Reims : un dispositif unique dans la Marne aide les enfants témoins de violences intra-familiales

Reconnaître les enfants exposés aux violences conjugales, comme victimes, c'est le but du dispositif, le Pélican, créé à Reims. Ce groupe de paroles permet aux enfants de se confier et de livrer les violences intra-familiales auxquelles ils ont été exposés de manière directe ou indirecte.
 

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Un pélican trône au milieu de la salle située dans les locaux de la Maison de la famille de la ville de Reims. C'est dans son bec, que l'enfant peut déposer des choses, gardées en "sécurité". Durant les séances, les enfants peuvent écrire ou dessiner leur secret sur une feuille ou un petit bout de papier pour ensuite le confier à ce grand volatile garant de sa confidentialité. Né il y a deux ans, à l'initiative de l'association Foyer le Renouveau, en partenariat avec l'association Paroles de Parents, et avec l'appui de la Maison de la famille de la Ville de Reims, le projet, "le Pélican" est un groupe de paroles spécifique pour les enfants victimes de violences directes ou indirectes au sein de leur famille.

"Aujourd’hui, il existe un soutien du parent violenté (par des associations comme le CIDFF) ainsi que pour le parent auteur (Le Mars)  et des unités médicales pour les enfants ayant subi des violences physiques, mais rien pour des enfants témoins de violences dans la cellule familiale", constate Sophie Plouchart, Chargée de développement au sein de l'association Foyer Le Renouveau, situé dans le quartier Croix-Rouge à Reims. A cela s'ajoute un sous-effectif des professionnels de la santé, notamment dans les domaines de la prise en charge psychiatrique et psychologique. Les listes d’attente et délais restent trop importants pour bénéficier d’un accompagnement rapide.
 
Dans ce contexte de progression constante des violences au sein de la cellule familiale affectant des enfants, l’association Foyer Le Renouveau a fait le constat d’un vide dans la prise en compte, l’accompagnement et l’écoute des enfants exposés, dans la Marne. "Les professionnels, acteurs de terrains et institutionnels rencontrés ont confirmé cet état des lieux et évoqué des besoins important en la matière. Ils ont également fait part d’un fort intérêt pour notre idée" se réjouit Sophie Plouchart.

C’est ainsi que l’association Foyer Le Renouveau a fait le choix de porter le projet Pélican. Le conventionnement ARS Grand Est et la Direction Régionale du Droit des Femmes et de l’Egalité Grand Est, pour accompagner les femmes victimes de violences conjugales et les enfants co-victimes dans leur parcours, a permis de porter le projet pélican. Virginie Guérin, Déléguée Départementale aux Droits des Femmes et à l’Egalité de la Marne a évoqué notre "pélican" lors du Tour de France de l’Egalité en 2017 rappelle Sophie Plouchart.
 

Pourquoi le pélican?

" La symbolique du pélican, c'est aussi s'élever, prendre de la distance avec les faits et les événements vécus" explique Sophie Plouchart.  Pourquoi le pélican, enchaîne-t-elle, parce que cet oiseau est doté d'une poche sous son bec qui lui sert de réceptacle, à la fois pour capturer sa nourriture et nourrir ses petits. Ce pélican, les enfants de Mélanie le connaissent très bien.

Mélanie reprend confiance en elle, car elle s'aperçoit que son fils de 9 ans est plus calme. Cette maman de 29 ans a franchi la porte de l'association Paroles de Parents, située à Reims, en décembre 2018. Elle rencontre des professionnels bienveillants auprès de qui elle ose enfin se confier. En l'écoutant, Marie-Françoise Heidsieck, présidente de l'association, lui demande comment vont ses enfants. Mélanie parle beaucoup de son fils qui semble incapable de nouer des relations avec d'autres enfants à l'école et qui ne s'exprime que par la violence. C'est d'ailleurs par l'intervention de l'école qu'elle se retrouve assise, parmi ce groupe de paroles, et qu'elle se confie à Marie-Françoise.
 



