Naufrage du Titanic : la petite histoire de Maurice Debreucq, 18 ans, jeune serveur du luxueux restaurant du navire

Maurice Debreucq était serveur au restaurant À la Carte, proposant les plats les plus raffinés aux passagères et passagers de première classe du Titanic. Né à Reims (Marne), il n'avait que 18 ans, et n'a pas survécu au naufrage de l'infortuné paquebot.

L'essentiel du jour : notre sélection exclusive
Chaque jour, notre rédaction vous réserve le meilleur de l'info régionale. Une sélection rien que pour vous, pour rester en lien avec vos régions.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "L'essentiel du jour : notre sélection exclusive". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Ce devait être la chance de sa vie, dans un restaurant incarnant l'excellence de la cuisine à la française. Mais pour ce jeune serveur de 18 ans au restaurant À la Carte, l'embarquement à bord du Titanic fut synonyme de passage de vie à trépas, dans la nuit du 14 au 15 avril 1912. On connait hélas assez peu de détails sur sa courte existence. 

Maurice Émile Victor Debreucq est né le 06 mars 1894 à Reims (Marne), apprend-on dans l'ouvrage Les Français du Titanic. Ce dernier a été rédigé par le quatuor d'historiens François Codet, Olivier Mendez, Alain Dufief, et Franck Gavard-Perret (membres de l'Association française du Titanic, AFT).

Il semble avoir passé un certain temps, malgré sa jeunesse, à travailler et vivre à Londres. Il y a officié au sein du Royal Hotel, et le reste de son Curriculum Vitae n'est pas connu.

Un Rémois devenu Londonien

Sa fiche biographique sur le site de l'AFT nous donne quelques détails supplémentaires. Sa dernière adresse connue est le 12 Mead Row, dans le quartier ouvrier de Kennington, sur la rive sud de Londres. Les lieux ne ressemblent plus du tout à ce qu'ils étaient à l'époque. L'adresse se trouvait entre les voies ferrées de la gare de Waterloo, et le site de l'ancien Bethlem Royal Hospital, premier hôpital psychiatrique du monde occidental (ouvert au XIVe siècle) et occupé depuis 1936 par l'imposant Imperial War Museum. 

Quant à sa notice sur l'Encyclopedia Titanica (en anglais), elle cite le recensement londonien de 1911 pour donner une précédente adresse au 8 Lynton Mansions, sur Kennington Road, dans le quartier voisin de Lambeth. Cette rue, très longue, est à l'intersection de Mead Row, donc à quelques pas. Cette adresse avait aussi été déclarée par Roberto Vioni, un Italien de 25 ans qui allait devenir le collègue de Maurice Debreucq à bord du Titanic. 

Détail curieux, l'Encyclopedia Titanic écrit "Rheims". Il s'agit d'une manière courante d'orthographier la Cité des sacres dans la langue de Shakespeare. Il est précisé que sur le recensement londonien, Maurice Debreucq était cité en sa qualité de serveur, et qu'il était célibataire (ou en tout cas, non-marié). 

La généalogie nous éclaire

Un autre document d'état-civil, français cette fois-ci, nous en apprend beaucoup sur les origines de ce jeune homme. Il s'agit de son acte de naissance, porté aux archives départementales de la Marne et consultable en ligne, que nous citons avec la typographie de l'époque.

"L'An mil huit cent quatre vingt quatorze, le sept Mars, à cinq heures du soir, par devant Nous, Albert Jolly, officier d'Académie, Adjoint au Maire de la Ville de Reims, Délégué aux fonctions d'officier de l'État-Civil, a comparu Émile Debreucq, âgé de vingt huit ans, tisseur, demeurant à Reims, rue des Moulins N°19, lequel nous a présenté un garçon, né en sa demeure le six Mars courant, à dix heures du soir, de lui, et de Adelina Dangréaux, âgée de vingt sept ans, tisseuse, son épouse, et qu'il a prénommé Maurice Émile Victor."

"Acte en présence de Charles Kaps, âgé de trente ans, tisseur, demeurant à Reims, rue des Moulins N°19, et de Auguste Léon Proix, âgé de quarante sept ans, journalier, demeurant à Reims, rue de Merfy N°31. Le père et les témoins ont signé avec nous, lecture faite."

