Témoignages. "Je ne suis ni homme ni femme, mais entre les deux" : la non-binarité expliquée par ceux qui la vivent

Publié le Mis à jour le Écrit par Perrine Ketels

Elles ne se sentent pas vraiment homme ni vraiment femme : qui sont les personnes dites "non-binaires" ? Dans la Marne, à Epernay et Châlons-en-Champagne, nous avons rencontré Célia, Méli, Gaëlle et Prescilla. Chacune à leur manière, elles dénoncent les clichés assignés aux hommes et aux femmes et se revendiquent d'un genre nouveau.

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La première rencontre avec Méli, la vingtaine, pourrait être déroutante. Ses cheveux longs, bruns, bouclés et soignés brillent presque autant que le haut bleu vintage qu'elle porte ou les multiples bijoux sur ses doigts fins. Jusqu'ici, la description pourrait laisser imaginer une femme des plus ordinaires. Pourtant, le regard ne peut s'empêcher de s'attarder sur la moustache de Méli et l'oreille ne peut que remarquer les tons graves de sa voix. Car Méli n'est pas une femme, mais elle n'est pas un homme non plus. Elle est non-binaire.

Je suis née homme mais j'ai toujours senti un mal-être intérieur par rapport à mon genre. Je n'étais pas à l'aise avec le fait d'être un homme. J'ai commencé à me questionner pendant le baccalauréat, puis j'ai rencontré des personnes non-binaires et j'ai pu sortir des codes et des normes imposés par la société. C'était une libération.

Méli, personne non-binaire

Etre non-binaire est un ressenti profond, invisible, parfois difficile à expliquer. Rien à voir avec l'hermaphrodisme (un mélange physique des caractéristiques féminins et masculins) : "les non-binaires sont des personnes qui n'arrivent pas à se sentir à l'aise dans la case homme ou la case femme", selon Gaëlle Florack, présidente de l'association Transmission à Reims.

Célia, habitante d'Epernay de 22 ans, elle aussi non-binaire, dit s'être "déconstruite" pour mieux se trouver. "Il s'agit de se déconstruire par rapport aux clichés qu'on peut avoir, explique-t-elle, à savoir qu'un homme devrait avoir les cheveux courts, une femme les cheveux longs, et être habillée en robe. Je ne me reconnais pas là-dedans."

Après le baccalauréat, Méli, elle, a commencé à adopter un style androgyne, avec du maquillage ou des vêtements dénichés dans les rayons des femmes. Elle a aussi changé de pronom : désormais, c'est "elle", et non plus "il".

Il existe bien un pronom personnel neutre pour les personnes non-binaires : le "iel", qui a fait une entrée remarquée et polémique dans le dictionnaire en 2021. "Si les gens m'appellent par ce pronom, c'est encore mieux, témoigne Méli, mais nous avons tellement été habitués à dire "il" ou "elle", cela paraît impossible à présent." Célia, elle, relativise : "à l'écrit, ça se fait de plus en plus", certifie-t-elle.

Se faire accepter : un parcours du combattant 

Car la langue française reste structurée par le féminin et le masculin et la société est encore très largement binaire (chacun se reconnaît soit dans le genre féminin, soit le genre masculin), selon Gaëlle Florack, présidente de l'association Transmission à Reims : "quand on se promène dans l'espace public, de manière inconsciente, on va scanner l'environnement et chaque personne qu'on rencontre, sans même s'en rendre compte, on va la mettre dans la case homme ou la case femme. Cela peut être une manière de bouger, des vêtements, la longueur des cheveux".

Ne rentrer dans aucune de ces cases et faire naître le doute chez les passants ou même les proches, peut être difficile pour les personnes non-binaires.

Quand on ne peut pas dire de manière claire si on est un homme ou une femme et que 99% de la population autour de vous se revendique d'un des deux genres, c'est une situation vraiment inconfortable.

Gaëlle Florack, présidente de l'association Transmission

Méli n'a pas pu confesser à sa famille son ressenti. "Lorsque j'ai eu 18 ans, j'ai fait mon premier coming-out, en avouant mon homosexualité à ma famille, se souvient-elle. Ma mère m'a mise dehors, j'ai dû prendre un appartement et trouver un job, tout en passant mon bac. Après cet épisode, c'était impossible pour moi de leur parler de ma non-binarité, déjà parce que je n'ai plus rien à voir avec eux, mais aussi parce que, de toute façon, ils ne comprendraient pas."

Les vêtements comme mode d'expression

Les non-binaires sont une minorité encore invisible et souvent silencieuse. Pour exister dans l'espace public et revendiquer leur situation "d'entre deux", certains font le pari de la mode. L'expression de leur identité de genre passe alors par le style vestimentaire.

Méli en est l'exemple parfait. Cette passionnée de mode a un dressing bien rempli, aussi bien de vêtements masculins que féminins. "J'ai par exemple cette jupe noire avec ce corset pour l'aspect féminin, montre-t-elle, mais j'ai aussi ce pantalon large et ce gros pull pour l'aspect masculin."

Elle possède même une petite armoire dédiée uniquement aux bijoux. Parmi ses trésors : des colliers "de femme fatale", mais aussi une grosse chaîne en or qu'elle adore, car "cela va avec n'importe quel style, peu importe si je m'habille en homme ou en femme."

Une marque devenue un "refuge"

Certaines personnes non-binaires préfèrent toutefois la discrétion et un style plus neutre. Pas question d'être un jour homme ou un jour femme : elles veulent leur style à elle. C'est pour ces personnes qu'une jeune châlonnaise nommée Prescilla, a imaginé une marque de vêtements. Elle a créé son site internet avec son compagnon Noé mi-octobre.

"C'est pour tout le monde, une femme très "fifille" ou masculine, tout comme un jeune homme efféminé ou masculin", explique Prescilla. "Je trouve ça super intéressant de ne pas avoir à choisir de rayon, renchérit Noé, je n'ai pas à me dire que c'est trop décolleté ou trop grand".

Des t-shirts simples, portés par les hommes comme les femmes. Mais alors quelle différence avec de simples vêtements unisexes ? Pour Prescilla, parler de "vêtements non-binaires" plutôt que de "vêtements unisexes" est aussi une manière de mettre sa clientèle cible à l'aise. "Bien sûr, tout le monde est en droit d'acheter chez moi, c'est juste que je vise ma communauté, explique-t-elle, et je veux la mettre à l'aise jusqu'au bout. Par exemple, lorsqu'un client voudra une carte de fidélité, je ne lui demanderai pas son genre ni son prénom de naissance. Chacun sera libre de se définir comme il le veut".

Cette marque se veut un refuge et souhaite changer peu à peu les mentalités. Tous n'ont qu'une envie : sensibiliser, pour mieux trouver sa place. 

Plus il y a de personnes au courant, plus la société peut avancer même si moi, à mon échelle, ce n'est pas énorme, si j'éduque une dizaine de personnes dans ma vie, ce sera déjà très bien. Si tout le monde pouvait éduquer dix personnes, ça pourrait donner des choses énormes.

Célia, non-binaire

Déjà, les mentalités ne sont plus celles d'hier. Dans une étude de l'institut des études de marketing et d'opinion CSA (Consumer Science & Analytics), réalisée en 2021, 51% des sondés affirment ne pas être en accord avec la phrase : "une personne est soit un homme, soit une femme et rien entre les deux". Une petite majorité reconnaît donc la non-binarité. La société avance.

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