L’usage de drogues ne baisse pas au regard du dernier rapport national publié par l'Observatoire français des drogues et de la toxicomanie, le 31 janvier 2024. Le Grand Est n’est pas épargné. Nous sommes allés à la rencontre d’experts et de professionnels qui luttent dans la région contre les stupéfiants.
La consommation de drogue persiste. La nouvelle étude du Système d’identification national des toxiques et des substances (SINTES) en France publiée par l'Observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT) dresse un rapport édifiant. À l'échelle nationale, la concentration de la cocaïne collectée est élevée avec un taux de pureté de 70% à 100%. Qu’en est-il de la consommation de drogue dans le Grand-Est ? Cocaïne, héroïne ou encore fentanyl, nous sommes allés à la rencontre d'acteurs de la prévention pour répondre à la question. Si le cannabis est toujours en tête de la consommation, eux, se montrent vigilants quant à l'utilisation de la cocaïne par leur public, en augmentation.
La cocaïne, plus consommée et très dosée
Consommée en “sniff”, en injection ou en “fume”, l’utilisation de cocaïne devient de plus en plus courante sur le territoire lorrain ces dernières années. Un point retient l'attention des experts, le dosage du psychotrope. Lionel Diény, directeur du Centre Les Wads, une association mosellane spécialisée dans la prise en charge des addictions et délégué régional de la Fédération addiction se montre soucieux : “En 2023, la réalité, c’est que quand on fait des analyses sur les échantillons recueillis auprès du public que l'on suit avec le laboratoire Check-Labs, on se rend compte que le taux de pureté de la cocaïne est élevé, il avoisine les 78%”.
Même si le centre confirme ne pas voir une réelle tendance dans le mode d’utilisation, les travailleurs sociaux du centre CAARUD L’échange à Nancy, eux, estiment qu’il y a une augmentation de l’utilisation de la cocaïne "basée" et donc fumée, sur la population qu’ils suivent. Une pratique qui nécessite l’ajout d’une base, souvent de l'ammoniac et qui atteint plus vite le cerveau, provoquant une plus grande euphorie mais aussi une plus grande dépendance avec des conséquences sévères sur la santé.
Il y a deux ans, le gramme était à 80 euros environ, aujourd'hui on est plutôt aux alentours de 50 euros
Emilie Coulin, responsable du CAARUD L'Echange
Émilie Coulin, responsable de CAARUD l'Échange explique cette large diffusion par une baisse du prix de la cocaïne : “Il y a deux ans, le gramme était à 80 euros environ, aujourd'hui, on est plutôt aux alentours de 50 euros”. Une pratique qui se démocratise donc auprès d’un public déjà fragile. “Avec la baisse du prix, la substance est à la portée de tous”, ajoute la responsable. Mais les inquiétudes se portent également sur une autre drogue.
Le fentanyl présent en Lorraine
Il est en grande partie responsable de la crise sanitaire aux États-Unis. Là-bas, les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) estiment que chaque jour, plus de 150 Américains meurent d’overdose liée aux opioïdes synthétiques, dont le fentanyl.
Redouté par le gouvernement français, il touche pourtant déjà la Lorraine. “J’ai déjà vu du fentanyl, c'était une petite prise avec des petits consommateurs”, glisse une source douanière. Un propos partagé par Lionel Diény, mais l’homme se veut rassurant : “Cela a pu nous arriver d’en voir mais c’est de façon très ponctuelle et très rare. En plus ce n’est pas nouveau et on voit bien qu’il n’y a pas une explosion de la consommation de ce produit”.
Je ne suis pas sûr que l’on verra la même crise qu’aux États-Unis
Lionel Diény
Sa collègue, Fabienne Bailly, cheffe de service du secteur intervention précoce du centre des Wads et coordinatrice du dispositif “Tendances récentes et nouvelles drogues” initié par l’OFDT, ajoute : “Nous ne sommes pas en Amérique, le système de santé français nous protège mieux d'une crise des opiacés”.
Cet analgésique opioïde jusqu'à 100 fois plus puissant que la morphine attire pourtant l'attention des autorités. Pour éviter une épidémie en France, le gouvernement a fait voter, le 23 juin dernier, un amendement pour autoriser les douanes à saisir toutes substances chimiques servant à la production de drogues de synthèse. Face à la menace, Lionel Diény ne cède pas à la panique : “Je ne suis pas sûr que l’on verra la même crise qu’aux États-Unis”, souffle-t-il. Lui l’assure, le fentanyl reste marginal sur le territoire.
L'héroïne utilisée mais invisible
Cette drogue, star médiatique pendant de nombreuses années, n’est plus autant au centre de l'attention. L'utilisation de l'héroïne en Lorraine ne faiblit pourtant pas. “En 2023, on est environ à 25% de consommateurs d'héroïne sur les quelque 2000 personnes que nous accompagnons”, explique le directeur du centre "Les Wads".
L’homme se questionne surtout sur le manque de visibilité de cet opioïde : “Il y a un changement qui s’opère, l’usage reste stable, mais on n’en parle plus”, déplore-t-il. Fabienne Bailly intervient : “Je pense que c’est peut-être moins mis en avant car il y a plus de possibilités de soin. En plus, l'héroïne est très mal considérée au sein même des utilisateurs”.
Dans l’Est, on en trouvera toujours plus facilement qu’ailleurs
Lionel Diény directeur du centre "Les Wads"
Cette fois, Lionel Diény se montre plus défaitiste. Pour lui, pas de doute, cette drogue sera toujours plus utilisée dans la région qu’ailleurs : “Dans l’Est, on en trouvera toujours plus facilement qu’ailleurs. C’est lié à l’axe Nord-Sud où circule la drogue en lien avec les pays du Nord. La circulation des trafics passe par les Pays-Bas et la Belgique, puis traverse la Lorraine pour aller à Marseille”.
Il tient également à attirer l’attention sur un autre point : la pureté de l'héroïne. À l’inverse de la cocaïne, elle est de plus en plus coupée : “Ce n’est plus un produit qualitatif. En 2023, après les analyses du laboratoire, on remarque que l'héroïne a un taux de pureté de 14%. Seulement 1% de l'héroïne est pure”. Selon Infodrog, la Centrale nationale de coordination des addictions, cette drogue est majoritairement coupée avec un mélange de caféine, de paracétamol et des substances comme du lait en poudre, de la farine ou de l’acide ascorbique. Tant de produits analysés pour tenter de prévenir au maximum les usagers.
“Il faut vraiment développer ce genre d’études”, insiste Lionel Diény. Une revendication qui retentit d’autant plus que la consommation de drogue en France ne diminue pas. Le dispositif SINTES a recensé une augmentation de 18% des collectes de stupéfiants en 2022 par rapport à l’année précédente.