TÉMOIGNAGES : "Vous n’avez pas honte de faire la manche ?", les SDF face aux difficultés du confinement

Du premier confinement à celui en cours, les personnes sans domicile fixe se retrouvent seules, ou presque, dans les rues de Reims. Si certains apprécient le calme d’une ville au ralenti, d’autres ne cachent pas leurs soucis pour se doucher, se nourrir ou faire la manche. 

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Jojo, Guillaume, Yann, Charles-Henry… À deux pas de la place d’Erlon, à Reims, ces quatre compères retrouvent une connaissance qui fait la manche, près d’un distributeur de banque. "On est venu voir comment il va, car il n’est pas très bien", s’inquiète Guillaume. Tous veillent sur le jeune sans-abri mal portant. "La solidarité", disent-ils. Et en cet après-midi d’hiver ensoleillé, chacun en profite pour prendre des nouvelles des uns et des autres, entre deux rasades de bière. "T’as l’air bien toi, tu vas mieux ? demande Yann. T’as arrêté la drogue ?" En face de lui l’homme acquiesce. Comme un air de soulagement après tant d’années abimées par la cocaïne et autres opiacés.

Dans ce petit groupe, la plupart ont vécu le confinement dans la rue, que ce soit celui du mois de mars dernier ou le reconfinement du 30 octobre. Et si aucun ne s’en plaint vraiment, tous évoquent les problèmes auxquels ils doivent ou ont dû faire face. Toilettes publiques fermées, associations à l’arrêt, achats de masques…  Le quotidien des sans-abris a, lui aussi, été bousculé par la crise sanitaire du covid-19.
 

Les ennuis

Yann, 42 ans, aujourd’hui logé dans un centre d’hébergement d’urgence de l’Armée du Salut, mais sans-domicile-fixe (SDF) au moment du premier confinement, se rappelle de l’arrêt brutal des activités de certaines associations : "Tous les matins, on allait prendre notre petit déjeuner au Secours Catholique, on était une trentaine à s’y retrouver, jusqu’au jour où ça a fermé... Du coup, on commençait notre journée à la bière". Juste à côté, Charles-Henry écoute et hoche la tête. Même chose pour lui certainement.
Prendre une douche ou faire sa toilette était devenu un véritable calvaire à la suite de la fermeture des locaux associatifs accueillant les plus précaires. Du 17 mars à mi-avril, le Secours Catholique est resté porte close. Impossibilité d’y satisfaire ses besoins essentiels. "Je devais aller me doucher chez mon ex-copine, confie Guillaume, âgé de 37 ans. Je ne prenais plus qu'une douche par semaine". Les permanences médicales aussi, ont pour un temps été annulées.

Aujourd’hui, le Secours Catholique comme d’autres associations a rouvert, avec un rythme contraint par un protocole sanitaire renforcé. "Les douches sont à nouveau accessibles, mais pour une durée maximale de 15 minutes, avec 15 minutes de désinfection entre chaque passage", détaille Emeline Dantigny, une salarié de l’association à Reims. Les petits-déjeuners ont également repris du service, avec une jauge limitée à six personnes.

« Une fois une grand-mère m’a dit : Vous n’avez pas honte de faire la manche ? Vous allez propager le virus !"

Yann, 42 ans, ancien SDF

Autre contrainte provoquée par les mesures instaurées dans la lutte contre la propagation du virus, les toilettes publiques, précieuses pour les SDF, sont condamnées depuis le mois de mars. "Maintenant je vais dans les parcs, les jardins », réagit Charles-Henry, les mains glissées dans son large sweat, un peu pantois. « Moi, je chiais dans la rue, assume Guillaume, le regard droit. Mais je ramassais, pas comme certains". Aujourd’hui, Guillaume n’est plus à la rue. Il a trouvé un logement après un an et demi sans toit et vit avec les 565 euros du Revenu de solidarité active (RSA).
 

Faire la manche devient difficile

D’ailleurs, le RSA ne suffit pas toujours pour vivre. Conséquence, même ceux qui ont trouvé un hébergement peuvent se retrouver à faire la manche pour compléter leur revenu. Sauf qu’en temps de confinement, les passants se font rares. Et la quête se complique. Alors en bon observateur du centre-ville, Guillaume s’est placé devant les commerces essentiels : « La boulangerie de mon quartier était ouverte et acceptait que je fasse la manche avec ma chienne. » Une « solidarité » des commerçants appréciée et reconnue par plusieurs SDF. Ce qui n'empêche pas toutefois un manque de bienveillance chez certaines personnes. Yann témoigne : « Une fois une grand-mère m’a dit : Vous n’avez pas honte de faire la manche ? Vous allez propager le virus ! Moi j’avais un masque, elle n’en avait même pas… »Jusqu’à ce jour, la police n’a verbalisé aucun d’entre eux. « Ils nous connaissent, ils sont conciliants, explique Yann, les mains rentrées dans sa doudoune. Ils nous disent juste de mettre notre masque. » Une tolérance énoncée par le ministère de l’Intérieur : « Par acquis de conscience, on a fait passer les consignes de ne pas verbaliser les SDF, même si cela va de soi. »
 


Ici, parmi ces sans-abris ou anciens sans-abris, qui discutent avec le masque descendu sur le menton, personne n’a souffert du covid-19. Ce qui ne signifie pas qu’aucun d’entre eux n’a été contaminé. « On ne sait pas, on ne s’est pas fait dépister, avoue Yann. D’ailleurs, on l’a sûrement tous eu. » Et est-ce que l’arrivée de cette vague épidémique a éveillé une peur chez eux ? « Oui », « non », les avis divergent. 
 

Au début, on se demandait ce qui se passait, ce qui allait arriver et on s’est inquiété petit à petit. Mais on ne se rendait pas bien compte de ce que le virus pouvait faire.

Yann, ancien SDF

Sans masque au début du confinement, c’est un de leur ami SDF qui leur en a fourni en premier. Puis Yann s’en est vu offrir par un gérant de supermarché.
 

Les avantages

Malgré cette crise, son lot d’ennuis, et la précarité qu'elle renforce… Les mines restent joviales ce jour-là. Celle de Charles-Henry particulièrement. Face à une place d’Erlon endormie, ce sans-abris de 46 ans, dont les trois derniers passées à la rue, vante les mérites du confinement.
 

C’est plus calme, il y a moins de circulation, moins d’histoires, moins de viande saoûle dans les rues. Et je dors plus longtemps devant les magasins qui restent fermés. 

Charles-Henry, sans domicile fixe

L'après-midi s'achève pour Jojo, Guillaume, Yann, Charles-Henry et les autres. L’ivresse s'empare d'eux à mesure que le soleil décline. La discussion, elle, se poursuit, et parfois s’envenime. Mais discuter, là est l’important. « Cela réchauffe les cœurs », déclare Yann. Demain, ce gaillard aux yeux bleus, père de deux filles, ira travailler à l’usine. Un boulot trouvé entre les deux confinements, qui lui a permis de ne pas « toucher le fond ». Ce « fond » vers lequel la drogue et la rue l’ont trainées. Charles-Henry, lui, emportera probablement son balluchon au pied d’un commerce ce soir. Il s'endormira dans une rue déserte de Reims, sans se faire réveiller par les fêtards, confinés chez eux.
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