Anecdote amusante, Auguste Proix assiste à la naissance du petit Maurice... alors que la veille, il est devenu papa d'une petite Lucie en fin d'après-midi. Les témoins n'étaient autres qu'Émile Debreucq (le futur père de Maurice) et du même Charles Kaps. On ne pouvait pas faire plus rapproché.

La généalogie de Maurice Debreucq, comme celle d'une grande partie des Françaises et Français du Titanic, a été compilée sur Généanet par l'AFT. Parmi ses aïeules et aïeux, on retrouve des Rainguet, Colainthiez, Bertin, Vitrans, Richer, Blas, Dormegnie, Hayez, Drecq, Piette, Bisiau, Claisse, Noulin, Soitier, Leducq, Ratte, Lobry, Louis, Carré, Tilmont, Baudoux, et Houdart. Peut-être partagez-vous des ancêtres communs avec ce serveur du Titanic : n'hésitez pas à vérifier dans les archives mises en ligne, c'est gratuit et très prenant.

Le 19 rue des Moulins et tout le pâté de maisons ont laissé place en 1983 à la cour d'appel et à un ensemble de tours d'habitation résolument modernes... du moins pour les standards esthétiques de l'époque. Mais c'était ça, ou démolir un bout du secteur de la cathédrale (le petit square derrière le palais de justice) pour y installer l'institution judiciaire, précédemment logée dans une aile de l'hôtel de ville. C'est d'ailleurs feu Robert Badinter qui a inauguré cette cour d'appel. Difficile donc de voir à quoi ressemblait la maison natale du jeune Maurice. Mais la carte interactive de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) permet de comparer une vue aérienne de la rue prise dans les années 50, et une vue satellite actuelle. C'est pas Google Street View (forcément, à l'époque...), mais c'est mieux que rien.

Presque comme le Ritz

Sur le Titanic, Maurice Debreucq était donc l'un des serveurs du restaurant À la Carte. Il s'agissait d'un lieu de restauration à part de la salle à manger de première classe. Une petite poignée des passagères et passagers les plus riches du navire y prenaient leurs repas, telle une aristocratie au sein de l'aristocratie.

Sollicité par téléphone, Franck Gavard-Perret, l'historien membre de l'AFT cité en début d'article, explique à France 3 Champagne-Ardenne le fonctionnement de ce restaurant un peu particulier, sous concession gérée par Luigi Gatti. L'historien en profite pour corriger quelques apparentes évidences qui n'allaient en fait pas de soi. "On disait qu'il n'était pas un employé de la White Star Line [la compagnie maritime; ndlr] et qu'il avait amené à bord sa propre équipe. C'est vrai. Mais ce n'était pas pour autant le propriétaire du restaurant. Il était payé par la White Star Line, c'était un manager, en quelque sorte, mais pas le directeur." Un peu comme au McDonald's, au final... avec l'opulence en plus. 

"On a beaucoup écrit que les serveurs et cuisiniers de Gatti venaient de ses restaurants à Londres : le Strand, l'Adelphi. Mais en fait, on a découvert que c'était faux. Il s'agissait d'une autre famille Gatti, qui était suisse. Par contre, Maurice Debreucq et certains de ses collègues venaient bien de l'Oddenino : c'est le seul restaurant pour lequel on est sûr que Luigi Gatti a travaillé."

"Oddenino, c'était le nom du patron, Auguste Oddenino. C'est lui qui a passé un contrat avec la White Star Line pour mettre un restaurant À la Carte sur le Titanic et sur l'Olympic", son navire-jumeau. Gatti, qui avait commencé sa carrière comme simple serveur mais dont on ignore ce qu'il a fait exactement pendant une bonne dizaine d'années, était donc le représentant d'Oddeino, "un grand manager, mais pas le grand patron. Et c'est Gatti qui a choisi Debreucq, et qui le payait avec l'argent qu'il recevait de la White Star Line." Un salaire de très exactement, et ce sans compter de très généreux pourboires, deux livres sterling et deux schillings : environ 300 euros de nos jours, bien que la conversion soit compliquée à cause des changements de monnaie, de l'inflation, et de la modification des postes de dépenses.

