En pleine mobilisation contre la réforme des retraites, Marie Buisson, candidate à la succession de Philippe Martinez à la tête de la CGT était en visite mardi 21 février à Nancy. Rencontre avec une militante déterminée mais peu connue du grand public.
Candidate proposée comme le veut la tradition par la direction sortante pour la succession de Philippe Martinez à la tête de la CGT, Marie Buisson s'est livrée mardi 21 février 2023 avec Julien Hézard, le secrétaire de l'Union départementale CGT de Meurthe-et-Moselle au jeu des questions-réponses. L'entretien s'est déroulé à la Maison du Peuple à Nancy (Meurthe-et-Moselle). L'occasion de faire connaissance avec une enseignante militante engagée dans la lutte syndicale depuis 20 ans.
Si ce choix se confirme, ce qui n'est pas encore acquis, l'actuelle secrétaire générale de la Fédération de l'enseignement, de la recherche et de la culture de la CGT serait la première femme à accéder à cette fonction depuis la création du syndicat en 1895.
Marie Buisson : Ce serait en effet un évènement en 127 ans d’existence du syndicat. Après, c’est toujours embêtant de voir ma candidature réduite au fait que je sois une femme. Cela dit, le signal envoyé est que nous ne faisons pas que manifester mais que nous mettons aussi des choses en place chez nous. Ce sera vécu une fois comme un évènement mais après il sera considéré comme normal qu'une femme soit secrétaire générale.
Qu'est-ce qui vous a décidé à briguer la succession de Philippe Martinez ?
On n’a pas de plan de carrière lorsque l’on devient syndicaliste. Moi je n’avais pas prévu quand je me suis syndiquée il y a 20 ans dans mon établissement scolaire de prendre des responsabilités au niveau de ma fédération ni d’être élue à la direction confédérale de la CGT. (…) J’ai été proposée par notre direction collective.
Comment envisagez-vous votre futur mandat si vous êtes élue ?
Je trouve la période actuelle enthousiasmante quand nous sommes militants comme nous depuis des années. C’est là où nous avons toute notre utilité avec nos collectifs. Nous verrons où nous en serons au moment du congrès (il se tiendra fin mars à Clermont-Ferrand, NDLR). J’espère que nous aurons gagné contre la réforme des retraites ou pas loin de gagner. Concernant nos objectifs, notre direction est collective, nous avons plus de 600 000 adhérents. Vu la complexité du monde du travail et des enjeux, la direction comptera de 60-70 membres qui se mettront au travail. Mon objectif c’est le collectif, le débat. Moi je crois dans cette force-là.
Il faut actualiser le logiciel de la CGT ?
Le monde du travail a évolué, ce ne sont plus les mêmes formes d'emplois, les mêmes formes de contrats. De moins en moins de gens font toute leur carrière dans une même entreprise. Nous devons réfléchir à comment faire évoluer notre outil syndical pour qu'il soit utile et porte la voix de celles et ceux qui travaillent et ne profitent pas des fruits de leur labeur.
Une évolution qui met aussi en avant des engagements qui n'étaient pas les priorités de la CGT, comme l'environnement ?
Les questions environnementales traversent la société. La planète est notre bien commun et aujourd’hui nous devons nous interroger sur comment on produit l’énergie, les biens de consommation et quels impacts cela engendre sur notre environnement. Nous pensons que ces questions sont devant nous. Si la CGT ne s’en saisit pas, comment allons-nous faire pour que ces questions-là prennent en compte les conditions de travail des salariés ? Nous ne faisons pas de hiérarchie entre "fin du monde" et "fin du mois". Nous refusons ce dilemme imposé aux salariés : soit on continue à polluer la planète soit vous renoncez à votre salaire. On ne doit pas mettre les salariés face à ce choix car ils ne sont pas responsables des modes de production. Quand vous replacez les salariés au cœur des questions environnementales, ils apportent des solutions intelligentes pour peu que l'on veuille bien les écouter.
La succession de Philippe Martinez aura lieu en pleine bataille contre la réforme des retraites. Une confrontation qui risque de se durcir. Comment envisagez-vous les semaines à venir ?
