Dans le box des accusés, ils sont dix. Ils ont entre 25 et 35 ans. La justice les soupçonne d'être les auteurs de l'assassinat de Khaled Arbouze en 2016. Une exécution en pleine rue. Ce procès d'assises n'est pas celui du grand banditisme. Juste celui d'une violente dispute ayant mal tourné.
Depuis une semaine, le procès des assises de Meurthe-et-Moselle se penche sur un "climat malsain" à Laxou. Le quartier. Dans la salle des pas perdus, Julie la femme de Khaled Arbouze attend, le téléphone portable à la main. Elle a gardé l'image d'une jolie conseillère immobilière de 39 ans.
- Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
- C'est pas facile. On se parle après l'audience si vous voulez bien.
Les avocats arrivent. Dans le box, derrière la vitre, le plus petit des accusés est encadré par deux policiers qui le dépassent de deux têtes. Puis résonne : "l'audience est ouverte, vous pouvez vous asseoir".
Je suis obligé de vivre avec ça
A la barre, lundi 8 février 2021, Julie est là pour répondre aux questions de la présidente Catherine Hologne. Elle sait que le moment sera difficile. Elle raconte son histoire, d’une voix calme. Son départ pour Bordeaux. Son enfance à Nancy. Ses enfants. Et ce samedi du mois d'avril. Son ex-futur mari, Khaled Arbouze a été tué samedi 30 avril 2016. Place de la Croix de Bourgogne à Nancy. En pleine rue. Une exécution. "On ne sait pas qui a eu le cran de tirer. Ce sont des lâches". Une longue enquête. Et pas grand chose. "Je fais confiance à la justice. Moi, je vais du mieux que je peux", dit-elle à la barre. "Et vous connaissez la suite".
- Ce n'est pas la douleur des familles des accusés qui nous empêchera de les condamner, dit la Présidente. Mais un procès d'assises est toujours rempli de douleur.
- Mais avant l'assassinat, comment était-il ?
- Il se sentait persécuté. Je me souviens à la maison, j'avais vu une arme posée sur la table. Il m'avait dit : "c'est une arme de collection". "Les derniers jours, il portait toujours une casquette, il avait peur".
Finalement, dans cette salle, tous les accusés et les témoins se connaissent. Ils ont grandi dans la cité des Provinces à Laxou. "Je ne les connais pas tous", assure Julie. Puis elle raconte les jours qui précèdent. "Ils étaient sans arrêt à sa recherche, "les gars de Laxou". "Attention, attention, ils le cherchent, me disaient les autres."
- Je pense moi, c'est parce qu'il avait quitté ce milieu, qu'il ne rapportait plus rien, qu'ils l’ont tué. Il a eu le courage de sortir de là et de gagner de l'argent. Sauf que c'est très mal vu quand on quitte le quartier".
Un souffle dans le micro, puis elle pleure, "mes deux enfants sont maintenant sans père". Des jumeaux. "Ils n’ont pas su tout de suite comment leur papa était mort. Je n'ai pas pu leur dire qu'il avait été abattu dans la rue. Puis j'ai eu la force. En 2018, ils avaient huit ans".
- Je me souviens, il y trois ans, lorsque je demande à ma fille qu'est ce qu'elle veut à Noël, elle me répond "je veux papa". Puis Julie explique pourquoi ses enfants restent convertis à l'Islam. Guidé par Catherine Hologne, elle parle, la voix embuée de larmes, derrière un masque en tissu noir. La présidente demande aux parties civiles, aux avocats de la défense s'ils ont des questions. "Non, Madame la présidente". Puis elle annonce une courte suspension d'audience.
Entre drôlerie et terreur
Les uns après les autres, les jurés font leur retour. Au premier rang sur la droite, deux accusés encadrés par deux policiers de l’extraction judiciaire. Derrière les avocats, derrière les masques, deux avocats généraux, "au cas où un des deux tombe malade".