Maurice Debreucq étant "assistant waiter" (littéralement assistant serveur plutôt que serveur, on devrait traduire par garçon de salle), il "servait les plats" aux gens venant manger au restaurant À la Carte. "C'était un garçon de salle. Le chef de salle, un Italien nommé Francesco Nannini, était son chef, comme pour tous les serveurs. C'était une équipe typiquement italienne : c'était le seul Français" parmi les serveurs et garçons de salle. "On vantait la cuisine française, donc on retrouvait surtout les Français aux fourneaux. Bien sûr, tout le personnel maîtrisait l'anglais." La liste de ce personnel a d'ailleurs été conservée. "Ils étaient vraiment aux petits soins pour les passagers venant au restaurant. Pour l'anecdote, ils vendaient aussi des cigares ou des paquets de cigarettes."  

"Son poste n'était pas très prestigieux. Mais Maurice Debreucq était en début de carrière. C'était son premier navire." Et ce à seulement 18 ans... "Le fait qu'il ait été choisi pour le Titanic peut être un gage de qualité de ce garçon, même si on n'en sera jamais sûr. Ils ont dû déceler un potentiel en lui."  L'équipe alternait entre des profils bien expérimentés, et des petits nouveaux qui prenaient leurs marques. "Il est monté à Southampton, il a signé son engagement le 06 avril. C'est l'un des derniers arrivés, puisque le chef-cuisinier Rousseau et le secrétaire de Gatti, Paul Maugé, étaient là depuis fin mars. Ils avaient beaucoup de travail pour tout préparer et former les équipes." 

Un établissement digne des palaces européens

Maurice Debreucq dormait dans des quartiers spécialement dédiés au personnel du restaurant à la Carte, au pont E (il travaillait au pont B), qui ne se mélangeait pas avec le reste des serveurs travaillant en salle à manger (possiblement pour éviter des inimités, car ils étaient moins bien payés). Un réseau d'escaliers assez proches les uns des autres lui permettaient de se rendre en salle, voire de déboucher à l'air libre, ce qui aura son importance pendant le naufrage.

Sur le Forum Titanic, un membre bien informé souligne que "lorsque les premiers restaurants à la carte ont été ouverts sur des transatlantiques, [malgré quelques critiques], ils ont tout de suite remporté un franc succès. Ce qui motivait les compagnies à ouvrir de tels restaurants sur leurs navires, c'était le besoin de faire des économies."

"À chaque traversée, il y avait un certain nombre de passagers qui exigeaient de dîner en dehors des heures, [sinon ils] se plaignaient. Pour les contenter, on servait les autres passagers après, ce qui [agaçait tout le monde]. Ouvrir un restaurant à la carte accessible toute la journée permettait de subvenir aux besoins des passagers les plus capricieux sans nuire au confort des autres. En même temps ça libérait des tables dans la salle à manger du pont D lors des repas, et les stewards étaient moins sous pression." Le billet de première classe était d'ailleurs moins cher si l'on prenait tous ses repas au restaurant plutôt qu'à la salle à manger.

Selon le Dictionnaire du Titanic écrit par François Codet, ce restaurant "impressionnait par sa grandeur et sa beauté. Bon nombre de passagers le comparaient au Ritz parisien. L'ambiance était opulente et raffinée." Les convives, au nombre de 137, pouvaient y prendre place pour y manger à toute heure entre 08h00 et 23h00.

Le petit-déjeuner, le déjeuner, et le dîner y étaient servis. Attenant au restaurant, la réplique d'un café des grands boulevards parisiens proposait de délicieuses collations pour compléter ces trois repas. 

