"Une grande violence à l’égard des plus fragiles" : les associations d’aide aux migrants face à la loi immigration

Trois jours après l’adoption de la loi dite "immigration" par le Parlement, nous sommes allés à la rencontre de ceux qui accompagnent quotidiennement les personnes étrangères nouvellement arrivées en France ou qui y vivent depuis plusieurs années. Elles dénoncent un texte qui accentuera la précarité des migrants sans influer sur les flux migratoires.

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Sous les arbres du parc Saint-John-Perse à Reims, un feu crépite au milieu des quelques tentes qui se sont réinstallées suite au dernier démantèlement du camp de migrants. Près des flammes, une famille se réchauffe sous le crachin de décembre : deux femmes et trois enfants ce matin-là. Le soir, ils sont une vingtaine de personnes à dormir dehors, dans ce campement de fortune. Comme souvent, des bénévoles sont passés ce vendredi, trois jours après l’adoption au parlement de la loi dite "immigration". Ils sont venus voir ce dont ces étrangers ont besoin, voir, simplement, comment ça va.

Philippe Cuisset est l’un d’entre eux. Il fait partie depuis sept ans du collectif Sövkipeu qui accompagne et aide ceux qui vivent au sein du camp Saint-John-Perse. La loi immigration le dégoûte : "Aujourd’hui se concrétise une espèce de violence et d’hypocrisie politique. Les réfugiés, les demandeurs d’asile, les immigrés, les migrants comme on les appelle, sont les boucs émissaires idéaux d’une politique qui, depuis longtemps, leur fait mal". Il poursuit : "Ce qu’ils sont en train de faire [les membres du gouvernement, NDLR], c’est braquer l’opinion contre des boucs émissaires faciles. Ils assument désormais une politique qui fait le jeu des extrêmes, et qui va développer une grande violence à l’égard de ces personnes qui sont les plus fragiles".

"Une machine à exclure"

Quand on demande à Philippe Cuisset l’impact que pourra avoir cette loi sur son travail de bénévole, sur l’accompagnement qui est celui du collectif, il répond que rien ne devrait vraiment changer : "Nous, on fait le boulot que l’Etat ne fait pas, ici, sur le camp. C’est un accueil d’urgence. La France, signataire de la convention de Genève, devrait accueillir les demandeurs d’asile comme il se doit, mais elle ne le fait pas. Alors nous, on continuera à faire ce que l’on fait, car les humanistes, les vrais, c’est nous".

Mais le bénévole craint tout de même que les nouvelles dispositions de la loi, et notamment celle qui supprime la possibilité d’hébergement d’urgence pour les étrangers sous le coup d’une expulsion, ne viennent grossir les rangées de tentes au sein du parc. "Il n’y a jamais eu d’afflux massif à Reims, nous ne sommes pas à Calais, précise-t-il. Il y a simplement des personnes qui sont en détresse. Mais nous pensons qu’il va y en avoir encore plus, parce qu’elles auront moins accès à l’hébergement, parce qu’elles auront moins accès au travail, moins accès à la régularisation. Et donc on est face à une machine à exclure".

Des problèmes de place

Dans le local du Secours catholique, rue des Poissonniers à Reims, c’est l’heure du petit-déjeuner. Comme tous les jours, du lundi au samedi, de 8h à 11h, entre 90 et 150 personnes viennent trouver un peu de réconfort et nourrir leur corps. Parmi elles, 60% d’étrangers. Et entre le café et le morceau de pain, le constat est le même pour ceux qui encadrent ce temps de répit : la suppression de l’hébergement d’urgence pour les étrangers déboutés de leur demande de titre de séjour ne va faire que grossir les rangs de ceux qui sont accueillis ici. Émeline Dantigny, animatrice depuis 12 ans pour le Secours catholique, précise :

Actuellement, les obligations de quitter le territoire ne sont pas appliquées. Donc les gens qui bénéficiaient avant d’un hébergement d’urgence vont désormais être à la rue. Ils vont venir vers nous de plus en plus. On va avoir un vrai problème de place.

Emeline Dantigny, animatrice au Secours catholique de Reims

Quant au fait que la loi puisse réduire le nombre d’arrivées en France, l’animatrice n’y croit pas non plus : "Je ne vois pas en quoi cela peut faire diminuer le fait que les gens viennent, s’interroge-t-elle. Il y aura toujours des passeurs pour les faire venir. C’est contre eux qu’il faut lutter plutôt que de sanctionner les personnes qui paient très cher pour venir et qui espèrent juste avoir une vie meilleure".

