Meurthe-et-Moselle : pourquoi la gauche peut perdre les élections départementales 2021

Le prochain scrutin s’annonce périlleux pour la majorité sortante de gauche. Elle ne dispose que d’une majorité de trois sièges et pourrait être mise en difficulté par la droite dans plusieurs cantons, sur fond de montée du Rassemblement national, et d’une participation très incertaine.

"La Meurthe-et-Moselle fleure bon les années 70 et 80, du temps de l’union de la gauche et du programme commun" glisse avec malice ce bon spécialiste de la politique lorraine. L’union de la gauche, le programme commun, l’époque rêvée et révolue où le Parti Communiste et le Parti Socialiste marchaient main dans la main pour prendre le pouvoir. Quarante ans après la victoire de François Mitterrand, et la participation de ministres communistes dans le deuxième et le troisième gouvernements Mauroy, la Meurthe-et-Moselle fait toujours figure de bastion pour la gauche, le dernier dans le Grand Est.

Depuis 1998, et la victoire de Michel Dinet (PS) face à Jacques Baudot (UDF), l’alliance des socialistes et des communistes, associés aux écologistes, a permis de conserver la prise de guerre, dans un département sociologiquement hétérogène. Au nord le Pays-Haut, citadelle rouge encore bercée par les souvenirs de l’industrie, et au sud des cantons plus ruraux, qui oscillent entre le centre-droit et la droite traditionnelle. Nancy, bastion du radicalisme, fait bande à part.

Trois sièges

En 2015, le département se dote d’une majorité de conseillers de gauche, à trois sièges près. La mort de Michel Dinet a précipité un an plus tôt l’élection de son dauphin, Mathieu Klein, qui cède à son tour son fauteuil en 2020, lorsqu’il est élu maire de Nancy à la tête d’une liste… d’union de la gauche. Valérie Beausert-Leick récupère le fauteuil, qu’elle remettra en jeu dans une position inconfortable.

A nouveau candidate dans le canton de Laxou avec comme binôme Pierre Baumann, elle devra affronter le duo Nathalie Engel-Laurent Garcia. Ce dernier, député-maire Modem de Laxou, pourrait bousculer la présidente sortante. "Mathieu Klein soutient du bout des lèvres Valérie Beausert-Leick, à qui il a refusé le canton de Nancy 2 au profit de Chaynesse Khirouni" estime notre spécialiste. Ce canton est jugé beaucoup plus favorable à la gauche, et "si la gauche parvient à conserver le département, et que Valérie Beausert-Leick est défaite, l’ancien patron du département ne verrait pas d’un mauvais œil son remplacement par l’ancienne députée de la première circonscription de Meurthe-et-Moselle". Dans une campagne courte et atone, les soutiens ne se précipitent pas pour Valérie Beausert-Leick "jugée trop à gauche par Mathieu Klein, qui a basculé depuis son élection de maire dans la real politik". Un soutien franc des parlementaires socialistes lorrains ne lui ferait pas de mal, mais ils ne se pressent pas jusque là.

Bascule

Les interrogations du même type concernent quatre autres cantons, que la gauche pourrait perdre. A Nancy 3, la socialiste Nicole Creusot ne se représente pas, pas plus que son binôme Frédéric Maguin. Personnalité politique de premier plan de la scène nancéienne, la vice-présidente chargée de la culture au conseil départemental sortant laisse une tâche difficile à Silvana Silvani et Lionel Adam, l’actuel adjoint à la sécurité du maire de Nancy. Issu de la société civile, il reste peu connu des électeurs.

Dans le canton de Toul un autre poids-lourd départemental ne se représente pas. Le maire socialiste Alde Harmand laisse son binôme Michèle Pilot faire équipe avec un inconnu, Emilien Martin-Triffandier. Le duo devra affronter la droite, en plus de La République en Marche. Même cas de figure à Nancy 3, où les candidats divers-gauche auront à faire à la fois avec LREM et avec des candidats de centre-droit. Que pèse LREM dans une élection départementale ? En Meurthe-et-Moselle, seuls deux cantons auront des candidats avec l’étiquette du parti macroniste.

A Longwy, forteresse de la gauche, Christian Ariès ne se représente pas. Le vice-président du conseil départemental laisse la place au premier adjoint de la ville Vincent Hamen qui souffre d’un déficit de notoriété certain face au maire d’Hersérange, Gérard Didelot. Ce dernier, élu premier magistrat de sa commune en 2001, sait qu’il peut compter sur un renouvellement sociologique profond qui affecte une grande partie du Pays-Haut. Les ouvriers laissent la place aux frontaliers, qui représentent désormais la majorité de la population active dans ces anciennes places fortes de la sidérurgie. Le niveau et la qualité de vie des frontaliers les éloignent des valeurs traditionnelles de la gauche. Leur investissement dans la vie locale, notamment associative, n’a plus rien à voir avec celui des classes laborieuses qui ratissaient le terrain.

Dans le dixième canton, Meine au Saintois, les sortants socialistes Gauthier Brunner et Agnès Marchand ne repartent pas pour un tour. L’union de la gauche et des écologistes comptera donc sur Denis Kieffer et Barbara Thirion avec une issue incertaine dans ce canton rural. Au total, ce sont donc cinq cantons que l’union de la gauche pourrait perdre. Pour un seul qu’elle pourrait prendre : celui de Pont-à-Mousson, où Bernard Bertelle le maire de Blénod-les-Pont-à-Mousson pourrait l’emporter. Très bien implanté localement, fin connaisseur des dossiers du canton, il pourrait déloger le sortant divers-droite Stéphane Pizelle.

Rassemblement national en embuscade

Trois inconnues peuvent s’ajouter à l’équation déjà complexe : la présence dans tous les cantons de candidats du Rassemblement national, le mode de scrutin et le niveau d’abstention. "Contrairement aux élections passées où le RN présentait des prête-noms ou presque, cette fois il a mis en selle des candidats locaux qui connaissent le terrain et sont même bien implantés" confie un observateur de la vie politique lorraine. Le parti de Marine le Pen peut même se targuer de quelques prises de guerre en Meurthe-et-Moselle, notamment celle de Philippe Morenvillier, l'ancien député suppléant de Nadine Morano (LR) qui est depuis passé également par Debout de la France. Le mode de scrutin, et le fait que les élections départementales se tiennent le même jour alors qu’elles sont très différentes en soi (scrutin majoritaire binominal à deux tours pour les départementales, scrutin proportionnel plurinominal pour les régionales), troublent les pronostics. Le RN, traditionnellement fort aux premiers tours des élections régionales, pourrait-il entrainer également un vote en faveur de ses candidats le même jour aux départementales ?

Vers une abstention élevée

Le niveau d’abstention, que tous les observateurs de la vie politique prédisent à un niveau record, renforce a priori le vote d’extrême-droite. Aux départementales, on vote pour des personnalités plus que pour des appareils, mais si l’abstention bat des records, certains candidats élus au premier tour qui ne réuniraient pas les 25% d’inscrits devraient attendre un deuxième tour pour confirmer le choix des électeurs. En Meurthe-et-Moselle au moins, ce scénario crispe l’union de la gauche, qui ne tient qu’à un fil.

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