" Mon fils rencontrait des troubles du comportement à l'école avec des excès de colère et de violence envers d'autres enfants" confie Mélanie. "J'ai mis du temps à comprendre, que ce qui s'était passé à la maison, avait des répercussions sur lui" reconnaît-elle. Son fils, alors âgé de 7 ans est pris en charge par plusieurs équipes éducatives à l'école pour comprendre ce qu'il se passe. Dans cette équipe une assistante sociale rencontre Mélanie avec qui se crée un contact. 

La maman parle pour la première fois et avoue qu'elle a vécu pendant des années sous les coups de son conjoint. Cela fait un an et demi qu'ils sont séparés et jusqu'à ce jour personne n'était au courant du quotidien de cette famille. Depuis l'âge de 3 ans, son enfant avait un comportement agité à l'école. A cette époque, Mélanie vivait encore avec le conjoint violent. Pour sa petite fille de un an et son garçon, elle se terrait dans le silence. Niant les faits, elle n'a jamais refusé l'aide de l'école allant jusqu'à faire suivre son garçon par un pédo-psychiatre.
 

​​​​​​ Mon garçon était muet, mais en même temps, j'en étais responsable, car je lui demandais de ne rien dire. 

Mélanie, mère de famille, qui n'avait toujours pas quitté son conjoint.



Cette fois, c'est différent car elle n'est plus avec lui et écoute attentivement les conseils de l'assistante sociale qui lui recommande de se rendre à l'association Paroles de Parents. Marie-Françoise Heidsieck, la présidente de l'association et médecin généraliste l'accueille, l'écoute et lui dit " Il faut que vos enfants rejoignent le groupe de paroles dédiés aux enfants, le Pélican". Le parent est accueilli lors de deux rencontres individuelles. Une pour la présentation de la démarche Pélican et une à la fin des séances pour envisager les suites à donner pour l'accompagnement de l'enfant.

" Il n'est jamais trop tard pour prendre en charge un enfant" rassure Marie-Françoise.
 

"Un enfant, c'est l'adulte de demain"

Les enfants exposés aux violences conjugales dans leur foyer subissent une forme de mauvais traitement psychologique quotidien et intériorisent cette violence. Ils se construisent en référence au modèle adulte, familial, acteur ou victime de violences, explique Sophie Plouchart.

Le plus souvent, les enfants témoins n’osent pas parler : loyauté vis-à-vis des parents, acteur ou victime, et ont peur pour le parent violenté. Ils intériorisent tout et les résonnances sont importantes. Cela peut se raduire par des problèmes de santé, de développement, d’apprentissage, mutisme, difficultés scolaires et de comportement violent .
 
Pour ces enfants, la violence est intégrée comme un modèle relationnel banal relate Marie-Françoise Heidsieck qui prend en charge le groupe de parole. " Le but de ce groupe de paroles, c'est qu'ils reprennent confiance en eux". Un enfant, c'est l'adulte de demain, rappelle Marie-Françoise Heidsieck.
Si on ne fait rien , il y a alors une probabilité plus importante que ces enfants soient exposés à la violence à l’âge adulte, en tant qu’acteur ou victime alerte cette spécialiste alerte-t-elle. Souvent ces enfants présentent des troubles du comportement à l'école ou sont en décrochage scolaire constate cette professionnelle.

Le but de ce dispositif, le pélican,est de leur donner des pistes, des clés pour s'exprimer, car la parole peut libérer d'un lourd fardeau bien trop lourd à porter surtout pour un enfant. Mélanie s'inquiète davantage pour son fils. Au moment de la séparation, ma fille avait à peine deux ans, l'image de son père n'est pas aussi présente que pour mon garçon qui avait cinq ans relate-t-elle. Pour autant, le suivi de la petite soeur est aussi important que pour son frère prévient Marie-Françoise. Il s'agit aussi de la construction de l'image de la famille qu'il faut travailler rajoute-t-elle.

Mélanie a franchi la porte avec ses enfants de la maison familiale à Reims en juin dernier. Les séances étaient prévues à partir de février, mais compte tenu de la situation sanitaire, elles ont été reportées après le déconfinement. 
 

Le groupe de juin était très uni car les familles sortaient du déconfinement et un lien très fort entre eux s'est formé

Anne-Sophie Rollin, référente de la Maison de la Famille de la Ville de Reims.



