ferme. Et il l'aura, sa carrière.

Dès le retour aux États-Unis, Richard Norris Williams fait de son rêve une réalité. Il n'est qu'un novice et un inconnu dans le monde de la terre battue (ou plutôt du gazon, à l'époque), ce qui ne l'empêche pas de remporter le championnat de Pennsylvanie. Pour rappel, nous sommes six semaines seulement après un naufrage traumatisant, la mort de son père adoré, et la proposition des médecins du Carpathia de l'amputer.

Le jeune joueur emporte tout sur son passage

Dick Williams enchaîne tout de suite en remportant - aussi - les doubles mixtes au championnat de tennis des États-Unis (qui deviendront l'US Open). Il échoue cependant à battre, en simples, Maurice McLoughlin... tout simplement le meilleur joueur du monde. Qu'à cela ne tienne, il devient son ami. Puis se rattrape en gagnant aussi le tournoi de Pittsburgh. 

Juste après, le voilà qui affronte le joueur incontournable de l'époque, Karl Howell Behr. Lui aussi passager de première classe du Titanic et rescapé du naufrage, il a d'ailleurs été d'un grand soutien dans la lutte du jeune homme pour conserver l'usage de ses jambes. Mais à présent, nous sommes le 18 juillet 1912. Le moment d'un duel homérique. Si Behr parvient finalement à battre Williams, c'est avec de grands efforts, en cinq sets.

Du reste, sportivement parlant, les deux joueurs de tennis ne se perdront pas de vue, et s'entendront toujours. Ils se retrouveront en finale du Défi international de tennis sur gazon (future Coupe Davis), en 1914. Une vidéo a pu être exhumée, où l'on peut observer (au tout début) la puissance du revers de Dick Williams.

Les journaux ne s'y trompent pas. À seulement 21 ans, ce géant d'1,82 mètre est un véritable phénomène : il frappe fort et vite, au point parfois d'encaisser des balles plutôt aisées à éviter. Mais dans ses meilleurs jours, Williams est tout simplement "imbattable", écrit le prestigieux New York Times à son sujet. 

À Harvard (car il fait tout ça en parallèle de ses études), il remporte plusieurs tournois au sein de l'établissement. Toujours avec la rage de vaincre, en 1914 puis en 1916, il remporte enfin le championnat de tennis des États-Unis (US Open) en simples. McLoughlin est battu. William Johnston, l'un des meilleurs joueurs de son temps, également.

Le sacre ultime : l'or olympique

Ce n'est pas fini. Il est sacré en doubles masculins, à Wimbledon, en 1920. En doubles masculins également, au championnat des États-Unis, en 1925 et 1926. Sans oublier ses succès en Coupe Davis. Et en 1924, rappelez-vous, ce sont les Jeux olympiques de Paris...

Au côté de Hazel Hotchkiss Wightman, il va remporter la médaille d'or en doubles mixtes lors de ces Olympiades. Le pire ? Il n'est pas au meilleur de sa forme : il s'est foulé la cheville lors des demi-finales. Mais on l'a vu, il en a plus pour l'arrêter. Bien plus.

Le joueur affectionne le gazon, pour ses parties. Mais les matches de tennis ont lieu sur la terre battue de Colombes : Roland Garros n'existe pas encore. Si les héritiers de Richard Norris Williams ont conservé la flasque en argent de son père, on ne sait pas forcément ce qu'est devenue la médaille d'or de Paris 1924.

Pour l'anecdote, il est resté très longtemps le dernier champion olympique pour ce titre en doubles mixtes. En effet, la discipline a disparu des JO jusqu'à son retour à ceux de Londres en 2012 (les simples et doubles féminins et masculins ont fait leur retour dès 1988).

Concernant les simples et les doubles masculins, il n'a pas passé les quarts de finale. Même quand on est ce grand vainqueur, on ne peut pas toujours gagner... Quand bien même, il intégrera de son vivant l'International Tennis Hall of Fame (ITHF), la plus belle récompense qui puisse exister pour un joueur de tennis (voir son palmarès impressionnant rappelé par le Forum du Titanic sur Facebook ci-dessous). 

Une guerre et des mariages

Si l'on a évoqué d'un trait sa carrière sportive, il ne faut pas oublier qu'elle se retrouve coupée en deux par la Première Guerre mondiale. Il compte parmi les forces du corps expéditionnaire américain, en 1917. Officier d'artillerie, il détient le grade de capitaine, et enseigne l'anglais à l'école militaire de Senlis (Oise). 

