Une douzaine de personnes demandeurs d'asile, originaires d'Albanie, dorment sous des tentes de fortune, installées dans un parc public à Reims. Elles sont menacées d'expulsion, un huissier est venu constater leur installation, mercredi 10 mars. Une mise à l'abri est prévue ce jeudi.
Le campement précaire est installé sous des tentes de fortune, à quelques mètres de l'arrêt de tram Saint-John-Perse. Près de l'université de Reims. Des tentes et cinq poussettes, avec au centre, une palette en bois, un baril d'huile usagé pour faire du feu et se réchauffer. 14 personnes en tout, dont la moitié sont des enfants. Des femmes et des hommes originaires d'Albanie, qui ne parlent pas français. Parmi elles, un bébé âgé d'un an, qui a été hospitalisé pour de la fièvre, un autre enfant souffre d'hépatite B. Ils vivent ici comme ils peuvent. Les nuits sont froides. Ce mercredi 10 mars, ils ont reçu la visite d'un huissier, missionné par la Ville de Reims pour constater l'occupation du terrain, qui appartient à la Ville.
Le collectif Sövkipeu leur apporte l'aide minimum pour vivre. Les douches sont irrégulières, c'est peu dire. D'autres associations comme le foyer Ozanam ou l'Armée du salut, le Secours catholique, les aident également au quotidien. Fabien Tarrit, porte-parole du collectif Sövkipeu, précise que "le juge doit décréter une ordonnance d’expulsion et enverra la police sur place". "C’est toujours le même problème qui se reproduit, on peut avoir espoir que le démantèlement de ce camp donne lieu à des hébergements. Mais certains peuvent être expulsés". Un bébé de cinq mois a été transporté à l’hôpital mardi 9 mars, plusieurs enfants en primaires et secondaires ne sont pas scolarisés. "On pensait les aider à être scolarisé, mais on hésite", confie l'associatif, car l'expulsion pourrait avoir lieu sous peu.
Mise à l'abri prévue
En effet, la préfecture de la Marne est en passe d'agir. Sur les 14 personnes sur place, se trouvent deux familles, et des hommes isolés, la situation est connue des services de l'Etat. "La famille sera mise à l’abri ce jeudi 11 mars, nous confirme le cabinet du préfet. Ce sont des personnes en fin de procédure, déboutées du droit d’asile. Le préfet de Moselle leur a notifié de quitter le territoire, ils sont arrivés à Reims. On agira entre humanité et fermeté. Ces personnes vont rester à l’hôtel mais pas sur Reims, on regarde les possibilités d’hébergements. Elles sont arrivées en 2019 en France, elles ont fait une demande d’asile rejetée, et elles étaient hébergés en centre d’accueil. Le groupe est parti de Moselle le 24 février dernier pour venir à Reims. On prend en compte la spécificité de la famille, il y a cinq enfants en bas âge et une grand-mère".
Une situation connue mais qui se banalise. Le collectif Sövkipeu avait rédigé un texte en décembre 2020, lors de la dernière expulsion à Reims. "L’histoire se répète inlassablement. (...)Depuis le début de l’été 2020, des personnes s’étaient réfugiées à Reims, comme des abris de fortune, tant l’État se moque de l’obligation qui lui est faite d’un hébergement inconditionnel pour les personnes en situation de détresse".
"L'histoire se répète"
Fabien Tarrit évoquait récemment une situation dramatique. "La plupart des personnes ont été dispersées dans des hôtels, à Reims et dans son agglomération de Reims mais aussi à Châlons. Peut-être la crainte que le froid reproduise le drame de Djemla, décédée voici à peine deux ans sur un camp près de la rue Henri Paris. Six ont été conduits au commissariat, dont 5 ont été envoyés au centre de rétention administrative à Metz en vue d’une expulsion. Cette évacuation se déroulait une dizaine de jours après la révoltante agression faite contre les exilés de la place de la République, comme un écho, moins spectaculaire mais tout aussi traumatisant pour les victimes".