Anne-Sophie Rollin prend en charge les mamans quand elles viennent confier leur enfant au groupe de paroles, le pélican. Certaines mamans partent d'autres restent. Chacune est libre de faire ce qu'elle souhaite. Ce temps d'accueil a été proposé, car ce n'est jamais facile de laisser son enfant, en sachant que des sujets douloureux seront abordés ajoute Anne-Sophie Rollin qui précise qu'elle n'est pas du tout psycholgue, mais propose des thèmes autour de la parentalité.

Mais d'autres ateliers peuvent se mettre en place, comme celui d'un petit potager de plantes aromatiques en Juin dernier. " Cette idée est venue d'une maman, qui vit en appartement, et qui a constaté ce jour-là, qu'avec un si joli temps, jardiner lui plairait" se souvient Anne-Sophie. Alors spontanément le groupe a décidé de faire un petit potager juste derrière la Maison de la Famille. L’objectif est d’accueillir le parent et lui permettre de se sentir à sa place dans ce lieu, mais également de favoriser un échange et un soutien entre d'autres parents .

Mélanie a participé à ce potager et admet que ce temps d'échange avec d'autres mamans lui ont fait beaucoup de bien. Il est essentiel de s’adresser aux deux parents pour envisager l’intégration de l’enfant au Groupe Pélican. "Nous prévenons le parent auteur des faits que son ou ses enfants intègrent le dispositif pélican, mais nous ne l'autorisons pas à être présents, car cela serait trop complexe à gérer" avertit Marie-Françoise.

Déculpabilser l'enfant 

Pour ces professionnels,  il faut prendre en compte l’ensemble du contexte familial pour assurer une participation continue de l’enfant au groupe. En effet, dans un contexte de violences conjugales, l'enfant adopte des conduites non appropriées à son âge et à son niveau de développement. Il devient parfois le protecteur, le confident d'un de ses parents. Ce n'est pas sa place précise Marie-Françoise Heidsieck.

"Il se sent responsable dans les conflits entre ses parents et le rôle qu'il peut jouer dans leur apparition ou leur résolution. L'enfant peut être pris dans un conflit de loyauté. Il est prisonnier entre ses deux parents et pense qu'il peut perdre l'amour de l'un s'il manifeste sa loyauté envers l'autre" rajoute Marie-Françoise Heidsieck. Nous lui expliquons qu'il a le droit d'aimer ses deux parents et que lui est un enfant et qu'il n'est pas responsable de cette violence.

Il est donc essentiel de s’adresser aux deux parents pour envisager l’intégration de l’enfant au Groupe Pélican. Durant cette attente, entourée de Anne-Sophie et d'autres mamans, n'était pas inquiète, mais au contraire rassurée que ses enfants puissent se confier. C'était toujours difficile d'aborder certains sujets avec eux, surtout avec mon fils qui coupait court aux discussions confie-t-elle.

" J'ai toute de suite constaté un changement. Ils sont revenus contents d'avoir écouté d'autres enfants qui avaient vécu des soucis à la maison"déclare Mélanie. Pour les enfants, ce n'est pas facile de se confier rappelle Marie-Françoise. Dans ce lieu, tout est fait pour rappeler à l'enfant que c'est un enfant. Qu'il a le droit de jouer, de parler et de se confier ajoute Sophie Plouchart.

Le groupe est constitué de 4 à 7 enfants maximum, âgés de 3 à 10 ans. L'interaction marche très bien dans le groupe. Il y a des fratries et parfois, quand l'ainé(e) parle, le cadet ose aussi parler constate Sophie Plouchart.
Marie-Françoise Heindisck précise que les enfants sont suivis après qu'ils étaient éloignés des faits et de la situation de violence conjugale. Il est important que ces enfants soient reconnus aussi comme victimes, car c'est important pour qu'il puisse avancer sans culpabiliser parce que maman et papa sont séparés souligne cette spécialiste de santé.

Ces séances durent une heure durant 7 semaines. Durant ces séances, les enfants repartent avec des réponses à des questions bien de l'insouciance de l'enfance. " Est-ce qu'on a le droit de lever la main sur moi? Si on le fait, que dois-je faire? Quels sont les numéros d'urgence? Est-ce que j'ai le droit d'aimer mon papa, quand même quand il me fait du mal ? Ou quand il tape ma maman?

