Grève contre la réforme des retraites : connaissez-vous vos droits ?

Après la forte mobilisation du jeudi 19 janvier, un nouvel appel à la grève contre la réforme des retraites a été lancé mardi 31 janvier 2023 par la plupart des organisations syndicales. Les modalités et les usages du droit de grève restent mal connus des salariés comme des employeurs. Qui peut faire grève et dans quelles conditions ? Nos réponses pratiques.

En France, le droit de grève est un droit fondamental reconnu par l’alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Il est présent dans le droit français depuis la loi Ollivier du 25 mai 1864. La première grève nationale de revendication a eu lieu en 1906, pour réclamer la journée de travail de huit heures.

Les salariés du secteur privé peuvent se déclarer en grève sans préavis, à l’exception de certains secteurs spécifiques. Ils ne sont pas tenus d’informer leur employeur de leur intention de faire grève. Ils peuvent néanmoins le faire par mail, par courrier, et même oralement en précisant la date et la durée qui est à la main du gréviste : il est possible de cesser le travail un quart d’heure, une heure, une journée et même plus. "Dans le secteur privé, il n'y a pas de règles concernant la grève" résume Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l'université de Bourgogne, "il faut juste retenir qu'on ne peut pas se mettre en grève seul, il y a nécessité d'une action collective, qui passe normalement par un mouvement syndical".

L’employeur doit connaître les motivations des grévistes et leurs revendications, qui passent le plus souvent par les organisations syndicales qui les représentent. Mais plusieurs mouvements de grève récents ont montré que les salariés peuvent aussi s’organiser en dehors des syndicats.


La grève 2.0

Les soignants de Thionville (Moselle) qui ont massivement arrêté le travail par des arrêts maladie en janvier 2022, ont-ils de fait exercé une forme de grève ? Selon Maître Valérie Jandzinski, avocate spécialiste du droit du travail à Nancy (Meurthe-et-Moselle), "il s’agit sans aucun doute d’une forme de contestation que l’on peut assimiler à une grève, puisque ces soignants à bout de force ont exprimé leur ras-le-bol, mené des négociations et obtenu des engagements de leur direction". Mais l’avocate précise "qu’il ne s’agit pas d’une grève au sens strict du terme, puisque les arrêts maladie donnent droit à des indemnités journalières, ce qui n’est évidemment pas le cas quand on fait grève puisqu’une retenue sur salaire est opérée".

Dominique Andolfatto confirme qu'il s'agit là "d'une façon de contourner le droit de grève qui est impossible pour les soignants, qui seraient réquisitionnés. L'administration pourrait se retourner contre eux, mais il s'agit bien d'une action sociale et les juridictions sont plutôt tolérantes en matière de grève. C'est un rapport de force, il ne faut pas l'oublier. La préoccupation des directions face à la grève, c'est comment en sortir, plutôt que comment sanctionner".

Un salarié en grève ne peut pas être sanctionné ou licencié s’il exerce son droit de grève dans le respect de la loi. Il est notamment interdit aux grévistes d’empêcher le travail des non-grévistes, en bloquant par exemple l’accès à l’entreprise, "même si, dans les faits, certains blocages sont rarement sanctionnés. Dans le cas d’une entreprise qui serait liquidée, avec des salariés qui bloquent symboliquement les accès, les autorités laissent souvent faire sans intervenir".

Les retenues de salaires sont différentes selon le secteur d’activité. Dans le privé, la retenue sur salaire doit être strictement proportionnelle à la durée d’interruption du travail.

Dans le service public

Comme le rappelle la CFDT, "le dépôt d’un préavis est obligatoire pour les personnels de l’État, des établissements publics, les autorités administratives indépendantes, les collectivités locales autres que les communes de moins de 10.000 habitants (…) il doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève, ce délai devant être utilisé pour négocier et ainsi parvenir à un éventuel accord qui aboutira alors à la levée du préavis".

Les salariés des entreprises privées chargées d’une mission de service public, comme France Télévision ou Radio France par exemple, sont soumis à la même règle : il leur est impossible de cesser le travail sans préavis.