"Des destins qui s’échouent contre le mur de l’intolérance construit depuis si longtemps par des pouvoirs qui croient certainement que certaines vies humaines valent moins que d’autres. Une histoire qui se répète, parc Saint-John Perse, rue Henri Paris, rue de Cernay, boulevard Wilson, allée César Franck, et tant d’autres lieux où des exilés ont cherché à trouver un refuge que l’État leur refusait. Avoir fui le danger qui les guettait dans leur pays n’a pas suffi à ce que leur soit accordée la protection, tant les conditions d’accueil se sont durcies ces dernières années, sur fond de racisme institutionnel."
Entre deux séances à l'Assemblée Nationale, la députée Aina Kuric (Agir ensemble) évoque cette situation qu'elle connaît bien pour la dénoncer régulièrement. Mais selon elle, il manque une volonté politique au plus haut niveau de l'Etat sur ce dossier. "Ça fait longtemps que je vois ce genre de situation, souffle-t-elle. On se sent démuni. En septembre 2020, le ministère de l'Intérieur avait annoncé la création de places en centre d’accueil et d’examen de situation. Une vraie réponse pour les primo-arrivants qui ne savent pas quelle est la bonne porte d’entrée. Pour les personnes d’Europe de l’Est en particulier. Mais il n’y a pas suffisamment de places. Et on ne les utilise pas assez. Du coup, on se retrouve avec ce genre de situation". Un sentiment d'impuissance généralisé. Pour la députée, "on marginalise ces personnes. On va les mettre en gymnase, mais ce n’est pas une réponse".
On a besoin de rénover la politique migratoire. En attendant, on accepte ce statu quo. Dans des situations indignes. La France a été pointée du doigt par la CEDH. A juste titre.
Elle porte ce dossier à l’Assemblée, elle propose des amendements. Ils n’ont jamais été acceptés. "On n’arrive pas à réformer cette politique. Il y a pourtant des choses qui fonctionnent quand Etat et collectivité marchent ensemble, dans le Sud-Ouest par exemple, à Bayonne, certaine actions fonctionnent. Ils se sont organisés pour traiter humainement cette situation. C’est un sujet que j’ai abordé, dont j’ai fait part aux acteurs du territoire et au ministère. Il faut une volonté politique. Que veut on porter comme combat ?"
L'arbre qui cache la forêt
Du côté de la Ville de Reims, l'adjoint en charge de la sécurité, Xavier Albertini pointe, lui, un trafic de professionnels organisés. Il confirme avoir envoyé un huissier au nom de la Ville, pour constater la présence d’une famille sur le parc saint John Perse, "occupant sans droit ce lieu dans une situation pas acceptable". Pour pouvoir faire en sorte que les services de l’Etat interviennent. "C'est un problème de fond, là on est sur la dimension visuelle d’une situation complexe". Autrement dit, cette famille installée sous tentes, c'est l'abre qui cache la forêt.
Selon l'élu local, une filière "exploite cette population qui se dit 'soumise à des discriminations économiques ou de guerre'. Reims se trouve à un noeud autoroutier entre nord et sud. On essaye de faire au mieux, mais il faut traiter en amont et en aval. Il y a là une vraie compétence de l’Etat. La dimension du traitement des dossiers n’est pas notre compétence. Mais des filières savent comment ça se passe. Il y a bien quelqu’un qui les envoie ici. Ils savent qu’on va s’occuper d’eux. On procède avec l’humanité nécessaire. Mais on ne peut pas ne rien faire. On a connu une accumulation de tentes. Pas d’hygiène. Pas de douche. Ces filières font payer pour venir des gens qui rêvent d’une vie meilleure. Avec l’Angleterre en ligne de mire. C'est une exploitation humaine, et on est sur le chemin de cette exploitation. Je ne reproche pas à l’Etat de ne pas faire son travail. Il faudrait trouver comment faire cesser les trafics à la source. Venir en France pour terminer ici, sous une tente, ce n’est pas ce dont ces gens rêvaient".
Un espoir susbiste. "On a le mince espoir que les lignes bougent un peu, précise le collectif. Que l’information remonte et avec une pression populaire. Si ça peut faire bouger les choses..." Si la députée Aïna Kuric s'est dite choquée par la situation, elle avoue aussi son impuissance. Le fait que l’huissier passe au bout de quatre jours, c'est nouveau, plus rapide qu’avant, ajoute le collectif. Ce jeudi 11 mars au soir, une partie des 14 personnes dormira à l'abri, les autres pourraient être expulsées du territoire.