Dans les salles à l’étage, des personnes étrangères sont en train de s’installer. Le cours de français va bientôt commencer. Là aussi, la loi immigration se fait plus exigeante. Les étrangers qui demandent une première carte de séjour pluriannuelle devront avoir une connaissance minimale de la langue française de niveau A2. Un niveau attendu plus élevé qu’aujourd’hui. "Je me pose la question de la faisabilité de ce qu’impose la loi, poursuit Emeline Dantigny. Le fait que les personnes doivent apprendre le français, c’est plus qu’une nécessité, c’est pour cela qu’on met des cours de français en place. Sauf qu’à un moment donné, on va avoir beaucoup plus de demande que d’offre, et ça va être très compliqué. Il y a aussi toutes les personnes qui sont analphabètes à l’origine. Donc leur demander d’avoir un niveau A2, c’est plutôt irréalisable".

Mais là encore, les bénévoles continueront leur travail, les associations, leur sacerdoce. Faire du mieux qu’ils peuvent avec ces nouvelles règles.

"Une atteinte aux droits fondamentaux"

Des règles qui, pourtant, sont susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux des étrangers. C’est en tout cas le point de vue de Julien Mouchette, maître de conférences en droit public à l’université de Reims et militant de la CIMADE depuis 2009, cette association qui défend la dignité et les droits des personnes réfugiées et migrantes. "Cette loi est catastrophique pour les personnes étrangères, pose-t-il en préambule. Elle porte des atteintes graves aux droits fondamentaux mais véhicule aussi une image problématique des migrants en renforçant l’amalgame étranger / délinquant. Et en cela, c’est une loi qui renforce la xénophobie et le racisme".

Ce spécialiste du droit des étrangers ne pense pas non plus que la saisie du Conseil constitutionnel par Emmanuel Macron le 20 décembre dernier adoucira les dispositions sécuritaires de la loi. "Il y a une série de dispositions qui peuvent être entendues comme étant contraires à la constitution, explique-t-il, et notamment celle qui concernent les quotas - tous les trois ans, le Parlement devra décider du nombre d’étrangers, par catégorie, admis à s’installer en France, hors asile, NDLR -. Malgré tout, on a beaucoup évoqué le durcissement du texte par son passage au Sénat, notamment sous l’influence de la droite et de l’extrême droite, mais le projet initialement porté par le gouvernement était déjà très attentatoire aux droits fondamentaux", juge Julien Mouchette.

Et notamment en ce qui concerne le placement en rétention des personnes étrangères. Depuis 1981, il est en effet possible d’enfermer les personnes étrangères dans un centre de rétention administrative pour organiser leur expulsion, une fois qu’une obligation de quitter le territoire a été prononcée. La nouvelle loi assouplit cette règle. "Il y a un nouveau motif de placement en centre de rétention, explique le maître de conférences, qui est la « menace à l’ordre public » sans qu’il y ait nécessairement de perspective d’expulsion. Ce qui veut dire qu’une personne étrangère qui menacerait l’ordre public – avec une interprétation laissée à l’administration - pourrait être placée en centre de rétention sans qu’on organise son expulsion, la durée maximale étant de 90 jours". Une petite peine de prison, résume l’enseignant, mais qui n’est pas prononcée dans le cadre d’une procédure pénale.

Là, il y a un vrai danger, puisqu’à mon sens, cette loi se fait au mépris des valeurs qui fondent une société démocratique, libérale, et basée sur l’état de droit. Or, je vous rappelle que l’état de droit s’est construit sur la lutte contre l’enfermement arbitraire. Et dans ce cas, on est, précisément, sur un enfermement arbitraire de personnes étrangères, validé par le législateur.

Julien Mouchette, maître de conférences en droit public et militant CIMADE

Il pointe enfin du doigt la suppression d’un certain nombre de protections, comme le fait que des parents d’enfants français, des personnes qui sont présentes sur le territoire depuis plus de 10 ans ou encore des étrangers gravement malades, puissent désormais être expulsés du territoire, alors qu’ils en étaient avant protégés.

"Cette loi, c'est le point de bascule d’un pouvoir qui voit dans les libertés un obstacle plus qu’un objectif, conclut Julien Mouchette, et en ceci, c’est vrai sujet d’inquiétude".

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