Il échappe aux bombardements sur Paris en 1918, puis participe - et survit - à la bataille du bois Belleau, juste à côté de la Marne. La précision de sa survie est importante, car les forces menées par le général Pershing essuient leur pire hécatombe depuis la Guerre de Sécession et jusqu'à la Seconde Guerre mondiale : 1 800 morts, 8 000 blessés. Après la fin du conflit, la grippe espagnole décimera une partie du corps expéditionnaire.

Pour ses hauts faits, il est rapporté que Dick Williams reçoit la légion d'Honneur (bien qu'il ne figure pas sur la base de données Léonore des Archives nationales). Ainsi que la croix de guerre. Celui qui le décore, le 10 avril 1919 (pile sept ans après le départ du Titanic) n'est nul autre que... le maréchal Pétain. Le jeune homme constituera une vaste collection de documents liés à la guerre, qui serviront l'histoire lorsqu'ils seront remis à la bibliothèque de l'université de Pennsylvanie. 

Plus surprenant, c'est la même année que s'est marié Richard Norris Williams. L'acte de mariage nous permet d'apprendre plein de détails. 

"Le onze janvier, mil neuf cent dix-neuf, onze heures, trente minutes, devant Nous, Paul Voynet, adjoint au maire du XVIème arrondissement de Paris, ont comparu publiquement en la maison commune. Richard Norris Williams, courtier de banque, né à Genève (Suisse) le vingt-neuf janvier, mil huit cent quatre-vingt-onze, domicilié à Newton Centre (États-Unis), actuellement 2ème lieutenant dans l'armée américaine, fils majeur de Charles Duane Williams, décédé, et de Lydia Biddle White, sa veuve, sans profession, domiciliée au dit Newton, d'une part. Et Jean Haddock, sans profession, née à New-York, le quatre septembre, mil huit cent quatre-vingt-dix, domiciliée et résidant en cet arrondissement avenue Victor Hugo, 69, fille majeure de Arthur Henry Haddock et de Matilda Stewart, épouse décédée, d'autre part."

"Les futurs époux déclarent qu'il n'a pas été fait de contrat de mariage. Aucune opposition n'ayant été faite, les contractants ont déclaré l'un après l'autre, vouloir se prendre pour époux et Nous avons prononcé au nom de la loi que Richard Norris Williams et Jean Haddock unis par le mariage. Dont acte en présence de : Martin Legasse, trente-huit ans, aviateur, à Paris, Boulevard Haussmann, 138, Fielding Robinson, vingt-un ans, officier décoré de la croix de guerre, à Tours (Indre et Loire), Martha Woods, épouse Noland, trente-deux ans, sans profession, à Paris, 67 avenue Victor Hugo, Hélène Cameron, quarante-huit ans, à Paris, 10 avenue d'Eylau. Lecture faite, les époux et les témoins ont signé avec Nous."

Il aura deux enfants avec cette dame, mais elle meurt en 1929. Il se remarie un an plus tard avec Frances West Gilmore, cette fois-ci aux États-Unis. Deux autres enfants naîtront de cette union. À terme, il deviendra un grand-père comblé, amateur de jardinage, et discret sur son passé, qui l'aura amené plus d'une fois en région parisienne (voir la carte ci-dessous).

Ses douleurs aux jambes ne le laisseront jamais vraiment tranquille Fumeur, il meurt d'un emphysème à Philadelphie en 1968. Il avait 77 ans. Sa veuve vit encore une trentaine d'années avant de le rejoindre en 2001.

Un homme modeste

Anecdote amusante rapportée par Antoine Resche, "c'était quelqu'un d'apparemment assez modeste. Il utilisait l'un de ses trophées de tennis comme plat, pour couper le rôti lors du repas de Noël." Celui de Wimbledon, plus précisément, si l'on en croit sa petite-fille, Lydia Griffin Williams : elle a aussi utilisé l'un de ses trophées de tournoi suisse comme petit pot où ranger ses crayons quand elle était petite. "Il avait une certaine distance avec son palmarès." Et semblait faire peu de cas de ses victoires.

