La droguerie de l'Éden, dernière enseigne du genre indépendante à Reims (Marne), a fermé ses portes ce mardi 31 décembre 2024. Une enfilade de clientes et de clients, ainsi que de journalistes, ont tenu à lui adresser un dernier au revoir.
Le jour tant redouté par plusieurs générations de clientes et de clients est survenu. Florence Sipili, la vénérable gérante de la droguerie indépendante de l'Éden, a décidé de faire valoir ses droits à la retraite. Et cette fois-ci, c'est la bonne.
Ce mardi 31 décembre 2024 est donc le dernier jour d'une année somme toutes assez mouvementée. Mais aussi de la riche carrière de Madame Sipili, ainsi que de l'existence de sa boutique à la fréquentation appréciable. Maintenant, la vitrine est clairsemée, et les étagères paraissent avoir été dévalisées.
La Droguerie de l'Éden est souvent présentée comme la dernière du genre indépendante à Reims (Marne), voire du département. On y venait parfois depuis les Ardennes. France 3 Champagne-Ardenne avait déjà narré sa longue histoire, entamée en 1965 (et reprise auprès de ses parents par Madame Sipili en 1990), lorsqu'elle avait découvert au mois d'octobre que 2024 serait sa dernière année d'activité.
Ce mardi matin, Florence Sipili s'est levée à 07h00. Comme d'habitude. Pas de trac, affirme-t-elle aux journalistes de France 3 Champagne-Ardenne qui sont sur place. "Je n'ai pas eu de problème pour dormir." Elle prévoit une journée ordinaire.
Mais elle se trompe. Dès potron-minet et jusqu'aux dernières lueurs du jour, une file incessante de clientes et de clients va venir se presser devant son comptoir.
Le centre névralgique du quartier
Heureusement, sa sœur du sud (les autres vivent dans le secteur) est venue lui prêter main-forte à la caisse et pour le conseil clientèle. C'était déjà elle qui, lors de la dernière venue de France 3 Champagne-Ardenne, avait confectionné avec soin ce qui allait devenir l'ultime vitrine de l'Éden.
Un couple a fait de petites emplettes. Les dernières de leur longue période de fidélité. "C'est un grand regret de la voir partir. On trouve de tout ici." Derrière lui, quatre ou cinq personnes patientent. Et il y en deux autres, à l'extérieur, sur le populaire boulevard Jean Jaurès, qui se dirigent vers la porte d'entrée. C'est qu'on se marcherait presque dessus !
D'ordinaire, la droguerie est très fréquentée. Il faut dire qu'elle sert de point de récupération de colis. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. "La camionnette est passée ici", explique Madame Sipili. "Elle a repris tous les colis qu'il me restait." Pas beaucoup, heureusement : les gens étaient plutôt prompts à venir les chercher (voir la localisation sur la carte ci-dessous).
Désormais, il faudra aller les quérir dans une boutique d'un tout autre genre : celle qui vend du CBD à l'angle du boulevard Carteret, juste en face de l'école primaire. Pour l'anecdote, la gérante y a été scolarisée, elle qui a passé toute sa vie dans ce quartier.
Sens du commerce et gentillesse
Le téléphone n'arrête pas de sonner. "Droguerie de l'Éden, bonjour ?" Souvent - aujourd'hui en tout cas - les gens n'ont pas vraiment de demande à lui formuler. "On me téléphone pour me dire au revoir. Ce sont des gens qui ne peuvent pas venir..."
Pour les personnes qui ont pu faire le déplacement, on manque parfois de mots pour les au revoir. Un monsieur est venu acheter un paillasson dont il n'aura guère d'utilité juste pour lui dire un petit mot. "Chaque fois, vous m'avez bien reçu. Merci."
D'autres le disent avec des fleurs. Elles prennent place sur le comptoir, juste à côté d'une corbeille de bonbons au chocolat enrubannés dans des papillotes aux couleurs chatoyantes. Toujours, elle garde le sourire. On ne l'imagine pas sans.
Et parfois, brièvement, les yeux deviennent rouges. Les larmes perlent. Mais ce n'est qu'un au revoir; pas un adieu. Madame Sipili, pendant encore un petit temps, continuera à vivre dans le quartier (elle habite au-dessus du magasin). Et à se rendre aux compétitions de tarot, à droite à gauche, qu'elle affectionne tant. Alors on retrouve le sourire.
Un commerce comme on n'en fait plus
Florence Sipili reçoit toutes les marques d'affection avec sourire et sérénité. Une dame de 92 ans lui glisse quelques mots gentils, puis se demande pourquoi trois autres personnes avec des blocs-notes la scrutent et écoutent pendant son échange. "C'est FR3 qui est là pour le dernier jour." Sourire amusé entre journalistes : le public n'a jamais vraiment adopté la nouvelle appellation "France 3" (pourtant en place depuis 1992).
J'ai une superbe clientèle, très fidèle.
Florence Sipili, gérante de la Droguerie de l'Éden
Toujours la commerçante, souvent plus connue par son prénom que par son nom de famille, aura mis l'accent sur "l'amabilité et le respect du client", sans oublier celui "des horaires". Ni sa connaissance encyclopédique de ses produits d'entretien : pêle-mêle sur les étalages, on retrouve peintures et cirages, amidon liquide et désinfectant pour micro-ondes (oui, ça existe).
Les conseils personnalisés sont légion, "et quand on a le temps de discuter, bien sûr qu'on prend le temps pour le faire. Vraiment, j'ai une superbe clientèle, très fidèle." Elle parle toujours au présent. Le futur semble bien loin, alors qu'il ne lui reste plus que quelques heures d'ouverture à assurer.
Elle se dit "contente" du chemin accompli, elle qui dès l'âge de 6 ans gambadait dans le magasin de ses parents. Mais elle arrête sans regret "car j'ai besoin de profiter de ma liberté, de mes enfants, et de mes petits-enfants".
La ferveur de ses dernières clientes et derniers clients lui font "chaud au cœur. Certains de mes clients sont devenus des amis. Il y en a qui m'ont vu toute petite, puis grandir." De la "chaleur", les gens n'en auront peut-être plus à cause de la fermeture, mais ils en trouveront toujours s'ils croisent Madame Sipili au détour d'une rue du quartier Jean Jaurès.
La retraite n'est toutefois pas immédiate, sitôt le rideau baissé une ultime fois. Au programme : inventaire, bilan comptable, rangement, don de certains invendus à des associations locales, et démontage des étagères... "Il y a encore un peu de travail." Pour l'heure, il est 11h26. Florence Sipili a un petit rendez-vous médical dans quatre minutes, et sa clientèle ne la lâche toujours pas. Son fils Frédéric parvient à s'en emparer, lui faire enfiler son blouson rouge, et l'extirper hors du magasin pour satisfaire ses obligations. Un client s'inquiète. "Vous revenez bien cet après-midi ?" Mais oui. Promis.