A Reims, environ un quart des locataires de logement social ont plus de 60 ans. Un bouleversement qui force les bailleurs sociaux à adapter leurs logements à une population fragile physiquement et financièrement.
Dans l'encadrement de la porte d'entrée, Jacqueline Copin attend notre visite avec impatience. A deux pas de la gare Franchet-d'Esperey à Reims, la presque octogénaire s'improvise agent immobilier, fière de nous faire visiter son appartement.
Comme Jacqueline Copin, un tiers des habitants du parc social a plus de 60 ans en France, selon une étude de l'Insee de 2013. A Reims, le bailleur social Plurial Novilia estime que 25% de ses locataires appartient à cette tranche d'âge, et qu'ils pourraient passer à 37% à l'horizon 2028. Du côté de Reims Habitat, 23,3% des titulaires ont dépassé les 65 ans.Ce qui me plaît ici ? La clarté et l'environnement. Les pièces sont assez grandes et je connais bien le quartier. Dans mon ancien logement, je n'avais pas autant de soleil dans la pièce et c'était beaucoup plus petit.
- Jacqueline Copin, locataire d'un appartement adapté à Reims.
2 millions d'euros par an d'investissements
Un changement de pyramide des âges qui induit de nouvelles demandes de la part des locataires. Dans la salle de bain, Jacqueline Copin présente fièrement la douche flambant neuve, ainsi que les deux barres d'appui installées spécialement pour elle. "Je ne pouvais plus accéder à la baignoire, car j'ai mal aux jambes", raconte-t-elle simplement.
Après deux chutes, la septuagénaire a également demandé au bailleur social l'installation d'une barre d'appui dans les toilettes. Des demandes auxquelles les bailleurs sont désormais habitués, et qu'ils prennent à leur charge. Chaque année, Plurial Novilia enregistre entre 450 et 500 demandes d'adaptations de logements de la part de personnes âgées, soit 2 millions d'euros investis. Ou encore 5.747.000 euros pour Reims Habitat depuis 2004. Le tout sans que cela ne coûte un seul euro au locataire, dans le but de maintenir ce public âgé et autonome le plus longtemps possible à domicile.
"Ce sont des installations que nous faisons d'office pour nos locataires de plus de 75 ans, sans l'avis d'un ergothérapeute, explique Nathalie Deshayes, du service développement social urbain de Plurial Novilia. Ce sont des douches standard, grandes et avec un revêtement antidérapant pour éviter les chutes." D'ailleurs, ces aménagements ont conquis la famille de Jacqueline Copin. "Ils étaient contents car c'est un plain-pied et l'environnement est mieux que lorsque j'habitais rue Sainte Geneviève, au premier étage."
Des loyers attractifs
Avec moins de 14.400 euros de revenus annuels, Jacqueline Copin vit au-dessus du seuil de pauvreté, mais en-dessous du revenu médian des locataires du parc social (15.100 euros par an contre 17.900 euros pour les locataires du privé). De maigres revenus qui ne facilitent pas les recherches d'appartement, surtout dans une ville comme Reims, qui fait partie des trois villes où l'immobilier est le plus cher dans le Grand Est selon l'Insee. "J'arrive à m'en sortir, je ne dois rien à personne", assure Jacqueline dans un hochement de tête.
Depuis son arrivée à Reims en 1974, la Marnaise de 79 ans n'avait jamais déménagé, jusqu'à ce que son propriétaire entreprenne des travaux, dans l'objectif de revendre sa maison. Alors âgée de 71 ans, il est impossible pour la mère de trois enfants de la racheter, elle qui a vécu 37 ans rue Sainte Geneviève, près de l'église du même nom. "Les loyers, il me les augmentait chaque année, se souvient Jacqueline Copin. Au début, je payais 100 euros de loyer et cela augmentait…. A la fin, je payais pas loin des 400 euros. Mais pour moins grand que mon appartement actuel. Il y avait deux chambres dont une qui faisait plutôt office de cellier que de chambre à coucher."
Un logement privé plus petit, dans lequel la cuisine n'était pas assez grande pour y manger et surtout, un chauffage au fioul qui n'était plus adapté à la condition physique de Jacqueline, qui ne conduit plus et dont la famille n'est pas sur place pour l'aider. "Autant vous dire que je n'aurais jamais pu monter des jerricanes de fioul toute seule, souligne-t-elle. C'est aussi pour cela qu'il fallait que je parte de ce logement."
Au moment de chercher un nouvel appartement, Jacqueline ne parvient pas à trouver chaussure à son pied. Elle qui n'avait jamais songé à se loger en HLM a sauté le pas il y a huit ans, à l'âge de 71 ans. "Mes employeurs chez qui je faisais des ménages me disaient : 'Mets-toi en HLM, tu seras mieux.' Ce que j'ai fait." Aujourd'hui, elle paye 468 euros pour un peu moins de 70 m2 dans le même quartier, chauffage compris. Ne restent à sa charge que l'électricité, l'eau froide et le gaz.
Plus que ses employeurs, c'est sa famille qui se révèle conquise par la démarche. Ses deux fils habitant dans l'Aisne ou dans les Ardennes, ils n'étaient pas rassurés à l'idée de laisser leur mère au premier étage d'une maisonnette inadaptée. "Pour l'instant, on n'a jamais parlé de maison de retraite ou d'Ehpad. Mes enfants, ça les tranquillise de me savoir ici, surtout depuis que je ne conduis plus. Ils m'ont dit : 'Tu vas être bien ici.'"
Un parc vieillissant et un nouveau public
"A Reims, nos statistiques correspondent aux données nationales, abonde l'employée de Plurial Novilia. On aura de plus en plus de séniors, car on nos locataires vont vieillir." Et d'ajouter :
Mais nous avons aussi des locataires à l'image de madame Copin, qui vivaient dans une maison du parc privé et qui rentrent après 70 ans. Ces personnes arrivent dans le parc social car c'est plus facile d'accès, proche des enfants… ou alors, ce sont des personnes qui vivaient à la campagne qui veulent se rapprocher de la ville.
- Nathalie Deshayes, service développement social urbain de Plurial Novilia.
Aujourd'hui, 12% des demandes de logements adressées à Plurial Novilia sont formulées par des plus de 60 ans. "La semaine dernière, nous avons une personne de 81 ans qui est rentrée dans un logement alors qu'elle n'avait jamais été dans le parc social avant", poursuit Nathalie Deshayes. Une demande telle, que les bailleurs ont développé de nouveaux types de logements spécialement destinés aux personnes âgées.
Par exemple, Reims Habitat a mis au point des projets d'"Eco-habitat participatifs intergénérationnels". Le bailleur Plurial Novilia a regroupé sa gamme destinée au troisième âge au sein d'une offre baptisée "Senior +", allant d'appartements comme celui de Jacqueline Copin à des projets de résidences connectées, ou d'intégration de services à la personne pour les personnes plus dépendantes.
Pour l'heure, Jacqueline est bien décidée à demeurer dans son appartement. Les résidences connectées attendront. "Tant que je suis autonome, je reste."