Une manifestation du corps enseignant a eu lieu dès ce lundi de rentrée des classes, lundi 4 septembre. Le rassemblement avait lieu devant le rectorat de l'académie de Reims (Marne), ainsi que plusieurs directions des services départementaux de l'Éducation nationale (DSDEN).
Rentrée des classes pour les élèves, rentrée syndicale pour une partie de leurs professeurs. Ce lundi 4 septembre 2023, un rassemblement était (notamment) organisé devant le rectorat de l'académie de Reims (Marne), qui concerne toute la Champagne-Ardenne.
La plupart ont pris sur son temps de midi, entre deux tranches de cette journée destinée à accueillir les élèves, afin de porter ses revendications. Lesquelles ont bien peu primé dans les médias par rapport à la polémique de l'abaya (France 3 Champagne-Ardenne les a longuement détaillées à l'occasion de la prérentrée).
Un "pacte" qui passe mal
Au lycée Roosevelt de Reims, Célia Vollondat est professeure de français et secrétaire académique du Syndicat national des enseignements de second degré et de la Fédération syndicale unitaire (Snes-FSU). Elle pointe jusqu'à 30 élèves dans des classes de collège, et 36 en lycée (c'est le cas de ses élèves de première). Et désigne le nerf de la guerre : l'argent. "On est mal payé, et on n'a pas eu de vraie revalorisation depuis des années."
"À la place d'une révision de notre salaire, on nous propose de prendre des tâches en plus pour remplacer des collègues. Dans n'importe quelle classe, et n'importe quelle situation ou matière. Travailler plus pour gagner autant... C'est le pacte. Si on ne pactise pas, le revenu n'augmente pas. On dénature ainsi notre métier. On est spécialiste de notre discipline, mais on n'en a rien à faire, quitte à mettre coûte que coûte un adulte devant les élèves. Même si ça n'a pas de sens, pédagogiquement parlant." Une manière de faire similaire à de la garderie, avance-t-elle.
"Ça ne rime à rien. On nous propose ça sans savoir comment on fonctionne sur le terrain. Ni sans chercher à savoir comment on fonctionne. Il y a eu des tentatives de discussions avec le ministère. Mais ce qui revenait, c'est que ce principe de remplacement, Macron y tenait particulièrement. Il voulait s'engager en disant qu'il y aurait toujours des professeurs devant les élèves. Bon, il tenait aussi à revaloriser de 10% le salaire des enseignants, sans condition, mais là, la parole n'a pas été tenue..."
Trop d'élèves par classe
Yohan Odivart, professeur d'histoire-géographie du collège Robert Schuman de Reims, dénonce les mêmes classes trop surchargées. "On a des classes de sixième à 29. Comment on s'en sort dans de telles conditions alors qu'ils découvrent le collège ? C'est inacceptable d'avoir des classes si surchargées. On se débrouille malgré les classes serrées. On joue un peu à Tetris [le jeu vidéo où l'on empile des briques du mieux possible pour former des lignes complètes; NDLR]. Là, on a une semaine de rentrée où il fera 33 degrés dès [le mardi 5 septembre], donc je vous laisse imaginer..."
"On fait tout ce qu'on peut, mais ce ne sont pas de bonnes conditions. Comment aider les élèves en difficulté ? Regardez l'heure de soutien en français et en mathématiques annoncée cette année pour les classes de sixième - au détriment de la technologie - mais en les entassant. Il y a une forme d'hypocrisie. C'est bien d'avoir une heure en plus. Mais avec des classes à seulement 20, ça irait beaucoup mieux."
Il donne l'exemple d'une classe de sixième de 28 élèves. Dont 20 "ont été identifiés par leurs professeurs de primaire comme rencontrant des difficultés au niveau des acquis, soit du comportement, soit des deux. Comment gérer ? On va pouvoir en faire progresser quelques-uns, mais on sait parfaitement que dans une telle classe, ce sera compliqué. S'ils étaient moins nombreux, ce serait moins difficile. Avec des plus petits groupes, on s'occuperait mieux des élèves en difficulté."
Une réforme sous le ministre Jean-Michel Blanquer a été de limiter les effectifs de CP/CE1 à douze élèves. "C'est intéressant : ça a aidé toute l'année, ils ont pu progresser. Mais pour qu'eux soient douze, dans les classes des autres niveaux, il a fallu qu'ils passent à 30... L'idée était bonne, mais l'application catastrophique. Ce serait - malheureusement - de l'utopie d'avoir douze élèves par classe jusqu'à la terminale." Il ne peut s'empêcher de noter que dans d'autres pays, les effectifs en collège sont limités à 21 élèves par classe. "Cela influe sur les résultats des élèves, mais aussi sur leur bien-être. Et c'est important, alors qu'on parle de plus en plus de leur santé mentale. C'est une réalité et une priorité."