Les lieux évoquent plus un grand hôtel parisien qu'un bateau. Le Site du Titanic créé par Alain Dufief, véritable bible numérique titanicophile en ligne depuis 1998, décrit une salle de style Louis XVI, "d'une beauté considérable". Murs tendus de panneaux de noyer garnis de dorures, poutres et plafond délicatement moulé soutenus par d'élégantes colonnes, sol couvert d'un épais tapis d'Axminster à la teinte rose. De larges baies vitrées, encadrées de rideaux en soie, font oublier qu'on se trouve en mer. Buffet rehaussé de marbre rose. Et ne parlons pas de la verrerie en cristal, des assiettes de porcelaine ornementée, et de l'argenterie en quantité : vous pouvez voir à quoi cette dernière ressemblait dans tous les détails ici.

Un restaurant pour la crème de la crème

Depuis une dizaine d'années, l'équipe du projet Titanic Honor & Glory s'acharne à reconstituer le paquebot de luxe dans les moindres détails, via la technologie 3D. On peut notamment y découvrir le restaurant briller de mille feux, même si les passagères et passagers, ainsi que les membres de l'équipage, n'apparaissent pas. Il est possible d'en voir plus en téléchargeant la démo de leur futur jeu-vidéo, ou en regardant leurs nombreuses vidéos sur Youtube (en voir une ci-dessous).

Cette ambiance du restaurant, on en a toutefois une petite idée via la passagère Mahala Douglas, citée dans le bouquin La Table du Titanic, de Xavier Manente. Elle nous livre aussi un aperçu du menu (dont on ne sait quasiment rien, tous les originaux ayant été perdus lors du naufrage). "La dernière nuit, nous dînâmes au Ritz. C’était le summum du luxe." À noter que l'appellation Ritz est un abus de langage : la clientèle fortunée y était habituée à bord des paquebots allemands, mais le Titanic n'avait de Ritz : son restaurant était fastueux, mais n'avait pas de nom particulier... en dehors d'À la Carte.

"Les tables étaient joyeusement décorées de roses et de marguerites. Les femmes avaient revêtu de ravissantes robes de satin et de soie, les hommes étaient impeccables et tirés à quatre épingles, les violons de l’orchestre jouaient Puccini et Tchaïkovski. Le dîner fut somptueux : caviar, homards, cailles d’Égypte, œufs de vanneau, raisin de serre et pêches fraîches. La nuit était froide et claire, la mer de cristal." (voir la superficie de l'océan traversé sur la carte ci-dessous)

Une petite information connue toutefois par Franck Gavard-Perret : on y servait de l'eau de Perrier (à sept centimes de dollar). Le dîner le plus fastueux eut lieu le soir du 14 avril 1912 : le Titanic allait heurter l'iceberg quelques heures plus tard. Le commandant Smith était l'hôte d'honneur de ce dîner, organisé par les époux Widener. George Widener était l'homme le plus riche de Philadelphie, sa famille ayant fait fortune dans le milieu des transports. 

On connait comme participantes et participants à ce dîner la crème de la crème de la bonne société de l'époque. Et il n'est pas impossible que Maurice Debreucq a pu les servir ce soir-là. Pour l'anecdote, les règles que devaient suivre le petit personnel comprenaient le fait "de ne pas respirer quand on s'approchait d'un passager qui voulait dire quelque chose, de façon à ne pas lui envoyer son haleine... Je pense que les usages n'étaient pas très éloignés de ceux d'aujourd'hui dans un grand restaurant."  Ce dîner d'honneur fut sans doute le moment culminant, l'apogée de la traversée, à laquelle participèrent notamment :

  • George Widener, magnat américain des tramways
  • Eleanor Widener, son épouse
  • Harry Widener, leur fils, bibliophile
  • John Thayer, magnat américain des chemins de fer
  • Marian Thayer, son épouse (elle a inspiré le personnage de la mère de Rose dans le film)
  • William Carter, héritier américain d'un baron du charbon et de l'acier, agent de chance sur les marchés financiers, et propriétaire de la seule voiture du paquebot (on la voit dans le film, oui, cette voiture-là)
  • Lucille Carter, son épouse (qui demandera le divorce car son mari a survécu au naufrage)
  • Archibald Butt, conseiller militaire des présidents des États-Unis Roosevelt et Taft
  • et le commandant du Titanic, Edward Smith

Ce soir-là, étaient également présents au restaurant :

