Léa, Philippe et Thomàs ont écrit à six mains cet opus en hommage aux enfants, aux femmes et aux hommes croisés sur les camps de réfugiés de Reims (Marne). Poésies, textes, aquarelles, les talents de chacun s'unissent pour un hommage vibrant d'émotions à ceux qui dorment, toujours, sous les tentes.
"Je suis un réfugié. J'ai fui une misère plus noire que la plus profonde de vos détresses saisonnières. Les politiques et les médias, et sans doute par contamination, les bénévoles s'obstinent à dire de moi que je suis un "migrant". Je déteste cette étiquette. Comme toutes les étiquettes verbales, ce terme me réduit, m'abolit, me détruit."
Je suis un réfugié est l'un des textes écrit par les co-auteurs de ce livret. Des mots, lus par Thomàs lors de la présentation du livre, à la librairie La Belle Image à Reims (Marne). Des mots, écrits par Philippe, bénévole, en résonance à ces vies, à ces êtres humains croisés depuis l'installation du tout premier camp à Reims fin 2016.
Thomàs fait partie de ces réfugiés débarqués à Reims. Il a fui un pays violent. Un pays où il ne fait pas bon exprimer une idée contraire à ceIle de l'État souverain. Thomàs est étudiant en troisième année de littérature anglaise. "J'ai perdu ma bourse d'études et pour la récupérer, il fallait que je prenne ma carte au parti politique au pouvoir. J'étais fiché pour avoir manifesté avec d'autres étudiants contre le gouvernement en place. Certains d'entre nous ont été arrêtés et emprisonnés." Thomàs a pris la décision de partir après une énième dispersion des manifestants par la police, dans la violence. Fiché et fichu. Impossible de continuer à étudier. Impossible de trouver un travail. "Je n'avais plus aucun avenir en Angola."
Les études à tout prix
En 2019, Thomàs arrive en France, à Reims. Il ne parle pas un mot de français. "Devant la gare, les bénévoles de la Croix Rouge nous offraient des cafés. Pendant un mois, j'ai dormi dans la rue. Puis les bénévoles m'ont fait rencontrer Géraldine qui m'a emmené vers un premier squat." Le jeune garçon connaîtra l'instabilité des camps de réfugiés pendant des semaines. Après celui de l'écluse, il se réfugie avec d'autres familles, rue de Cernay. Au démantèlement de ce dernier, il est logé à Charleville-Mézières (Ardennes).
Ils m'ont servi de base. C'est comme s'ils représentaient l'Etat français.
Thomàs, co-auteur du livre "Sur le fil de l'exil"
Il étudie alors, plus assidûment, le français pour avoir le niveau suffisant pour entrer à l'université. C'est son moteur, comme le sont les bénévoles, Philippe, Léa, Fabien, Dominique. Ils ne le lâcheront pas. "Pendant cinq mois, j'ai pris des cours en ligne avec le Cned, ça m'a beaucoup aidé. J'étais entouré, les bénévoles venaient me voir. Ils m'ont servi de base. C'est comme s'ils représentaient l'État français. Ils étaient là tout le temps, ils m'ont aidé à monter mon dossier pour l'administration, et à m'inscrire à la fac. C'est très fort ce qu'il y a entre nous."
Thomàs entre à l'université de Reims en 2021 pour étudier la philosophie. Il débute alors une nouvelle vie entre souvenirs douloureux et bons moments. "Le projet d'écriture, à la base, on ne se disait pas que l'on allait faire un livre, reprend encore Thomàs. J'écrivais et Philippe écrivait aussi de son côté, puis on se donnait rendez-vous, Philippe me corrigeait. Ce n'était pas simple. Je me libérais à moitié seulement, dans ma langue, le portugais. Philippe m'a permis de trouver les bons mots en français pour exprimer les émotions que je ressentais." Et puis, il y a les textes qui restent dans un tiroir. Ceux qu'il faut écrire pour se libérer soi-même mais qui, aujourd'hui, encore sont impossibles à partager. Un jardin secret encore douloureux.
Des gens bien
Ce soir-là, à La Belle Image, Léa, Philippe et Thomàs présentent leur livre, le porte-parole de leur combat et de leur engagement. Ils disent leurs textes et chantent aussi, car de ces rencontres avec les réfugiés, un groupe, Les Vagabonds, est aussi né.
Ils espèrent que ces mots, leur puissance, ces notes de musique accompagnant la voix de Léa, trouveront échos au-delà de la librairie de la rue Chanzy. Car "chacune de ces aquarelles, chacun de ces textes et chacune de ces photos correspondent à des rencontres partagées, à des instants précis, disent les auteurs dans la préface. Ces réalisations n'avaient pas vocations à être publiées. Elles ne visent pas uniquement à sublimer un sujet par nature douloureux ou révoltant, ni à souligner des évidences géopolitiques, sociologiques. Elles donnent à voir et à penser."
"Au départ, nos textes, les photos et les aquarelles de Léa étaient placardés au milieu des tracts militants. Puis nous avons fait plusieurs expositions, à l'université, au Temps des Cerises à Reims, explique Philippe Cuisset, un des auteurs. L'idée d'un livre est venue plus tard. C'était avant tout un engagement, un acte militant."