L'une de ses collègues en profite pour aborder la situation des accompagnantes et accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). Utilisant un exemple survenu le matin même avec un élève aux forts troubles autistiques sans AESH. "Il ne pouvait pas aller aux toilettes seul, il était très agité. Une professeure est venue s'en occuper même si ce n'était pas à elle de le faire. Au bout de deux heures, cet enfant ne tenait plus en place. Il s'est posé la question : peut-on l'accueillir ? C'est très violent pour lui." Une autre collègue déplore que "les AESH soient à mi-temps et fassent moins de 30 heures. C'est honteux. Elles doivent travailler à côté pour vivre alors qu'elles ont des journées avec plein de trous ne leur permettant parfois même pas de compléter tout leur mi-temps..."
Collèges morts dans les Ardennes
Plusieurs enseignantes et enseignants des Ardennes devaient se réunir devant la direction des services départementaux de l'Éducation nationale dans le département, mais une partie a fait le déplacement jusqu'au rectorat. Ceci à l'occasion, pour leur part, de deux jours de "collèges morts". Ainsi, ce lundi, à peine un tiers des élèves de sixième qu'on devait accueillir ont fait le déplacement. Pas le choix, pour ce collectif : c'est la seule manière de se faire entendre.
Mathias du Souich, du collège Jeanne Melin de Carignan, fait partie de ce "collectif interétablissements. Quand on a vu le nombre de suppressions de postes, de classes surchargées dans les Ardennes, on a commencé à se mobiliser. Seul, on n'arrive à rien. C'est la première fois, de mémoire, qu'on monte un tel collectif. On est huit collèges à être concernés : 31 postes ont été supprimés en collèges dans les Ardennes, et dix en primaire." Carignan, Fumay, Givet, et Nassau sont notamment concernés.
"Le projet de loi de finances de 2023 demandait au recteur de supprimer 56 postes sur l'académie de Reims. Il en a supprimé 74... Il nous avait pourtant déclarés, quelque temps auparavant, qu'il avait conscience des difficultés des élèves. De leurs problèmes physiques, psychologiques, scolaires. Et que face à ça, il ne chercherait pas à faire une économie de moyens. On a donc les paroles d'un côté, les actes de l'autre. Ça nous a encore plus remontés."
Le préavis de grève déposé dans la foulée a été accueilli dans une totale indifférence. "En théorie, il y a trois jours pour ouvrir des négociations. Mais on a eu zéro réponse. Alors que nos revendications ne sont pas farfelues. Elles ne sont pas illégitimes. On fait ça pour le bien des élèves. On ne demande que la réouverture des classes supprimées, des conditions de travail optimales pour nos élèves et nos enfants [le collectif intègre des parents d'élèves; NDLR], et des effectifs de 25." Lui aussi ne peut s'empêcher de citer l'exemple européen de 21 élèves par classe en moyenne en Europe.
Un collège ardennais "à sec"
Un professeur de mathématiques du collège Les Aurains de Fumay déplore la suppression de deux postes dans son établissement (et quasiment d'un troisième). Ainsi qu'une augmentation des effectifs : les élèves de cinquième doivent se concentrer dans deux classes au lieu de trois. "Ils ont dit que c'était en contrepartie du rajout d'une classe de sixième. Mais ils n'ont rien ouvert : ils ont maintenu cette classe qu'ils voulaient fermer..."
On y dénombre 26 élèves alors que Fumay se trouve en zone Rep+ (où les classes sont censées n'abriter que 20 élèves au maximum). Certaines salles n'ont que 25 sièges, et il faut parfois rajouter des sièges pour les AESH dans le cadre des dispositifs Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis).
Il dénonce aussi "un carnage financier". Une dotation de 57.000 euros aurait été retirée du budget du collège, afin de contrebalancer l'augmentation des factures d'énergie à cause de l'inflation. "Avec l'augmentation du prix de l'énergie, les dotations données par le département aux établissements ne sont pas suffisantes. Les départements se servent dans les trésoreries des établissements. Il n'y a pas de bouclier tarifaire, pour les établissements..." Et 47.000 euros auraient également été ponctionnés pour la cantine, cette fois-ci. "Bref, notre établissement est à sec. On ne sait même pas si on va pouvoir fonctionner. On ne sait même pas si on va pouvoir faire des photocopies."
Une rencontre qui n'a pas porté ses fruits
Après près d'une heure passée dans les bureaux du rectorat, trois membres de l'intersyndicale sont ressortis pour donner des nouvelles. Elles ne sont pas très bonnes, explique le porte-parole qui a pu parlementer avec trois membres de l'équipe du rectorat (qui n'était pas présent dans le bâtiment). "On nous a dit que 30 élèves par classe, ce n'est pas satisfaisant. C'est une révélation : dans les collèges, on en trouve pourtant. [...] Les conditions de travail des élèves et des enseignants ne sont donc pas considérées." Le rectorat utiliserait d'autres indicateurs que le nombre d'élèves pour décider de la création ou de la suppression de classes. "On aimerait bien les connaître", ironise le porte-parole de l'intersyndicale, à qui a été rappelé que le fameux pacte enseignant devait répondre aux soucis rencontrés.
L'un de ses collègues scande qu'il y a là "une non-assistance à avenir en danger. On parle de nos enfants." Le bilan, pour l'intersyndicale, fait donc état d'un dialogue de sourds. Elle compte rester mobilisée.