Si le 26 mars la loi est votée, on continue. Il y a des précédents: le contrat première embauche (CPE) a été voté en 2006 mais il n’a jamais été mis en place. Il se passe depuis janvier quelque chose de fort dans ce pays et il faut que le gouvernement et le patronat entendent ce qui est en train de se passer. C’est toujours dangereux de ne pas entendre ce qu’il se passe dans ce pays.
Julien Hézard : On ne gouverne pas contre le peuple. Repousser l’âge de départ à 64 ans c’est faire du mal aux gens pour rien. Quand une réforme est légitime elle est acceptée mais là les gens disent "c’est dégueulasse". On peut faire autrement, soit en augmentant les salaires de 5%, soit en augmentant de 0,8% les cotisations sociales. C’est indolore et cela nous épargnerait deux ans de plus au boulot. Pour les salariés le calcul est vite fait.
Certes, mais si la réforme passe, quelle sera votre stratégie pour maintenir la mobilisation ?
Marie Buisson : L’intersyndicale appelle à une forte mobilisation mardi 7 mars. L’idée c’est de mettre le pays à l’arrêt. Le 8 mars on continue avec la journée des droits des femmes puisque cette réforme amplifie les injustices dont elles sont déjà victimes. Le 9 mars nous appelons à la mobilisation des jeunes autour des CROUS et de la précarité. Nous sommes face à un gouvernement qui vient de refuser de voter à une voix près le repas à un euro pour les étudiants. Les urgences psychiatriques et les distributions d’aides alimentaires croulent sous les demandes des jeunes.
Le gouvernement n'a pas l'intention de céder sur le report de l'âge de départ à 64 ans
Nous animerons les deux prochaines semaines avec des débats. Des dirigeants nationaux viendront discuter avec les salariés parce que cela ne va pas de soi de rentrer dans un conflit social dur. Il y a un vrai souci de redistribution des richesses dans ce pays et ça pèse sur les salaires. A nous de ne pas arriver avec des idées toutes faites mais de les écouter pour savoir jusqu’où ils sont prêts à aller.
Julien Hézard : Au niveau de l’intersyndicale 54 nous appelons les 7 et 8 mars à deux jours de grève et de manifestations. Le 2 mars nous organisons une manifestation à 18h00 place Driant à Nancy. Nous continuons les tractages devant les gares, dans les entreprises et les débats. L’idée est de populariser nos propositions et expliquer aux salariés que c’est possible de gagner. Nous n'avons pas envie de nous faire voler quatre ans de notre vie : deux ans de confinement à cause du Covid plus deux ans supplémentaires au boulot.
Est-ce que cette forte mobilisation contre la réforme des retraite ne redonne pas au final de la légitimité aux syndicats ?
Les syndicats ont toujours été légitimes. Les élections professionnelles c’est 80 % de participation. Beaucoup de politiques seraient contents d’être élus avec une participation de ce niveau-là! Aujourd'hui, les salariés et la population ont décidé de se saisir de l’outil syndical, un outil à la disposition du monde du travail. Après le mouvement des Gilets Jaunes, la population retrouve l’utilité d’être organisé autour des syndicats. Entre la première version de la réforme des retraites et les milliards que le gouvernement finit par lâcher, c’est le résultat d'un mouvement social organisé. D’où l’utilité d’être syndiqué et de participer aux mobilisations.
Pour la CGT, cette réforme n'est pas amendable ?
Marie Buisson : On le voit bien, dans beaucoup de métiers, arrivé à 60 ans il y a l’usure physique, intellectuelle et morale. L’espérance de vie d’une infirmière est inférieure de sept années par rapport à la moyenne des salariés.
Julien Hézard : Même chose pour un ouvrier en travail posté, son espérance de vie en bonne santé c’est 59 ans. A partir de cet âge vous commencez à souffrir de pathologies. Et aujourd’hui on vous demande d’aller jusqu’à 64 ans. Pour eux la seule perspective après le travail c’est la canne, le déambulateur et le fauteuil roulant. C’est juste inacceptable.
Le 53e congrès de la CGT se tiendra fin mars à Clermont-Ferrand. Marie Buisson, la candidate proposée par la direction sortante aura face à elle la seule candidature déclarée à ce jour. Il s'agit d'Olivier Mateu, le secrétaire de la puissante Union Départementale de la CGT des Bouches-du-Rhône.