  • Lady Lucile Duff Gordon, créatrice de mode britannique
  • Sir Cosmo Duff Gordon, son époux, artistocrate britannique
  • Walter Douglas, homme d'affaires américain
  • Mahala Douglas, son épouse (sa gouvernante, Berthe Leroy, était française et a transmis un riche témoignage aux historiens)
  • Henry Harris, producteur de théâtre américain
  • Renée Harris, son épouse (future première femme productrice de théâtre après la mort de son mari lors du naufrage)
  • Jacques Futrelle, écrivain américain
  • Lily Futrelle, son épouse

Benjamin Guggenheim, magnat américain du cuivre, et Léontine Aubart, sa maîtresse française, danseuse de cabaret rencontrée à Montmartre, y ont aussi pris plusieurs de leurs repas au cours de la traversée. L'intégralité des convives ayant profité des lieux n'est pas connue avec précision, comme souvent avec tout ce qui concerne le Titanic. 

Au cours de son voyage inaugural (et funeste) une domestique, Élise Lurette (dame de compagnie d'Eugénie Spencer, riche passagère de première classe), se trouvait elle aussi à bord. Elle a la particularité d'être née à Hermonville, à dix kilomètres de Reims. Elle n'a probablement jamais croisé Maurice Debreucq, qui cravachait près de 15 heures par jour. Contrairement à lui, a survécu au naufrage. Sa vie a même inspiré un spectacle musical.

La nuit du naufrage

L'une des légendes et théories nées du naufrage du Titanic est que le racisme ambiant de l'équipage anglo-saxon se serait retourné contre l'équipe franco-italienne du restaurant À la Carte. Cette dernière aurait été parquée dans ses quartiers et n'aurait eu aucune chance de s'en sortir (il faut dire qu'il y a eu très peu de survivants en son sein). On raconte aussi souvent ça pour les gens de troisième classe bloqués sciemment derrière des grilles (et ce n'est pas vrai).

Franck Gavard-Perret n'y croit pas du tout. "Il y avait bien des gates, qu'on traduit par grilles en français." Qui, par ailleurs, étaient plutôt des portes classiques (si l'on excepte une grille dont on peut attester l'existence... près de la réserve de pommes de terre du navire). "On ne les fermait pas à double-tour. On considérait qu'en temps civilisé, personne n'allait les ouvrir. Pendant le naufrage, elles n'étaient donc absolument pas insurmontables. Et il était faisable d'atteindre les canots en utilisant les escaliers de service, par exemple." Encore fallait-il les trouver : c'est plutôt le fait qu'il n'y avait pas eu d'exercices d'évacuation et que personne ne savait vraiment où aller qui a fait beaucoup de victimes.

Concernant l'équipe du restaurant, "tout part du témoignage de Paul Maugé lors de la commission d'enquête qui a suivi le naufrage. Lorsqu'il a senti l'agitation due à la collision avec l'iceberg, lui et son équipe ne dormaient pas encore. Ils devaient être encore en tenue. Lui et Rousseau leur ont dit qu'ils montaient se renseigner et qu'ils reviendraient les chercher. Quand le passage leur a été bloqué par des stewards, en anglais, ils ont dû se faire comprendre. Maugé a dit qu'il travaillait pour le chef, chief en anglais. Les stewards ont dû se demander de qui il s'agissait : Ismay, le président de la compagnie ? Le commandant Smith ? Il parlait sûrement de Gatti. Toujours est-il qu'ils ont pu passer, d'autant qu'ils étaient habillés en civil."

"Maugé a déclaré que c'était la dernière fois qu'il avait vu son équipe. Quand il a voulu redescendre un peu plus tard, c'était un tel capharnaüm... On ne sait pas s'il n'a pas voulu, ou pas pu redescendre. Il est parti dans le canot numéro treize : pas très vite, mais pas très tard non plus." Pierre Rousseau n'a pas voulu monter dans le canot, affirmant qu'il était "trop gros", et n'a pas survécu. "Comme Maugé est parti, il n'a pas pu voir ses gars monter sur le pont. Et il a donc déclaré : c'est ici qu'ils sont morts."