Puis arrive à la barre un ami de quinze ans de Khaled Arbouze, Djamel Bouhaci. Il commence par dire : "Je n'ai rien à voir dans cette affaire, ni de près, ni de loin". Il déroule ensuite sa version des faits.
- Quand même, la bagarre au soccer club, ce n'est pas un truc d'une importance capitale, dit la présidente.
- Mais il avait un statut à faire respecter explique Djamel.
- Vous connaissiez Piccolo ? demande Catherine Hologne
- Qui ?
- Piccolo.
- Non.
- Pourtant vous en parlez dans vos procès-verbaux.
- Ah si mais sans plus...
- Donc vous nous dites que Khaled Arbouze était tranquille comme Baptiste, c'est ça ?
- Non, je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça. Pourquoi il avait tiré. Mais si vous tirez sur quelqu'un, c'est quand même compliqué de s'excuser.
A entendre Djamel parler derrière son micro, Khaled est quelqu'un de bien. Il offre l'image d'un homme plutôt placide et respecté. Seulement voilà, son parcours reste aussi un peu flou et particulier. Il avait vingt-sept comptes en banque. Il achetait et revendait des terrains, en faisant des fortes plus values, il ne payait pas d'impôts. Il achetait et revendait des voitures. Né en Lorraine, issu d'une famille algérienne, il a grandi comme il pouvait à Laxou.
- Pourquoi était-il armé ?
- Je ne sais pas.
- J'ai une famille, des enfants, j’ai peur de parler. Je ne veux pas que mes enfants se retrouvent... Et là, Djamel ne finira pas sa phrase.
Qui doit répondre de meurtre ?
L’affaire est bien complexe. Si complexe qu’il faut trois semaines d’audience. "C’est beaucoup". Cela s’explique : l’enquête n’a pas établi le mobile du meurtre. Trafic de drogue. Règlement de comptes après une bagarre qui dégénère ? Coup de feu, et une balle dans le pied ? Le procès peut-il y parvenir ? C’est mal parti. Ainsi, dans son compte-rendu d’audience, Eric Nicolas, journaliste à l’Est Républicain raconte : "Plus de deux ans d’enquête et lorsque Catherine Hologne, la présidente demande : A l’issue de l’enquête, qui désignez-vous comme tireur principal ? La réponse de la directrice d’enquête : "Personne, pas possible d’identifier le ou les tireurs".
"C'est parfaitement vrai. On n’a retrouvé aucune arme. Aucune empreinte sur les lieux", dit Maître Pascal Bernard, avocat du père de Khaled Arbouze.
A la barre, Djamel se tient droit. La lenteur de son élocution montre bien à quel point il n’a pas confiance. Une des avocates de la défense se lève et prend la parole. "Vous étiez son ami ?"
- Oui.
- Vous étiez au courant qu’il avait une maitresse ?
- Oui et non
- Oui ou non ?
- Un oui (plutôt mal assuré).
La famille attend de savoir qui a tué, qui a tiré. "Il a quand même pris huit balles. Il y a 23 projectiles. Il y a peu d'espoir de savoir, car manifestement, c'est la loi du silence et que personne ne dira rien. C'est un comportement de mafieux. Ils ont parfaitement compris, ils ne donnent aucun élément", explique Maître Pascal Bernard.
L'audience devant la cour d'assises est publique. Tout le monde peut y assister, sauf les témoins et les experts convoqués pour le procès. Au premier rang dans la salle, il y a dans le regard d'une femme, toute la tristesse d'une mère qui écoute depuis une semaine, les "en-noir" et les "en-rouge" parler de son fils. Elle est avec sa fille, la soeur de Khaled. Il serait mort pour avoir tiré une balle dans le pied d'un ex-compagnon de route, lors d'une engueulade comme il en existe tous les jours. Peut-être la loi du Quartier avant de rentrer dans le secret du délibéré et en attendant le verdict vendredi prochain.