Mais aussi avec la catastrophe. Il n'a jamais fait trop état publiquement de sa présence sur le Titanic, bien qu'il ait répondu aux questions de Walter Lord lorsqu'il a écrit La Nuit du Titanic. Ses mémoires abordent abondamment le sujet, ainsi que sa présence au front pendant la guerre, et ses exploits sportifs. Mais elles n'ont pas été divulguées... 

Williams venait toutefois "d'une très bonne famille. À l'époque, quand on faisait ainsi une carrière de sportif, c'est qu'on venait d'un milieu plutôt aisé." Le sport professionnel n'existait d'ailleurs pas encore, et malgré tous ses prix, le jeune homme n'a pas empoché un sou grâce à son talent. Mais il pouvait se le permettre : il travaillait dans la banque. Dans son article biographique, Denis Meyer ne manque pas de préciser qu'après sa retraite sportive, il "continua le tennis pour le plaisir, jouant avec qui le voulait bien, qu'importe son niveau". Sur le forum du Titanic, plusieurs pages égrènent des anecdotes à son sujet.

Le livre Titanic, the tennis story a été écrit par Lindsay Gibbs au sujet de Richard Norris Williams (et Karl Howell Behr). Mais la partie sur le Titanic paraît assez fantaisiste aux experts, et les descendants des deux joueurs de tennis ont brocardé le contenu l'ouvrage. Lequel, du reste, était sponsorisé par... les vodkas Iceberg. On a vu publicité plus avisée...

Pas le seul médaillé olympique du Titanic

L'anecdote de fin revient à Antoine Resche, qui cite... ni plus ni moins qu'un autre rescapé du Titanic et médaillé olympique, décidément. Il ne s'agit pas de Karl Howell Behr, le célèbre joueur de tennis, même s'il figure dans le même panthéon du sport (ITHF) que Richard Norris Williams.

L'homme se nomme Sir Cosmo Duff-Gordon, un baronnet britannique. Il est surtout connu pour être l'époux de la célèbre créatrice de mode Lucile Duff-Gordon, très prisée des aristocrates...

"Il a été médaillé d'argent en escrime. Mais c'était avant le naufrage." Plus précisément aux JO intercalaires de 1906, organisés à Athènes par le roi de Grèce, dix ans après les premiers de 1896. Opposé à cette idée, le baron de Coubertin fera considérer ces Olympiades comme étant non officielles, contrairement à celles de Paris 1904 et Londres 1908 (l'organisation a lieu tous les quatre ans). 

Pour aller plus loin sur les JO

Rappelons au cours d'une brève leçon d'histoire qu'en un siècle, les choses ont eu le temps d'évoluer, lors de ces Olympiades. Apparaissent successivement :

  • 1894 : Comité international olympique (CIO)
  • 1896 : Jeux de la 1ère olympiade (Athènes, Grèce)
  • 1900 : concours internationaux d'exercices physiques et de sports, soit 2e olympiade (Paris)
  • 1904 : médailles d'or-argent-bronze, Jeux de la 3e olympiade (Saint-Louis, USA)
  • 1908 : 1ère construction d'infrastructures dédiées au lieu d'en réutiliser (Londres, Royaume-Uni)
  • 1912 : 1ère participation des pays des cinq continents (Stockholm, Suède)
  • 1920 : 1ers drapeau à anneaux olympiques, serment, lâcher de colombes (Anvers, Belgique)
  • 1924 : 1ers village olympique, jeux d'hiver (Paris)
  • 1928 : 1ères flamme olympique, ouverture de la parade par la Grèce (Amsterdam, Pays-Bas)
  • 1936 : 1ers allumage/relais de la flamme en Grèce, phrase d'ouverture (Berlin, Allemagne nazie)
  • 1960 : 1ers hymne olympique (de 1896) chanté lors de la cérémonie, Paralympiques (Rome, Italie)
  • 1964 : 1ère diffusion télévisée en direct (Tokyo, Japon)
  • 1968 : 1ère mascotte olympique (hiver, Grenoble)
  • 1980 :1ères cérémonies d'ouverture devenant bien plus épiques (Moscou, URSS)
  • 1992 : dernière conjonction entre les JO d'été/d'hiver (Barcelone, Espagne/Albertville)
  • 1996 : 1ère cérémonie d'ouverture le vendredi (Atlanta, USA)
  • 2020 : ajout du mot communiter (ensemble) à la devise olympique, les prochains pays organisateurs concluent la parade (Tokyo, Japon)
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