Sauf que la lecture "des témoignages des derniers survivants qui ont quitté le Titanic, elle nous apprend qu'une foule d'hommes d'équipage est montée sur le pont des embarcations tout à la fin. Il y avait certainement le personnel du restaurant À la Carte dedans. Et on a identifié pas mal de corps de ce personnel." Autre élément important : leurs quartiers n'étaient pas bien loin des escaliers montant en ligne relativement droite jusqu'aux canots (même s'il n'y en avait alors plus). 

Il y avait certainement le personnel du restaurant À la Carte sur le pont, tout à la fin. Et on a identifié pas mal de leurs corps.

Franck Gavard-Perret, historien du Titanic, membre de l'Association française du Titanic, et co-auteur des "Français du Titanic"

"S'ils avaient vraiment été prisonniers des entrailles du navire, il y a de fortes chances qu'on n'aurait jamais retrouvé le corps de l'un d'eux. En plus, les autopsies mentionnent qu'ils sont morts d'hypothermie, et ils avaient leurs gilets de sauvetage. Je pense qu'ils ont été capables de trouver leur chemin, et en plus, ils parlaient anglais [pour éventuellement demander leur chemin, contrairement à beaucoup de gens en troisième classe; ndlr]. Pour autant, ce n'était pas une légende que l'équipe du restaurant n'était pas appréciée du reste de l'équipage : c'était des Latins catholiques, peu appréciés des Anglo-Saxons protestants, et leurs salaires étaient plus élevés que les autres. Ça pouvait susciter de l'animosité..." 

Parmi les dépouilles retrouvées : celle de Maurice Debreucq. C'est le 244e corps à avoir été découvert sur un peu plus de 300 (pour 1 500 victimes) et il avait un gilet de sauvetage. Sa fiche nous apprend qu'il semblait avoir 23 ans (il faisait plus que son jeune âge, même sur sa photographie), portait son uniforme noir de garçon de salle et ses bottes. Il avait sur lui sa montre en or, son portefeuilles avec une chaîne, et une livre sterling, quatre shillings, et six dollars. Les dollars venaient probablement des pourboires de la soirée, ou alors le serveur a emporté tous les pourboires obenus pendant sa traversée avant d'abandonner son dortoir. Il faut savoir qu'une bouteille de Veuve Clicquot millésime 1900 était vendue à 3,5 dollars. Une somme considérable pour un modeste serveur, donc.

Après le drame

Son nom a été mal recopié lorsque le jeune homme a été trouvé : la fiche mentionne un Maurice Emil Debreneq. Sa dépouille n'a pas été rapatriée (ça aurait coûté une fortune), et elle a été inhumée dans le cimetière catholique Mount Olivet d'Halifax, au Canada, d'où sont partis les navires-câbliers chargés de récupérer les corps en mer. On peut toujours y observer sa tombe (avec le bon nom).

De nos jours, il ne reste pas grand-chose du restaurant À la Carte. Les lieux se trouvaient à l'arrière du navire, derrière la quatrième cheminée. Lors de la phase finale du naufrage, la cassure en deux parties du navire a fragilisé la structure (l'explosion du fumoir de première classe, dans le film de James Cameron, en donne un bref aperçu).

Puis, au cours de sa chute vers le fond de l'océan, la partie arrière a littéralement implosé à cause de tout l'air qui était resté emprisonné à l'intérieur (ce que montre une modélisation vidéo du National Geographic) puis s'est disloquée. De nombreux vestiges du restaurant, métalliques notamment, jonchent donc les environs de l'épave (comme la porte de son coffre-fort de la marque Thomas Perry & Sons).

Ces artefacts arrachés à une Belle époque révolue attendent, qui sait, d'être un jour récupérés et exposés dans des musées. Si vous désirez les voir, une exposition itinérante de vestiges du Titanic (mais pas forcément de son restaurant À la Carte) se tient actuellement jusqu'à la fin du moi de mai 2024 à Bruxelles (Belgique). Et si le sujet vous intéresse, outre tous les sites Internet et livres cités dans cet article, sachez que les articles du portail du Titanic sur Wikipédia proposent un contenu particulièrement complet et sourcé : des membres de l'AFT y ont largement contribué.  

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information