Ce groupe de paroles dédié aux enfants sert avant tout à débuter un accompagnement.  Ces enfants sont suivis ensuite par un accompagnement individuel, souvent dans le cadre de l'association Paroles de parents. Les enfants ont appris à connaître certains professionnels dont Marie-Françoise, avec qui la confiance est installée. Pour d'autres enfants, une orientation vers un centre médico pédopsychatrique pourra être conseillé.

Certains enfants, souvent des garçons, expriment une telle violence qu'il est fortement conseillé de les suivre dans des centres spécifiques, recommande Marie-Françoise. Il faut rester vigilent, car même si aucune étude ne montre qu'un enfant victime de violence sera lui-même violent, un accompagnement permettra toujours de lui donner des pistes. Parmi les enfans violentés, certains auront une force intérieure qui leur permettra de trouver des solutions tout seul admet Marie-Françoise. Souvent, la rencontre avec un adulte qui les estimera permet ce processus rassure Marie-Françoise.


Ce lieu avec ce groupe de paroles permet aux enfants de rencontrer des adultes attentifs et protecteurs qui sont là pour les aider à se construire et à se valoriser. Ce lieu est le seul dans la Marne s'inquiète Marie-Françoise et elle souhaiterait davantage de moyens financiers pour pouvoir accueillir plus d'enfants, et même d'autres lieux d'échange. " Je suis bénévole comme beaucoup d'entre nous sur ce projet et je ne serais pas toujours là" reconnait Marie-Françoise, cette practicienne à la retraite. Acuellement, elle travaille avec deux psychologues, deux assistantes sociales et deux infirmières.
 

Prise en charge

Cette professionnelle pense déjà aux lendemains et espère pouvoir recruter d'autres personnes mais elle voudrait qu'elles soient remunérées, car le bénévolat n'attire pas beaucoup de volontaires. Elle réfléchit à des pistes comme une prise en charge de ses séances par l'asurance maladie. Le médecin généraliste devrait être en droit de pouvoir orienter des enfants exposés aux violences intrafamiliales et ces séances pourraient être prise en charge à 100 % comme un soin pour un enfant suggère-t-elle.

D'autant que maintenant la loi le permet. Définitivement adoptée le 21 juillet à l’unanimité par le Sénat, la loi sur la protection des victimes de violences conjugales, autorise par son article 8, la levée du secret médical pour les personnes en danger de mort. Cette mesure ouvre aux praticiens la possibilité d’alerter le procureur de la République s’ils estiment que la vie de leur patient ou patiente «sous emprise» est immédiatement menacée par le conjoint ou ex-conjoint violent.

Les enfants de Mélanie sont maintenant suivis individuellement par Marie-Françoise. La maman est toujours inquiète, car elle craint pour la sécurité de ses enfants. Aujourd'hui, le père a été condamné à une obligation de soins par rapport à son alcoolisme. "Mes enfants ont failli mourir ce jour- là, car leur papa conduisait en état d'ivresse". Depuis les enfants rencontrent leur père une fois par semaine dans un cadre bien précis, un centre social. Mais les enfants ont été de nouveau exposés aux violences de leur père sur sa nouvelle compagne.
 

Mélanie voit que son fils reste très méfiant vis à vis de son père et que sa fille ne dit trop rien. Le groupe de paroles a permis à ses enfants d'être apaisés. En tant que maman elle redoute le moment où la garde alternée pourra reprendre normalement. " La justice lui permet, s'il répond à ses obligations de soins, de les revoir régulièrement à savoir un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires". Mélanie est consciente qu'elle ne peut pas les priver de leur père, mais redoute les conséquences de cette garde alternéee sur ces enfants.

Le dispositif le Pélican espère pouvoir accueillir plus d'enfants et obtenir des aides financières supplémentaires pour garantir cet accompagnement gratuit aux enfants victimes de ces violences intrafamiliales. Une femme meurt, tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Un enfant meurt tous les cinq jours après avoir été victime de violences intrafamiliales. 143.000 enfants sont exposés aux violences conjugales, et 42 % ont moins de 6 ans.
 
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