Djamila, je te prie de bien vouloir nous pardonner.
Philippe Cuisset, co-auteur du livre"Sur le fil de l'exil"
Un instant, un regard, un sourire, des moments heureux ou douloureux : tout est précis dans leurs récits et s'attache à la vie de ceux qu'ils ont côtoyés, quelques heures, quelques jours, quelques mois parfois. "Une photo d'une mère et de son fils, de dos, m'a inspiré un texte, Traversée, explique Philippe. Je me suis demandé ce qui se passait dans leurs têtes lorsqu'ils traversaient ce camp [celui de la rue Henri Paris; ndlr] pour aller manger, en face, à l'Armée du Salut".
Philippe écrit alors : "[...] Z… et son fils marchent d'un pas égal. Dans un court instant, il va falloir traverser la rue Henri Paris. Le fils a faim et sa mère le sait. Il ne dit pas. J'ai faim. Il est sensible. Il sait que sa mère est vaguement triste". Aya, cette petite fille syrienne, très attachée à Léa, "avait toujours le sourire, elle était radieuse, reprend encore Philippe. Je me souviens d'elle sautant à la corde sur la toute petite terrasse de l'hôtel où, elle et sa famille, ont ensuite été logées". Les traits d'Aya, Léa les a tracés et colorés… Elle reste ainsi gravée dans les mémoires de ceux qui l'ont connue.
Si Thomàs a libéré ses émotions, Philippe, lui, a davantage donné une existence à ceux qu'il voyait. "Ils méritent ça : la poésie, des textes engagés, que leurs visages se montrent. Nous voulions tous les trois dire que ces gens sont comme les autres. Corriger l'image négative donnée par ailleurs. Ce ne sont pas des gens menaçants, mais des gens biens."
L'hommage à Djamila
Un moment hante toujours l'esprit de tous les bénévoles du camp de la rue Henri Paris. Léa l'a dessiné. Djamila, cette vieille dame si fragile, arrivée, là, malade. Dans le texte Les derniers feux, Philippe raconte. "J'appuie sur le déclencheur. Je range aussitôt l'appareil dans son étui avant d'esquisser en manière d'excuse un vague sourire à l'adresse de cette dame." Quelques jours plus tard, Djamila, 80 ans, est morte sous la tente.
"Il fallait exorciser ce moment douloureux. Ce fut quelque chose de difficile à libérer", explique Philippe. Léa a transformé la photo en aquarelle et, lui a écrit sa douleur et sa colère. "Elle va mourir, écrit-il. Djamila va mourir quelques jours après cet instantané. Nous le devinions. Nous le craignions. L'indignation et la colère prendront la forme des flammes fragiles des bougies lançant des lueurs orangées sur l'épaisseur des murs immuables d'une sous-préfecture plus impassible qu'un Titan satisfait et repu. […] Pour ceux qui ont oublié et oublieront toujours de le faire, Djamila, je te prie de bien vouloir nous pardonner."
Son fichu sur la tête, auprès du baril en ferraille où le feu crépitait, Djamila les regarde. Ils ne l'oublieront pas. Djamila, comme des dizaines d'autres. Avenue du général Eisenhower, parc Saint-John Perse, l'écluse, la rue de Cernay, la rue Henri Paris, allée César Franck, Boulevard Barthoux, Chaussée Bocquaine et à nouveau le parc Saint-John Perse. Les réfugiés se succèdent toujours à Reims.
"Ici, c'est la mort"
Régina, Amelja, Sajmina, Shpresa, Erjon dorment sous la tente depuis trois mois. A leurs côtés Ibrahim, sa maman Tifi, Hussein et Gabriella. Expulsés du parc Saint-John Perse, quelques jours auparavant, ils y sont revenus après 48 heures à l'hôtel… qu'on leur a demandé de quitter aussi.
"Les gens disent que l'on vient par intérêt", explique Tifi. Les larmes coulent sur ses joues lorsqu'elle montre les tentes où elle vit avec ses enfants. "Pourquoi laisser mon pays, pourquoi ?" Elle appelle Ibrahim, son fils, pour qu'il l'aide à retranscrire ses mots. Ce jeune garçon, fan de foot, arrive balle au pied, et sourire aux lèvres. Il devient alors la voix de sa maman.
Les mots sont encore plus durs, prononcé par cet enfant d'une douzaine d'années. "J'ai fui mon pays car j'étais victime de violences conjugales. Les policiers savent, ont vu, mais mon mari leur a donné de l'argent et ils sont partis. Mon mari obligeait aussi Ibrahim à faire la manche et avec l'argent, il s'achetait de la drogue. Dans mon pays, les hommes s'en prennent aux enfants, les agressent sexuellement. Nous n'avions aucune protection possible. Et ici, sur ce camp, je vais mourir car je suis tellement stressée. Ici c'est la mort".
Autour de la marmite d'eau bouillante posée sur leur feu de camp de fortune, ils sont 20 réfugiés à dormir sous la tente. A la librairie La Belle Image, lors de la présentation du livre Sur le fil de l'exil, certains d'entre eux étaient là. Erjon a joué et chanté. Un moment suspendu... "Sur le fil de l'exil. Une évocation sensible des réfugiés". L'argent récolté grâce à ce livre revient en totalité aux exilés du camp de Reims.