La retenue sur salaire se calcule d’une manière différente que dans le privé : pour chaque jour non travaillé dans le public, 1/30e du traitement mensuel est compté, pour une grève de quelques heures ou d’une journée. En cas de grève du vendredi au lundi inclus, quatre jours seront retenus sur la rémunération puisque le samedi et le dimanche seront décomptés même si le salarié ne travaille jamais le week-end. Pour les agents territoriaux ou hospitaliers, la retenue est proportionnelle à la durée de la grève, comme dans le privé.

Dans les transports

Une loi de 2007 impose désormais aux salariés d'une entreprise de transport de se déclarer grévistes 48 heures avant. Cette modalité doit permettre à la direction de mettre en place un service minimum, et de donner des informations sur celui-ci aux usagers en amont du mouvement de grève.

Exceptions au droit de grève

La loi prévoit plusieurs cas où la grève est illicite : 

  • "Grève dite perlée, c'est-à-dire en raison d'un travail effectué au ralenti ou dans des conditions volontairement défectueuses par le salarié
  • Grève limitée à une obligation particulière du contrat de travail des salariés (sur les heures d'astreinte par exemple)
  • Actions successives menant au blocage de l'entreprise sans arrêt collectif et concerté du travail
  • Grève fondée uniquement sur des motifs politiques"

Ce dernier point a fait l’objet de plusieurs arrêts de la Cour de Cassation, et déjà sur des grèves dans le cadre des réformes passées sur les régimes de retraite : "à plusieurs reprises, la plus haute juridiction a estimé que le motif politique ne pouvait pas être retenu dans ce cadre" explique Maître Jandzinski. Selon les textes, la grève vise en effet un employeur : elle est "définie comme étant la cessation collective et concertée du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles". 

Dans le cas des retraites, les salariés qui cessent le travail visent non pas leur employeur, mais le gouvernement qui légifère en la matière. Pourtant, "la Cour de Cassation a estimé plusieurs fois que dans la mesure où les retraites concernent l’ensemble des salariés, qui cotisent pour cela, le motif politique ne pouvait être invoqué puisqu’il s’agit bien d’une revendication en lien direct avec le travail et l’entreprise".

Qui n’a pas le droit de faire grève ?

Les policiers en sont privés, selon l’article du droit de grève : "les fonctionnaires actifs de la police nationale et les fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire ne jouissent pas du droit de grève. Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part de ces fonctionnaires peuvent être sanctionnés". Plusieurs syndicats de policiers, qui disposent d'un régime spécial de retraite, ont pourtant appelé à se joindre aux manifestations jeudi 19 janvier 2023. Les fonctionnaires qui y participent le feront donc sur leurs jours de repos a priori.

Les militaires n’ont pas le droit non plus à la grève selon l’article L4121-4 du Code de la Défense : "l'exercice du droit de grève est incompatible avec l'état militaire. L'existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que, sauf dans les conditions prévues au troisième alinéa, l'adhésion des militaires en activité à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire".

Idem pour les gardiens de prison, les agents du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), et les magistrats judiciaires.

Qui peut être réquisitionné ?

L'employeur ne peut en aucun cas réquisitionner des salariés grévistes. La justice n'a pas non plus ce pouvoir, même en référé. Seul le Préfet peut réquisitionner des salariés grévistes en cas d'urgence, "lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique l'exige et que les moyens dont il dispose ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police" explique la CFDT. Des cas de réquisitions de soignants en grève, et notamment de médecins de garde, ont été plusieurs fois dénoncés ces derniers mois.

Par ailleurs, le Préfet peut "requérir les salariés en grève d'une entreprise privée dont l'activité présente une importance particulière pour le maintien de l'activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l'ordre public » explique le syndicat. Les grévistes d'établissements pétroliers ont ainsi été réquisitionnés à l'automne 2022.

Lycéens et étudiants ?

Ils ne sont pas considérés comme des salariés, et donc a priori n’ont pas le droit de grève, même si dans les faits, les mouvements sont nombreux et prennent les mêmes formes que les grèves de salariés.

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